Le parcours du combattant de Ken, étudiant étranger, "je passais pointer au commissariat avant d’aller à la fac, j’ai passé les partiels en cachette"

Ken Mgwana étudie le droit public en France depuis cinq ans. Étudiant étranger, ses études s'apparentent moins à un cours théorique qu'à une course d'obstacles. Dernier en date : ce lundi 18 septembre, faute d'avoir payé son loyer, il était mis en demeure de quitter son logement universitaire. Témoignage.

Ken Mgwana est en train de faire ses cartons. Ce n’est pas qu’il y ait beaucoup à emballer dans cette chambre universitaire de 10m² mais tout cela est lourd. Lui pèse terriblement. Ken ne sait pas où il dormira ce soir.

Il y a quinze jours, l’étudiant a reçu une mise en demeure du Crous (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires) de Strasbourg qui gère sa résidence sur le campus. Il doit quitter les lieux avant ce soir pour facture impayée. 300 euros. "Je suis quelqu’un de discret et j’ai toujours essayé de prendre soin de mon image, mais là, je souffre trop, il faut que je parle."

Mise en demeure

Ken prend sur lui, il raconte. "Un soir, je suis arrivé, mon badge ne fonctionnait plus. Mon voisin qui est sympa m’a fait entrer."

"Cette situation nous a été signalée l’année dernière. Il s’agit d’un étudiant aidé financièrement par le Crous qui a eu des problèmes avec son garant et des loyers impayés. Au moins trois. C’est pourquoi sa demande de renouvellement a érefusée au printemps. Il lui a été signifié que son droit d’occuper le logement expirait le 31 août", explique Sophie Roussel, directrice générale du Crous.

Pourtant, Ken raconte avoir multiplié les recours "gracieux" auprès du Crous, expliquant sa situation. Sans revenu, sans allocation, sans rien. Refus de l’administration. Depuis le 1er septembre, il est "occupant sans droit ni titre."

Moi, je mangeais quand je pouvais. Là, je vais finir à la rue.

Ken Mgwana, étudiant étranger

"300 euros, vous imaginez, ce n'est rien, et c’est énorme. C’est ma maman qui m’envoyait de l’argent depuis le Congo pour que je puisse me loger. Elle est décédée en 2021. C’est mon cousin qui a pris le relais, mais il n’y arrive pas tous les mois… Moi, je mangeais quand je pouvais. Là, je vais finir à la rue."

Carte de séjour

"La logique du Crous, c'est celle d’un bailleur social. On ne peut pas loger les étudiants gratuitement. Je sais que les étudiants étrangers se retrouvent souvent dans des situations difficiles, on peut les orienter. Les logements étudiants à Strasbourg sont limités, la situation est tendue. Il faut faire de la place aux étudiants qui ont des droits. Nous avons des obligations. Si nous regardons les renouvellements de façon si attentive, c’est que l’offre n’est pas suffisante", précise Sophie Roussel.

Si Ken se trouve dans une telle situation, ce n’est pas tant la faute du Crous et de son implacable logique comptable sur un marché saturé, que de celle de l’État français.

Depuis 2020, Ken n’a plus de titre de séjour. Il ne peut donc plus travailler comme il le faisait avant pour financer ses repas et son logement. Il ne peut pas non plus percevoir d’allocations. Une histoire à dormir debout et dehors.

Détenteur d’un visa étudiant quand il arrive en France en 2018, celui-ci arrive à expiration en 2020. La Covid ralentissant les procédures, il n’obtient pas le renouvellement dans les temps. Lors d’un contrôle routier à Dijon, où il étudie le droit public, et malgré la présentation de son permis de conduire congolais (valable en France pour les étudiants étrangers), il se fait arrêter pour détention de faux papier.

J’ai poursuivi mes études à la sauvette. Je passais pointer au commissariat avant d’aller à la fac et j’ai passé les partiels en cachette

Ken Mgwana

La spirale débute. Obligation de sortie du territoire français (OQTF), interdiction de retour en France et obligation de pointer au commissariat tous les jours le temps de la procédure, 45 jours. "J’ai poursuivi mes études à la sauvette. Je passais pointer au commissariat avant d’aller à la fac et j’ai passé les partiels en cachette. J’ai désobéi, je n’ai pas pris l’avion : j’étais en France pour finir mes études, j’étais dès lors un criminel."

Ken se fait aider, il prend un avocat. Le tribunal correctionnel ordonne sa relaxe. Malgré tout, malgré le soutien et les lettres de son tuteur de Master 2, Ken attend toujours le renouvellement de son titre de séjour. "À Strasbourg, ça fait plus d’un an et demi que j’ai fait ma demande. Personne ne répond. Le dossier est éternellement en cours d’instruction."

La situation, kafkaïenne, mène Ken au désespoir. Cette histoire de chambre universitaire venant, plus encore, ostraciser l’étudiant. "Je fais des études, je n’ai pas manqué un seul jour de cours en cinq ans. Je ne comprends pas. On nous pousse au suicide là, ce n’est pas possible. L’étau se resserre, ça devient irrespirable, on a envie de tout abandonner. Tout. Je subis une pression telle que je n’en dors plus la nuit, que je n’arrive plus à me concentrer sur mes études. C’est ma dernière année, elle est cruciale : mémoire, stage… comment vais-je tenir ?"

Éclaircie

 Alors que nous discutons, le téléphone sonne. Ken est en contact avec la cellule de veille et d'alerte de l’Université de Strasbourg qui s’occupe des étudiants étrangers. C’est une bonne nouvelle. Le Crous a fléchi. Ken pourra rester dans son logement jusqu’à la fin du mois avant de trouver une autre solution.

"Son dossier a été examiné. C’est un étudiant qui a le soutien de ses professeurs et qui réussit bien. La mission solidarité de l’Unistra a obtenu pour lui des aides de l’université. La question du loyer devrait donc être rapidement réglée", explique Sophie Roussel, directrice générale du Crous.

Je ne veux pas retourner au Congo sans diplôme. Ma mère s’est cassée en mille morceaux pour moi, cette maman-là elle a tout sacrifié pour moi, pour que je fasse des études.

Ken Mgwana

Ken défait ses cartons. "Pas tous, au cas où". Car ce que Ken souhaite, c'est un toit bien sûr, mais surtout "un titre de séjour d’un an. Pour pouvoir dormir tranquillement, travailler et payer mon logement. Je ne veux pas retourner au Congo sans diplôme. Ma mère s’est cassée en mille morceaux pour moi, cette maman-là elle a tout sacrifié pour moi, pour que je fasse des études. Je veux juste être rétabli dans mes droits, poursuivre cette dernière année d’étude."

Pour devenir avocat. En France ou au Congo. "Et aider les gens comme moi, avec des problèmes de régularisation, d’administration." Avant son diplôme, Ken a trouvé à Strasbourg sa vocation.

Selon les chiffres du Crous, sur les 5340 étudiants logés en résidence universitaire cette année, 29 se sont retrouvés concernés par une mise en demeure. Aucune demande d'expulsion n'a été faite au tribunal administratif en cette rentrée.

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