Justice : il vole 19 tablettes de chocolat et du dentifrice, "c'est que monsieur le juge, j'aime bien le chocolat moi"

Ce vendredi 12 janvier, j'ai assisté aux comparutions immédiates du tribunal correctionnel de Strasbourg. Deux heures dans une petite salle où défilent délits, misère mais aussi parfois rires étouffés. La vie en condensé. Au programme, vol de bicyclette (peut-être motorisée) et de chocolat.

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Nous l'appellerons C. Il s'avance machinalement derrière la vitre, dans le box des accusés. Les menottes déverrouillées cliquettent. Lui, ne bronche pas, impassible. Ces yeux bleus acier perdus on ne sait où. C est un zombie.

"M. C on entend ici beaucoup, trop, parler de vous et de vos chocolats depuis trois mois", lance la procureure de la République. Pâques est pourtant loin. Si C comparait aujourd'hui c'est parce qu'il est accusé de quatre faits de vol, entre octobre et décembre 2023, dont un flagrant délit. "315 euros de chocolat dans le sac, ça fait beaucoup quand même M.C non ? Vous les revendez ?" "Non Monsieur le juge, j'aime bien le chocolat c'est tout."

Chocolat et dentifrice

Trois jours après ce premier vol, C se fait arrêter pour avoir cassé les vitres de deux véhicules stationnés dans un parking sous-terrain et volé dans l'un d'entre eux un autoradio... cassettes. "Vous connaissez un antiquaire M. C parce que les cassettes vous savez ça ne court plus les rues". C baisse la tête. "Parfois je les revends oui mais là je ne me souviens plus de rien. J'étais pas dans mon état normal." 

Quelques jours plus tard encore, du chocolat et du dentifrice "pour mon dentier" précise C. Et le 19 décembre dernier rebelote. La fois de trop. L'indigestion.19 tablettes de chocolat "restitués" finalement. "M.C vous en êtes conscient, ça ne peut pas continuer ainsi. Là vous aviez sur vous un couteau, un Laguiole. Dans votre état là, chargé h24, ce n'est pas prudent, c'est même dangereux, ça fait peur là."

Son état fait peur aujourd'hui. Et pas besoin d'un couteau. C dans son box parle peu, d'une voix pâteuse, défoncé au Subutex, traitement de substitution à la cocaïne qu'on lui administre depuis son incarcération à la mi-décembre pour révocation de sa remise de peine suite à une condamnation précédente. "Ça va être compliqué pour vous là M. C. Regardez, avec cette peine mixte, on vous a donné une chance, vous ne la prenez pas, vous ne venez pas au rendez-vous de votre sursis probatoire et vous recommencez...", le tance le juge."Pourquoi ?" "J'ai jamais reçu le courrier" Le juge Picard soupire, exaspéré. Il en a vu d'autres très certainement mais il ne s'y fait visiblement pas.

L'avocate de C, commise d'office, jeune mais efficace, raconte alors de sa voix fluette la descente aux enfers de ce jardinier pas si contemplatif que cela. 23 mentions au casier judiciaire pour vols, violences sur conjoint, menaces et vol avec arme en Allemagne. "C'est un homme sous emprise de la cocaïne qui est tombé dans une spirale infernale." Le juge intervient "Vous payez votre drogue avec vos vols ?" "Je paie mes dettes avec oui surtout depuis que je suis au chômage."

Son avocate plaide pour la clémence. "Il a des trous de mémoire mais il essaie de s'en sortir avec des petits emplois, il tente de se réinsérer dans la société. Il veut se relever. Il vous faut considérer sa situation précaire et lui permettre de remonter la pente." 

On vous laisse six mois pour vous reprendre, on vous aide encore un peu. Il n'y aura pas d'autres chances

Le juge Picard

La peine sera finalement proche des réquisitions : dix mois de prison dont six avec sursis probatoire avec obligation de soins, de trouver un travail, 450 euros pour indemniser la propriétaire de l'autoradio et l'interdiction pour C de se rendre dans les grandes surfaces où il a volé. "On vous donne six mois pour vous reprendre, on vous aide encore un peu. Il n'y aura pas d'autres chances M. C. Ah et vérifiez bien l'adresse de M. C qu'il reçoive son courrier cette fois." C baisse la tête. Il marmonne une réponse inaudible.

