Il était le peintre de Louis XIII, pourtant Simon Vouet est inconnu du grand public. Le musée des Beaux-Arts de Strasbourg a acquis en 2019 une œuvre rare de cet artiste majeur, « Le Martyre de sainte Catherine ». Après deux ans de restauration à Versailles, le tableau est enfin visible.
C’est un tableau d’environ 1,70 m sur 1,15 m. Il représente Sainte-Catherine dénudée, la roue dentée à laquelle elle fut mise au supplice à l’arrière, un ange qui descend du ciel au-dessus d’elle. Dans sa main, une palme, symbole des martyrs. Il faut prendre quelques pas de recul pour observer cette œuvre monumentale. L’admirer.
C’est ce que fait Dominique Jacquot. Ce mardi 11 avril 2023, le directeur et conservateur du musée des Beaux-arts a le sourire. Le moment est rare. Plus de deux ans qu’il l'attend. L’œuvre a été achetée en 2019 à un particulier. Une acquisition pour 400.000 euros, permise grâce au soutien financier de la société des amis des arts et des musées de Strasbourg (SAAMS) et du Fonds du Patrimoine (ministère de la Culture).
Ce martyr est un chef-d'œuvre à plus d'un titre. Simon Vouet l'a voulu comme tel dès sa réalisation. Peinte à Rome en 1622, l'œuvre n'a pas été faite pour être accrochée dans une église. "La sainte est à moitié nue" détaille Dominique Jacquot. "Elle a été peinte pour un collectionneur". De fait, elle a passé la majorité de son existence dans des collections privées, loin des yeux du grand public.
Après l’acquisition, il a été décidé que le tableau serait restauré dans le prestigieux Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF). Les locaux de cette institution sont installés à Versailles.
Pas un nuage dans le ciel ce 14 novembre 2022 dans le ciel au-dessus « la petite écurie du roi ». Au premier étage du bâtiment qui abrite le Centre de Recherche et de restauration des musées de France, une femme s’affaire devant le portrait de sainte Catherine. Nous sommes près de six mois avant que le tableau de Simon Vouet n’arrive à Strasbourg. Sa palette dans une main, un très fin pinceau en poils de martre dans l’autre, elle dépose des touches si infimes de peinture qu’elles sont invisibles pour le profane. "Il ne s’agit en aucun cas de repeindre, mais de suggérer" explique Cécile Gouton.
Ses lunettes-loupe ajustées sur le nez, la restauratrice dispose de plusieurs documents pour mener à bien son travail. Des copies qui révèlent certains éléments esthétiques que le temps a assombris. "Par exemple, à cet endroit-là, il y avait de la fumée. Alors, on va essayer de faire comprendre qu’il y avait une forme. Mais la restauration est là pour mettre en valeur l’original, et non se substituer au peintre."
Un tableau vieux de quatre siècles
Par les hautes fenêtres, on aperçoit le château de Versailles au loin. Le tableau a été peint au XVIIe siècle sous Louis XIII. "Vous y pensez que vous intervenez sur un tableau qui a 400 ans ?", demande-t-on à la restauratrice. "Oui, j’y pense et c’est émouvant parce que j’aime ce peintre depuis toujours. C’est un de mes grands chocs de la peinture Simon Vouet."
Ce peintre français, qui deviendra après 1627 le premier peintre du Roi, a été très marqué par son séjour en Italie, et il conservera notamment l’influence du Caravage. Il a peint « Le martyre de sainte Catherine » à Rome en 1622. La restauration a permis d’en attester et la date (jusqu’alors, on pensait que le tableau datait de 1621) et l’originalité.
Car la phase de restauration à proprement parler a été précédée par une importante étude scientifique menée par le département de recherche du C2RMF. Le tableau a été soumis à diverses analyses : radiographie, photographie sous fluorescence d’ultra-violets, réflectographie infrarouge. Cette dernière technique permet aux équipes d’aller « plus en profondeur dans la matière ».
