Malmenées pendant les périodes de restrictions liées au Covid, les salles de sport connaissent un regain de forme, notamment grâce à une clientèle de plus en plus jeune. Sous l'influence des réseaux sociaux, certains deviennent même accros... au point d'exagérer ? Nous avons demandé son éclairage à un médecin du sport.
À l'heure de pointe, en début de soirée, dans cette salle de sport du centre-ville de Strasbourg, la moyenne d'âge ne doit guère excéder la vingtaine. Plusieurs pratiquants sortent même directement du lycée pour venir courir sur un tapis, faire du vélo elliptique ou soulever des poids, attirés par des prix attractifs (moins de 30 euros dans les structures fonctionnant sur abonnement, NDLR) et une grande liberté, grâce à des formules d'accès à volonté, tous les jours de 6h à 23h par exemple dans cette salle.
C'est le cas de Julia, tout juste 16 ans. Dès qu'elle a eu cet âge, le minimum légal en France pour pouvoir s'inscrire dans une salle, elle s'est lancée. "J'avais envie depuis longtemps, je trouvais que c'était un bon projet de vie, explique la lycéenne. C'est toujours mieux que d'être chez moi, sur mon lit, avec mon téléphone ! Et puis je veux perdre du poids, pour avoir une meilleure estime de moi-même... Je n'ai pas beaucoup confiance en moi, comme beaucoup de jeunes aujourd'hui, alors j'espère que ça va m'aider."
La jeune fille se rend dans cette salle trois fois par semaine. Et c'est plutôt quatre ou cinq fois pour Elise, dynamique étudiante en communication. La perte de poids était aussi son objectif initial, et puis elle s'est laissée prendre au jeu. "J'ai envie de me muscler davantage, d'affiner mon corps." Et la jeune femme d'avouer sans retenue que les réseaux sociaux jouent un rôle. "Je suis abonnée à de nombreux comptes d'influenceurs, qui donnent leurs petits trucs, nous conseillent sur des produits... Il faut dire que leurs corps font rêver !"
Le culte du corps et ses possibles dérives sur internet
Les réseaux sociaux qui véhiculent volontiers l'idée qu'une vie de rêve, ou son apparence, passe par une hygiène de vie parfaite. Le fitness est l'un des créneaux les plus porteurs pour les influenceurs. Tibo In Shape, plus de 6 millions d'abonnés sur Instagram et 14 millions sur YouTube, en a fait son fonds de commerce avec sa compagne et comparse Juju Fitcats. Et ils sont nombreux à donner leurs conseils, filmer leurs séances d'entraînement, véhiculer le culte du corps.
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Et sur les réseaux, la dérive n'est jamais loin. Sur TikTok, le hashtag #gymtok par exemple renvoie à des milliers de vidéos d'adolescents transformant leurs corps en quelques mois de pratique assidue... et potentiellement dangereuse ?
L'importance d'être bien encadré
Ne comptez pas sur le docteur Julien Feurer, médecin du sport, pour chercher à freiner l'enthousiasme des jeunes à se mettre au sport. "Le pire fléau, c'est la sédentarité, martèle le praticien. Alors, oui, qu'ils aillent en salle de sport, si c'est ce qui leur fait envie ! Bien sûr, à cet âge, l'apparence, le physique compte, ils ont un objectif de performance, mais il faut qu'ils comprennent que, comme pour toute pratique, il faut une certaine progressivité. Il faut habituer les muscles, les tendons, les os, à encaisser des charges et à la répétition des efforts. Ça ne sert à rien de passer de rien du tout à six séances par semaine ! Car il y aurait alors, bien sûr, risque de blessures...
Mais le fitness, la musculation, permet en général de travailler des groups musculaires différents à chaque séance : un coup le bas du corps, le lendemain le haut, un peu de gainage, puis du cardio... L'idéal reste toujours d'être encadré, guidé par des entraîneurs, des professionnels."
C'est ce que s'engagent à faire les coaches, diplômés, de notre salle strasbourgeoise : porter une vigilance particulière aux "neofitness", comme ils les appellent, ces novices, souvent jeunes, qui découvrent les gestes et les machines. "Il suffit d'un pied mal placé, d'un geste mal effectué, et on peut se faire mal, se bloquer le dos, se faire une déchirure, une élongation", détaille Julia Hernandez, jeune coach fraîchement diplômée. Alors elle circule entre les appareils, distillant ses conseils et observant les pratiques.
Gare au surmenage
"Le risque de blessure existe, c'est sûr, même si les blessures graves, comme les hernies discales, restent rares, confirme le docteur Feurer. Il est souvent lié à la fatigue : contrairement aux sportifs professionnels, les jeunes vont en salle après le lycée, pendant leurs révisions, ils casent leurs séances comme ils peuvent, sans forcément tenir compte de l'hydratation, l'alimentation, la récupération..."
Il faut faire attention, écouter les signes de fatigue. Ne pas se dire, le voisin il soulève 50 kg alors moi je veux soulever 51. Faire du sport, c'est bien, mais il faut le faire correctement.
Docteur Julien Feurer, médecin du sport
Les responsables de la structure affirment être aussi attentifs au respect des règles, à commencer par l'âge légal de 16 ans. "Nous demandons aussi une autorisation parentale pour les mineurs, ainsi que les coordonnées des parents, au cas où, explique Eren Taskin, le gérant adjoint de la salle. Après, c'est parfois difficile de vérifier les âges, lorsque les adhérents viennent sur une formule duo par exemple (formule d'abonnement qui permet d'inviter un pratiquant à partager sa séance, NDLR)... mais on reste vigilants !"
Sur la question de l'âge, le docteur Feurer confirme qu'il n'est pas pertinent de commencer trop jeune, sans pour autant se montrer alarmiste. "À partir de 15-16 ans, le cartilage de croissance est suffisamment renforcé, on est aussi armé hormonalement pour encaisser un peu de charge", explique-t-il.
Avant de glisser une dernière mise en garde, concernant cette fois les produits protéinés qui accompagnent souvent la pratique de la musculation. "Attention à ne pas prendre n'importe quoi, n'importe quand ! Il y a beaucoup de produits qui circulent sur internet, on ne sait pas toujours ce qu'ils contiennent, d'où ils viennent... Il peut y avoir des produits dopants, et on se fait piéger... Là aussi, il faut être conseillé, accompagné, on ne prend pas ces produits n'importe quand, n'importe comment ! Avec une alimentation normale, on doit avoir tous les apports nécessaires..."
Des conseils simples pour que la pratique sportive n'apporte que du positif : un bien-être physique et moral que les jeunes rencontrés ce jour-là disent tous ressentir. "Dans la salle de sport, j'oublie tout, je sors de ma bulle, les cours, tout ça", nous dit Kevin, 19 ans. Et Clara et Cassandra, 17 ans, de conclure: "le sport, c'est bon pour la santé... et pour le moral !"