Harcèlement de rue : Emanouela Todorova de victime à militante, "une lutte de longue haleine"

Emanouela Todorova a un caractère bien trempé. Elle sait ce qu'elle veut. Surtout, elle sait ce qu'elle ne veut plus. Par exemple, se faire traiter de sale pute quand elle ne répond pas à un bonjour nigaud d'un mec dans la rue. Depuis trois ans, la jeune femme qui vit à Strasbourg lutte contre le harcèlement de rue via son association et son compte Instagram.

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Sur les pavés strasbourgeois, le harcèlement. Emanouela Todorova, 34 ans, en a fait l'expérience à son retour de Berlin, il y a quatre ans. "Je me suis fait traiter de sale pute à Strasbourg, dans la rue. À Berlin, ce n'est pas du tout ainsi et disons que j'avais perdu l'habitude. Clairement, même si je n'ai pas fait le tour du globe, c'est quelque chose que j'ai vécu, que je vis majoritairement en France. C'est insupportable."

Dis Bonjour Sale Pute

Emanouela ne se l'explique pas "une question de société et d'éducation peut-être" mais les chiffres, eux, sont très explicites. 100% des femmes françaises ont été victimes de harcèlement sexiste et/ou
sexuel dans les transports en commun franciliens au moins une fois au cours de leur vie.
 81% d'entre elles ont déjà été victimes de harcèlement sexuel dans les lieux publics. 41% des Françaises ont déjà fait l’objet d’un contact sexuel imposé comme du frottage, du pelotage ou encore, de pénétration dans un lieu public. Plus de 25% des femmes ont déjà renoncé à sortir de chez elles.

J'ai posté mon témoignage sur mon compte Instagram. 24 heures plus tard, j'avais 200 témoignages quasi similaires  

Emanouela Todorova

Tous ces chiffres non pour vous assommer, mais pour vous réveiller. "Je me suis dit qu'il fallait absolument faire quelque chose. J'ai posté mon témoignage sur mon compte Instagram. 24 heures plus tard, j'avais 200 témoignages quasi similaires."

 

Emanouela est influenceuse, elle vit de ça et pour la cause, forcément ça aide. "Devant le flot de réponses, j'ai créé mon compte Instagram dédié au harcèlement de rue, afin de libérer la parole, un MeToo du harcèlement de rue en quelque sorte. Une façon aussi pour moi d'apporter une pierre à cette lutte de longue haleine" Ce compte DBSP (Dis Bonjour Sale Pute) réunit aujourd'hui 166.000 followers.

Et chaque jour de nouvelles femmes témoignent. Elles sont des milliers. "Oui, je suis influenceuse, mais je le vis très bien. Je fais passer des messages engagés à travers mes posts, je ne travaille qu'avec des marques responsables et elles-mêmes engagées. J’essaye d’influencer dans le sens de mes pensées. L’idée, c'est de permettre à ma communauté de réfléchir, de se poser des questions."

Un livre, un combat

Le harcèlement de rue est peut-être quotidien, il n'en est pas pour autant anodin, banal. "Le harcèlement sexiste et sexuel dans l’espace public se caractérise par des outrages sexistes et des agressions sexuelles. On parle de harcèlement, car il s’agit d’actions répétées que les victimes subissent à longueur de journée par différentes personnes : les sifflements, les bruitages d’animaux, les interpellations, les regards appuyés, les insultes, le fait d’être suivi.e, voire agressé.e. Ces agissements se produisent plusieurs fois dans la journée, et ce, sans le consentement des victimes."

Des violences souvent traumatisantes. "Perte de la liberté de se déplacer en sécurité, perte de la confiance en soi, peur d’être seul.e dans la rue, paranoïa… Dans les témoignages que je reçois, les victimes m’expliquent quielles doivent quotidiennement user de stratagèmes (chercher un nouvel itinéraire, faire semblant de passer un coup de fil, etc.) afin d’arriver à leur destination en sécurité." 

Dis Bonjour Sale Pute, un titre violent qui fait mouche auprès des médias. "Suite à la création du compte Insta, je suis devenue médiatique. Le nom a aidé, je dois dire. Les maisons d'édition se sont intéressées à moi, et j'ai sorti mon livre éponyme dans la foulée."

Pour rappel, l’outrage sexiste (appellation juridique du harcèlement de rue) consiste à s’adresser à une autre personne en tenant des propos à connotation sexiste ou sexuelle. Marlène Schiappa en a instauré sa pénalisation en 2018 : de 90 euros à 1 500 euros d'amende lorsque la peine est aggravée. Dès lors qu’il y a un contact physique avec la victime, il s’agit d’une agression sexuelle, beaucoup plus sévèrement punie par la loi.

Sensibilisation en milieu scolaire

Une fois la lutte chevillée au corps, difficile de s'en défaire. Emanouela décide de se consacrer à temps plein ou presque à la cause. "Je dédie 80% de mon temps à l'association DBSP, 20% à mes réseaux sociaux pour payer mon loyer."

Elle écrit en juin 2021 un livre éponyme, sorte de guide anti-harcèlement de rue (conseils, témoignages, contacts utiles, cas pratiques...) pour se protéger ou réagir en cas d'agression, que l'on soit victime ou témoin. "J'ai écrit ça vite, oui, mais c'était une nécessité." 

Emanouela créé son association en mars 2021 et ses podcasts en août. "Je n'ai plus le temps de faire des projets. Encore moins personnels. On verra plus tard. Même ma vie privée passe au second plan, elle commence à 21h quand je suis chaos. Je ne coupe jamais, je fais un sacrifice temporaire pour la bonne cause, jusqu’à ce que l’association soit plus importante et roule toute seule, après, on verra."

Aujourd'hui, ils sont 80 bénévoles dans l'association. Objectif : "Pouvoir aller à la rencontre des établissements scolaires et faire de la sensibilisation". Du collège aux classes supérieures, en trois ans, DBSP a déjà réalisé plus de cent interventions en milieu scolaire, majoritairement en Alsace. "Je vais prendre une alternante, on n'y arrive plus."

"Les jeunes sont la clé, ils construisent le monde de demain. On voit de tout : des jeunes engagés, d'autres pétris de sexisme ordinaire ou de misogynie intégrée. L'idée, c'est de les faire réfléchir sans leur faire la morale. Des discussions autour des problématiques rencontrées dans l'établissement, des jeux de cartes, de mise en situation."

Tout un programme

Emanouela n'est pas naïve. Elle sait que le chemin est encore long et incertain "On provoque des petites prises de conscience, on sème des graines de réflexion. Pour la suite, évidemment, on ne peut présumer du résultat, c'est, de surcroît, difficilement quantifiable."

Ça me rend folle. D’être regardée comme une vitrine un jour de solde, d’être sollicitée, c’est épuisant

Emanouela Todorova

Et d'ailleurs, pas plus tard que l'autre soir, Emanouela s'est fait harceler. De nouveau." Je rentrais du resto, y a un mec à vélo qui me suit pendant 300 mètres. Il me demande mon snap. Ça me rend folle. D’être regardée comme une vitrine un jour de solde, d’être sollicitée, c’est épuisant."

Alors Emanouela poursuit sa lutte. Par tous les moyens. Festifs aussi. Cette semaine a lieu durant cinq jours, à Strasbourg, la seconde édition du festival DBSP, mêlant conférences, débats, concerts." Parler de choses difficiles tout en se célébrant et en créant un monde safe et bienveillant." Tout un programme oui. Ambitieux. À l'image d'Emanouela. 

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