Ce n'est pas une surprise Air France a du plomb dans l'aile. Dans une note interne, sa directrice générale Anne Rigail, esquisse ce à quoi devrait ressembler le réseau domestique d'ici 2022. Un réseau allégé, crise oblige, où les aéroports régionaux comme Entzheim paient le prix fort.
L'avenir d'Air France est sombre. Déjà fortement concurrencée par les compagnies low-cost, la crise du Covid, qui a cloué ses avions au sol pendant presque deux mois, enfonce davantage encore la compagnie nationale dans le marasme. Résultat : d'ici 2022 la compagnie supprimera 7800 postes dont 1000 chez Hop! Des suppressions de postes qui s'accompagneront de suppressions de lignes. Premières touchées : les lignes transversales, transrégionales. L'aéroport de Strasbourg-Entzheim n'échappe pas à la règle : il ne conserverait qu'une seule ligne (Lyon) sur cinq. "La désolation" pour Walter Herbster, délégué syndical CGT à Entzheim.
En discussions
Le coup est rude. Dans le plan esquissé par Anne Rigail, directrice générale d'Air France, l'aéroport d'Enzheim se verrait lourdement touché. Sur les six lignes qu'assure actuellement la compagnie Hop! (Toulouse, Marseille, Nice, Nantes, Amsterdam et Lyon), seules Amsterdam et Lyon seraient maintenues d'ici 2022. Par nécessité. La liaison avec Amsterdam étant une délégation de service public, en tant qu'obligation légale, elle ne peut être remise en cause. Du moins pour le moment. Lyon, elle, sera maintenue pour faire la passerelle avec le hub Air France qui arrose toute la France.
Voici à quoi devrait ressembler le futur réseau intérieur français du groupe #AirFrance à partir de 2023 réparti entre le produit #Navette depuis #Orly la régionale #Hop la low-cost #Transavia et le hub correspondances de #CDG selon une infographie publiée par le #Figaro ?? pic.twitter.com/txnpMBeowx
— C'est en l'air ✈️ (@cestenlair) July 19, 2020
Pour Renaud Paubelle, le directeur de l'aéroport de Strasbourg-Entzheim, qui vient de prendre ses fonctions en mai dernier, les débuts sont difficiles. "On prend note de la décision d'Air France, elle impactera certainement l'aéroport. Nous, ici, nous avons une centaine d'employés directs sans compter des commerces et près 1200 personnes qui travaillent pour les services de l'Etat, pour Air France.. . Il y a beaucoup d'incertitudes mais pour l'heure rien n'est décidé, nous allons engager des discussions avec le groupe pour voir comment limiter la casse. Ces lignes ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Pas cet été, ni même à la rentrée. Cela nous laisse le temps de trouver des solutions de substitution." Et l'enjeu est considérable : les lignes Hop! vers Toulouse, Marseille, Nice et Nantes ont transporté, en 2019, 225.000 passagers sur les 1,3 millions qu'a comptablisé l'aéroport strasbourgeois. Soit 17% du trafic global.
On prend note de la décision d'Air France, elle impactera certainement l'aéroport
Deux possibilités : soit Air France continue d'exploiter ces lignes via sa compagnie low-cost Transavia, histoire de concurrencer les compagnies déjà existantes à Strasbourg comme Volotea ou Twin Jet . Soit ces lignes sont laissées à l'abandon et reprises par ladite concurrence. "Il y a vraiment du potentiel pour ces lignes : en 2019, sur la ligne Strasbourg-Marseille, Hop! a transporté 48.600 passagers; 58.000 pour Toulouse ... En optimisant les coûts comme le font Transavia ou Volotea, elles seront rentables. Et d'ailleurs, c'est ce qu'a déjà fait Twin Jet avec la liaison Strasbourg-Lille, ligne déjà délaissée par Air France à l'époque."
Ciel nuageux
Un optimisme que Walter Herbster ne partage pas. Pas du tout. Pour le délégué syndical CGT Air France à l'aéroport d'Entzheim, l'avenir sera "catastrophique." "Transavia ? Je n'y crois pas du tout. Ce qu'on voit nous, depuis plusieurs années déjà, c'est un désengagement progressif mais certain d'Air France sur le lignes transversales depuis 2012. Transavia ne peut pas concurrencer les autres compagnies low-cost, elle n'en est pas capable, en terme de coûts, alors Air France laisse le champ libre. Tout simplement. Air France se concentre sur les longs courriers et abandonne les régions. Ici la supression des lignes vers Toulouse, Marseille, Nice et Nancy, ça représente 53 ETP en moins (NDLR : équivalents temps plein) soit 56% des effectifs en moins. Il n'y aura plus qu'une trentaine d'avions par semaine pour Lyon et Amsterdam. Voilà, c'est tout et c'est fait avec de l'argent public et avec l'aval du gouvernement. C'est honteux. Le Covid sert de prétexte à la politique ultralibérale d'Air France de supprimer toujours plus d'emplois."
Le Covid sert de prétexte à la politique ultralibérale d'Air France
Jean Rottner, président de la région Grand-Est, ne dit pas autre chose. Interrogé ce matin par France 3 Alsace, ce dernier ne cache pas son étonnement alors qu'Air France vient de bénéficier d'une aide de l'Etat de 7 milliards d'euros. " Il y a une crise mondiale au niveau du transport aérien et la France est touchée comme les autres pays, et la répercussion se retrouve aujourd'hui sur nos plateformes aéroportuaires. Ceci dit, concernant Entzheim, il n'est pas normal que seule la liaison vers le Hub de Lyon soit assurée. Il faudra désormais passer par Lyon pour se rendre à Nantes ? Il y a là un risque de voir les territoires de l'Est de la France enclavés. " Walter Herbster de rajouter : "C'est totalement surréaliste : pour se rendre à Nantes via Hop! il faudrait changer d'avion à Lyon alors que Volotea propose une ligne directe ! Sans parler des préoccupations écologistes où c'est juste criminel ...."
Jean Rottner n'a pas non plus apprécié le manque de concertation de cette décision brutale et unilatérale. D'autant que, pour l'aéroport de Nancy, le constat est encore pire : Air France s'y désengagerait totalement. "Dans ce pays les décisions il faut arrêter de les prendre à Paris, loin des décideurs locaux. Avant ce genre d'annonces j'aurais bien aimé pouvoir en discuter avec celles et ceux qui les prennent. La situtation est compliquée, j'en suis conscient mais nous pouvons en parler ensemble et voir ce qu'il est possible de faire." Ce dernier a rendez-vous "prochainement" avec la directrice générale d'Air France pour remettre les pendules à l'heure.
En attendant, à Entzheim, les temps sont durs. "C'est extrêmement tendu ici vous savez" confie Renaud Paubelle "Nous avons de grandes incertitudes sur notre avenir. Les perspectives de trafic sont faibles, la reprise du virus probable. Et tout ça alors que les salariés sont déjà angoissés et travaillent à temps partiel. La trajectoire financière sera compliquée cette année et celles d'après ... Le secteur aérien connaît sa plus grosse crise depuis la seconde guerre mondiale." Tout est dit. Et Walter Herbster de conclure "Ici c'est la désolation la plus totale. On ne travaille plus que 2à 3 jours par semaine, nos salaires sont amputés, nous n'avons plus de perspectives. Ou si, désormais, celle du licenciement."