Deux ans de restauration
Il en est ressorti des découvertes majeures. "Ce qui est très intéressant, c’est qu’on a pu voir la signature de l’artiste qu’on n’avait pas jusque-là perçue parce qu’elle est très peu visible en lumière naturelle" explique Oriane Lavit. La conservatrice du C2RMF tient un agrandissement à la main. On y distingue les lettres V,O,V,E et T. "Un Simon Vouet signé, ça fait toujours quelque chose. Là, j’y ai passé un certain temps. J’ai comparé avec d’autres tableaux pour voir la façon dont il signait en Italie."
Cette phase d’étude a permis d’établir que « le martyre » a fait l’objet par le passé de plusieurs campagnes de restauration (on détecte alors les « repeints »). La photographie en lumière rasante donne une idée de l’état de surface du tableau. "C’est extrêmement important parce qu’on voit des soulèvements, ce qui témoigne qu’il y a un décollement de la couche picturale de son support, cela menace l’intégrité du tableau."
Pérennité et mise en valeur
Tous les jours, conservatrice et restauratrice se consultent pour faire des choix en termes de restauration. Un travail collégial qui poursuit une double ambition : il s’agit d’abord d’assurer la pérennité, la conservation du tableau usé par les ans. "Ce n’est pas si facile" témoigne Oriane. "On décide jusqu’à quel degré aller en termes de nettoyage (qui consiste à retirer des vernis de restauration et parfois des repeints)."
Le deuxième objectif de la restauration est la mise en valeur de l’œuvre : "L’idée, c'est de faire ressortir toutes les qualités picturales de Simon Vouet." Le discours de la conservatrice est identique à celui de la restauratrice : "On cherche un équilibre. Il ne faut pas qu’on voit la main du restaurateur."
La restauration, c'est une sorte d'héritage qu'on laisse aux générations futures
Oriane LavitConservatrice au Centre de recherche et de restauration des musées de France
Ces historiens de l’art essaient de savoir tout ce qu’il s’est passé jusqu’au moment où l’œuvre arrive jusqu’à eux. "Un des aspects les plus stimulants du métier" atteste Oriane Lavit. En l’occurrence, ils ne connaissaient pas l’historique des précédentes campagnes de restauration, mais ils disposaient d’une gravure, d’une copie, et savaient par quelles collections le tableau était passé.
Si les équipes travaillent comme des détectives fouillant dans le passé, elles pensent aussi aux générations futures. "La restauration, le patrimoine, c’est une sorte d’héritage qu’on laisse aux générations futures." Toutes les interventions doivent être réversibles, c'est-à-dire être ôtées sans mettre en danger l’original en cas de nouvelle restauration. Pour ce faire, toutes les phases sont consignées. "Chaque restaurateur indique les produits employés, les décisions prises, le tout est accompagné de campagne de photographies régulières pour documenter chaque étape" poursuit Oriane.
Concrètement, la restauration aura d’abord consisté à retirer les anciennes restaurations. "Le tableau a été nettoyé pour maintenir les écailles en place parce qu’elles étaient en soulèvement" détaille Cécile Gouton. "J’ai retiré les épaisseurs de vernis qui ne permettaient plus la mise en valeur des contrastes, de la matière. Au bout d’un moment, les matériaux s’altèrent, les vernis deviennent plus ou moins opaques, ils jaunissent et l’original est un peu comme masqué, comme s’il y avait une vitre un peu opaque dessus."
Subtilité et minutie
Ensuite vient la méticuleuse phase dite "d’intégration". "Ça consiste à valoriser l’original : retoucher le tableau d’abord par des mastics pour remettre à niveau les manques, puis des réintégrations colorées pour retoucher et harmoniser les usures."
Un travail aussi subtil que minutieux qui ne consiste en aucun cas à revenir à l’œuvre originale : "Craquelures et fissures sont irréversibles. C’est une altération naturelle de la peinture" poursuit la restauratrice. Même les « repentirs » (retouches faites par le peintre lui-même et qui ressortent avec le temps) ne sont pas corrigés. Ils attestent eux aussi de l’originalité de l’œuvre.
