Dix jours après le début de l'occupation du collège Lezay Marnesia à Strasbourg par une partie du personnel éducatif, les élèves à la rue peuvent chaque soir dormir dans l'établissement. Mais la solution est loin d'être pérenne. Ce dimanche 17 novembre, France 3 Alsace a accompagné trois d'entre eux, de retour sur leur camp à la Meinau.
Le portail du collège Lezay Marnesia s'ouvre et laisse passer plusieurs familles, souvent des mères avec leurs enfants. Dans les bras, des sacs de courses où débordent des couettes et des couvertures. Comme tous les jours depuis le mardi 12 novembre, Aslan*, 11 ans, Eldar*, 10 ans, et leur mère Asya, 32 ans, après avoir passé une nuit au chaud sur de petits matelas gonflables dans le CDI du collège, se dirigent vers leur campement à Krimmeri, dans le quartier de la Meinau à Strasbourg. "La nuit, ça va mieux maintenant, on est au collège, il ne fait plus froid et on ne dort plus à trois sur le même matelas", glisse Aslan.
L'occupation du collège Lezay Marnesia par les membres du personnel éducatif monopolise l'attention depuis dix jours désormais. Leur cause, l'hébergement des familles d'élèves à la rue et leur mode d'action, marquent les esprits. Mais à quoi ressemble concrètement la vie de ces enfants de 7, 8, 12 ou 14 ans, qui une fois leur journée d'école terminée, rejoignent leur famille sous des tentes et autour de feux de camp ?
"Ce n'est pas loin du tout, à trois arrêts de tram", annonce fièrement Amir*, 12 ans, pressé de nous emmener sur son lieu de vie comme un enfant qui voudrait montrer sa chambre. Sa famille, comme celle de Sayed*, vient d'Afghanistan. Ils ont fui leur pays après l'arrivée au pouvoir des Talibans. Amir et les siens sont arrivés en France il y a trois mois, après un périple en Iran, au Brésil, et en Guyane. "On a quitté le Brésil parce que mon frère est mécanicien et il n'avait pas de travail là-bas", explique Amir en s'engouffrant dans le tram.
Lutter contre le froid, par tous les moyens
Avant l'occupation et les nuits à deux degrés sous la tente, Amir, Aslan, Sayed et tous les "frères" du camp de Krimmeri prenaient aussi le tram l'après-midi, et alors que leurs camarades du collège Lezay Marnesia s'éloignaient vers les barres d'immeuble du quartier, eux se pressaient vers "le camp", situé "en face d'un Macdonald's" précise Aslan avec des yeux gourmands. "On y va de temps en temps pour charger nos portables, comme on n'a pas d'électricité. On y a déjà mangé quelques fois mais le repas c'est 5 euros, c'est trop cher."
Les tentes sont plantées de part et d'autre d'un sentier qui court le long d'un affluent de l'Ill. À vue d'œil, il y en a entre 50 et 100 de ce côté du campement. Un groupe d'hommes se réchauffe près d'un feu de camp à l'entrée. "Mettez vos mains, vous allez voir, c'est agréable", sourit l'un d'entre eux, laissant immédiatement sa place. Parmi ces immigrés, tous d'Afghanistan ou de Turquie, se trouve le père d'Amir. Lui n'a pas dormi au collège avec sa femme et ses enfants. "Il faut rester à la tente car il y a tous les papiers ici, et s'ils viennent démanteler le camp, c'est mieux qu'il y ait quelqu'un avec les papiers", explique-t-il. Le bruit court à Krimmeri que le prochain démantèlement devrait avoir lieu cette semaine, alors que le camp a déjà été dissous à plusieurs reprises ces derniers mois.
La famille d'Amir dispose de trois tentes : une pour la cuisine à gauche, une autre sert de salle à manger, et une dernière de chambre pour les parents et les sept enfants. Plusieurs tapis aux motifs multicolores s'empilent et donnent à l'ensemble une impression d'un semblant de chez-soi. Un réchaud est allumé sous une table en bois et une couverture en laine, pour lutter contre le froid. "Il faut se lever plusieurs fois la nuit pour vérifier que tout va bien car c'est dangereux, concède le père d'Amir. Mais on n'a plus le choix." Cela fait plus d'un mois qu'Amir tousse. Ses cousines, âgées de 5 et 6 ans, sortent d'une semaine à l'hôpital à cause d'un virus. Les enfants sont soumis à des conditions de vie propices à la maladie : il n'y a ni toilette, ni douche au camp, et ils passent souvent plusieurs jours sans manger à leur faim. "Heureusement, on a à manger à la cantine, mais ce n'est pas bien non plus, confie Aslan. Quand je mange à la cantine, je pense à ceux qui restent ici et je me sens coupable."
Les enfants scolarisés sont les interprètes du groupe
Soudain, c'est l'effervescence dans le camp. Les enfants se précipitent vers une voiture qui vient de se garer au milieu des tentes, suivis des adultes un peu plus loin, plus patients mais non moins intéressés. "C'est une dame qui vient depuis quelque temps nous donner des vêtements et à manger, explique Aslan. C'est incroyable, il y a des gens vraiment gentils." Il s'agit de Yasmine Wiber, une habitante du quartier d'Illkirch, à Strasbourg. Il y a trois semaines, elle est "tombée" sur le camp et a été très touchée par la situation des enfants. Depuis, elle a lancé un appel parmi ses proches sur Facebook et vient chaque week-end, son coffre de voiture plein de sucreries, de chaussures ou de couvertures. L'une des premières servies est une adolescente. Elle repart avec trois paquets de pâtes et une sucette rouge.
Aslan est très sollicité par l'un ou par l'autre adulte. Il parle russe, turc et géorgien. "Demande-lui si elle n'a pas une couverture". "Dis-lui que je chausse du 45, que je n'en peux plus d'avoir froid aux pieds". Un peu plus loin, c'est le petit frère de Sayed*, lui aussi élève au collège Lezay Marnesia, qui sollicite Yasmine. "Est-ce que vous avez pu trouver mes baskets Cristiano Ronaldo ?" La dame est ravie : elle a pu trouver les fameuses chaussures et elle les lui ramènera "la prochaine fois". Sayed traduit. Son petit frère hurle de joie. "C'est son cadeau de Noël", glisse Sayed, le sourire aux lèvres. Tous les deux ont un rêve : devenir footballeur professionnel.
La plupart des garçons sautent sur le moindre ballon qui leur tombe entre les mains. Ils savent où s'en procurer : au Secours populaire, à quelques dizaines de minutes à pied du camp, où ils peuvent emprunter d'autres jouets et jeux. "Regardez, on a une trottinette là, des vélos... On essaye de s'amuser malgré tout ça", se félicite Aslan. Les enfants de Krimmeri portent, sur leurs petites épaules, un fardeau qui écraserait bien des adultes. Ils n'en oublient pas moins, autant que possible, d'être des enfants.
*À la demande des interlocuteurs, et compte tenu de leur situation de vulnérabilité sociale, nous avons utilisé des prénoms d'emprunt.