Tandem

Le vol de vélo est un grand classique à Strasbourg, capitale de la petite reine. Mais cette histoire prend un tout autre tournant. La tentative de vol s'est soldée par des coups et blessures. Dans le box, un tandem. D et I. Les deux sont Russes. L'un est petit et passera l'audience à ricaner. L'autre, visiblement plus sanguin, à effaroucher la victime de ses regards noirs et parfois de gestes éloquents. Il prétend être boxeur c'est peut-être pour ça.

On m'a dit que Strasbourg était une ville dangereuse qu'il y avait beaucoup de meurtres et de violences.

L'un des accusés

D et I sont accusés d'avoir, le 9 janvier, tenté de voler une mobylette électrique. La nature réelle de l'engin restera un mystère. Un homme les surprend et s'interpose. C'est la mobylette de son voisin. Une bagarre commence. I sort un couteau à cran. D des tournevis. "J'en ai toujours sur moi, pour mon travail". "Mais vous n'avez pas d'emploi" répond le juge. "Non mais je fais des petits bricolages, c'est interdit d'avoir des tournevis ?"

"Et vous I pourquoi vous promenez-vous avec un couteau ?" "On m'a dit que Strasbourg était une ville dangereuse qu'il y avait beaucoup de meurtres et de violences." "C'est ça oui M. I Strasbourg est bien connue pour cela." 

La victime, assise sur le banc devant moi, œil au beurre noir encore frais et nez tordu, se retrouvera finalement avec une incapacité temporaire de travail de 24 heures. Arrêté peu après et placés en garde à vue, I sera particulièrement agité en cellule et mis sous calmants. "J'avais froid, faim et envie d'aller aux toilettes, les policiers ils ne m'aidaient pas, ils sont racistes. Les policiers français ils sont pires que les Russes", traduit l'interprète.

S'ensuit tout un débat un peu stérile. "C'est lui qui a frappé en premier, j'ai répondu c'est tout", lance D en désignant, rageur, la victime. "Non c'est elle, elle m'a frappé avec son pied" rétorque cette dernière. "Pas elle, il" corrige D. "Regardez-moi moi s'il vous plaît", lance le juge pour sonner la fin de la récré. Les caméras de surveillance, tournant à 360°, ont raté ce moment crucial. Un témoin lui en est sûr. C'est D qui a ouvert les hostilités et frappé le jeune homme à la joue. "Je m'excuse auprès de cette personne, je peux payer les soins" conclut D.

La scène pourrait prêter à sourire mais nos deux hommes dans le box risquent gros. D est un récidiviste, sous le coup d'une OQTF (obligation de quitter le territoire français) depuis septembre 2023. I était en possession d'un couteau et d'un vélo volé en Allemagne au moment des faits. Son comportement agressif ne plaide pas non plus en sa faveur. I semble en être conscient et lance, au débotté, "je suis innocent" qui laisse de marbre le juge "oui oui voilà".

Cela ne suffira pas. Malgré les deux avocates qui plaident chacune la relaxe pour leur client arguant que les circonstances de cette rixe restent floues, le juge prononce des peines sévères. D sera condamné pour vol aggravé en réunion à huit mois d'emprisonnement avec révocation de son sursis simple prononcé en juillet 2023. Peine accompagnée d'une interdiction de port d'arme pendant cinq ans et d'une interdiction de territoire français pendant cinq ans aussi. "C'est vraiment injuste ce tribunal."

I, lui, est condamné à cinq mois de prison avec maintien en détention et interdiction de port d'arme pendant cinq ans. "Si vous m’incarcérez, vous allez gâcher ma personne, je serai encore plus violent", conclut-il. Et le juge de frémir "ça fait peur oui." 

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