Jusqu'à présent, les personnes aveugles ou malvoyantes n'avaient pas accès aux tableaux peints par les grands maîtres. Un Strasbourgeois est en train de révolutionner cela en donnant du relief à ces œuvres, par l'intermédiaire d'une imprimante 3D. Découverte.
Les personnes aveugles ou malvoyantes ont encore trop rarement accès aux arts. En Alsace, l'association L’Art au-delà du regard s’attache depuis des années à améliorer cette situation. Elle organise des visites de musée où les aveugles peuvent toucher des meubles, des vases ou des sculptures. Désormais les tableaux vont aussi pouvoir entrer dans leur champ d’exploration.
C'est Régis Kern, un Strasbourgeois passionné d'informatique et de 3D, mais aussi très engagé dans l'accès aux connaissances pour les personnes en situation de handicap, qui en a eu l'idée. "Je suis transcripteur professionnel, j’adapte des documents pour les élèves malvoyants, dans le domaine des cartes géographiques et des schémas scientifiques comme le cycle de l’eau, le fonctionnement d’une turbine etc. Pour les tableaux, le gros du travail se passe avant l’impression. J'essaie de choisir une œuvre qui, à mon sens, sera intéressante tactilement. Je retiens ce qui est pertinent, à savoir ce qui peut être traduit par des épaisseurs, des reliefs."
"François Schmitt, président de l'association L'Art au-delà du regard m'a sollicité pour créer une œuvre en relief pour la foire d'art contemporain ST'ART 2017. J'ai donc sélectionné quelques œuvres que j'ai redessinées avec un logiciel de dessin." Grâce à son imagination, Régis Kern conçoit un relief composé de différentes hauteurs: plus il veut une impression épaisse, plus il représente la zone en clair, plus l'impression doit être fine, plus il l'assombrit. L'imprimante reproduit les épaisseurs en fonction de ce dégradé entre le blanc et le noir.
La découverte des premiers tableaux tactiles par des aveugles et malvoyants est un événement, parce qu'ils sont souvent exclus à cause de leur handicap visuel.
Pour de nombreux participants à cet atelier, c'est un premier contact avec un art purement visuel. Christiane reconnaît: "Avant, je ne m'étais jamais intéressée à la peinture, car pour moi les tableaux ne voulaient rien dire." Seront-ils nombreux désormais à vouloir découvrir les tableaux de maîtres plus ou moins célèbres, par ce biais? En tout cas, la technique va pouvoir se développer et s'affiner. La proposition de toucher des peintures en relief existe déjà au Musée du Louvre, mais l'approche y est différente. Les aveugles touchent des maquettes en relief des œuvres, construites dans les ateliers du Louvre.
Pour Jean-Claude Boeglin, organisateur des sorties et ateliers culturels de l'association L'Art au-delà du regard et lui-même aveugle: "Le relief est excellent; mais de prime abord, je n'ai aucune idée de ce que représente l'œuvre dans sa totalité. Une personne aveugle va avoir besoin de temps pour l'explorer. Dans ce cas, on m'a dit qu'il s'agit de la femme à la guitare, on arrive à repérer les différents éléments, mais ça demande du temps et un accompagnement."
Comprendre le contexte
L'expérience en est à ses débuts. Régis Kern est conscient que le défi à relever est grand. Pour lui et pour les personnes malvoyantes ou aveugles. D'où l'importance des premiers retours de la quinzaine de participants à cet atelier: "On sent bien le relief, mais il faut l'accompagnement d'une tierce personne pour nous expliquer le tableau." A terme, lorsque ce type de "transcriptions" sera exposé dans des espaces culturels, voire des musées, il faudra un historien de l'art capable de contextualiser l'œuvre pour les visiteurs aveugles et malvoyants. Une visite guidée, à préparer donc avec une expression orale adaptée, car évoquer du jaune, rouge ou vert, à quelqu'un qui n'a jamais vu de couleur serait malvenu.Chaque interprétation d'œuvre nécessite un long travail d'analyse. Un des prochains défis de la société Kern transcription: rien de moins que le visage peint par Léonard De Vinci: Mona Lisa et son énigmatique sourire.
Les dégadrés de gris imaginés par Régis sont traduits par le logiciel puis transmis à l'imprimante qui réalise l'impression en 3D.
Le travail de Régis Kern est encouragé et soutenu par l'Éducation nationale, car il pourra servir à des élèves souffrant d'autres types de handicap. "Je travaille actuellement sur une application pour laquelle j'ai eu l'aval du ministère de l'Education nationale. L'objectif est d'inclure des élèves souffrants de troubles dys (dyslexie, dyspraxie, dysphasie etc) dans le système scolaire ordinaire."
Cerise sur le gâteau, cette innovation va même permettre à un peintre de découvrir ses propres œuvres pour la première fois. Jacques Halon avait cessé de peindre quand il a perdu la vue. Depuis deux ans, il s'y est remis. Grâce à une impression en 3D de tableaux, mise au point par le Régis Kern, il espère "voir" un jour ses travaux du bout des doigts.
"Je vous montre quelques tableaux que j'ai peint dernièrement. Je ne les ai jamais vus, mais mentalement quand je les fais, je sais ce que je vais faire. Ce sont les gens qui m'en parlent qui me confortent dans ce que j'ai fait. Mais ce serait intéressant pour moi un jour qu'on me les transcrive en 3D, puisque je ne les ai jamais vus."
Jacques Halon exposera ses dernières peintures au printemps, à Strasbourg. La prochaine sortie culturelle organisée par L'Art au-delà du regard aura lieu au Musée Würth d'Erstein. Il s'agira pour les aveugles et malvoyants de l'association de découvrir une quarantaine d'artistes africains qui travaillent et vivent en Namibie. Cette visite se fera avec un guide aguerri à la présentation d'œuvres à un public non-voyant.