Mais il faut savoir décider que le travail est terminé. "C’est toujours un peu triste quand ces tableaux repartent parce qu’ils ont passé beaucoup de temps chez nous et on s’est beaucoup investi" avoue Oriane Lavit.
Arrivée à Strasbourg
27 février 2023. Quartier du Port du Rhin, Strasbourg. Un grand soleil brille ce lundi matin et un homme attend debout sur le quai de chargement de l’Union sociale. Un camion non siglé arrive et se gare devant Ludovic Chauwin. Le régisseur et responsable des lieux a le sourire. Le transport du Martyre depuis Versailles s’est déroulé sans incident. Deux hommes descendent du véhicule, en manœuvrent le hayon et sortent une grande caisse de bois.
L’Union sociale abrite les collections des musées de Strasbourg. Depuis un an, les œuvres sont peu à peu regroupées dans ce nouvel espace. Les deux employés de la société de LP art, spécialisée dans le transport d’œuvres d’art, soulèvent la caisse pour l’emmener à l’intérieur du bâtiment. "212,5. Ça passe tout juste !" Avec d’infinies précautions, la caisse est allongée au sol, les vis en sont extraites, le couvercle retiré. Encore une protection de mousse, et… Et on découvre encore un film protecteur en papier blanc.
Dominique Jacquot et Ludovic Chauwin ne montrent pas d’impatience, mais le moment est empreint de solennité. "C’est toujours émouvant de voir un tableau qu’on attend depuis deux ans. Cela va être une vraie révélation parce que je ne l’ai pas vu, seulement en photo" témoigne Ludovic Chauwin. Des photos justement, il va en être question. La caisse est acheminée jusqu’au studio. Elle est déballée, retournée, et voici enfin le martyre de Sainte-Catherine.
C’est très réussi. C’est un travail époustouflant !
Dominique JacquotConservateur du musée des Beaux-arts de Strasbourg
Les deux hommes prennent le temps de contempler l'œuvre. "J’ai pu la voir plusieurs fois à Versailles et suivre la restauration" relate Dominique Jacquot. "L’œuvre était très sombre, et là on a pu avoir accès à ces coloris très forts. Par exemple, on ne voyait pratiquement plus que c’était un ciel bleu. C’était un fond sombre. C’est très réussi. C’est un travail époustouflant !" Ludovic Chauwin acquiesce : "C’est spectaculaire, c’est une œuvre magnifique. On a hâte de la présenter au public au musée des Beaux-arts."
Mardi 11 avril. Voilà plus d'un mois que le tableau est arrivé à Strasbourg, et il est enfin transféré au musée des Beaux-Arts, place du Château, en face de la cathédrale. Les agents le transportent avec d'infinies précautions à l'étage, dans la salle "caravagesque".
Le martyre prend place au milieu d'autres toiles, ayant toutes en commun le fameux "clair-obscur" caractéristique du maître italien. "C'est fait pour que les formes sortent de la toile et qu'elles aient un impact très fort sur le spectateur" explique encore Dominique Jacquot. "On sait même que les peintres pouvaient faire faire un trou dans le plafond de leur atelier pour obtenir un éclairage plus fort".
Le Martyre de sainte Catherine est le second tableau de Simon Vouet que le public strasbourgeois peut admirer. Il répond à l’œuvre parisienne et postérieure « Loth est ses filles », plus colorée, plus élégante. "Pour un musée, pouvoir présenter un chef d’œuvre fait à Rome et un à Paris est une chance unique" s'enthousiasme Dominique Jacquot.
Car s'il est peu connu aujourd'hui, Vouet est l'une des figures majeures de la peinture française et européenne de son temps. "A cette époque en Europe, chaque cour a un premier peintre. A Madrid, c’était Velasquez, Rubens dans les Flandres, et Vouet à Paris." Son opposition à Poussin, le peintre français classique par excellence, l'a empêché d'avoir la place historique et artistique qu'il méritait. L'arrivée de son martyre de sainte Catherine contribuera certainement à le réhabiliter.