A Strasbourg, la crise sanitaire n'a pas stoppé les projets d'achat immobilier. Au contraire, le confinement a été une période propice à la réflexion et à la recherche de biens... De préférence avec terrasse ou jardin. Le marché semble donc bien orienté, mais toutes les craintes ne sont pas levées.
En apparence, tout va bien. L'intérêt des Français pour le logement ne faiblit pas. "C'est un besoin primaire", rappelle Franck Maire, co-gérant de la société Alcys, un promoteur indépendant qui mise sur la proximité.
Sa société construit 150 à 200 logements chaque année en Alsace. Dans la région, la demande reste plus forte que l'offre, et le confinement n'a pas freiné les ardeurs. "Il y a eu effectivement un arrêt des contacts à un moment donné" ajoute-t-il "Les gens se sont concentrés sur les enjeux sanitaires et familiaux, ce qui est légitime. Mais très vite, on a vu le retour des acquéreurs"
Ça repart fort, mais jusqu'à quand?
Un constat confirmé par Noorezah Ramsahye, chargée de projets dans la même société. "Même en télétravail, j'ai réalisé trois ventes sans visite, uniquement sur plan" dit-elle. Des transactions qui ont pu être finalisées grâce à l'utilisation de plus en plus généralisée de la signature électronique. Parmi ses clients, un couple de retraités, Raymonde et Jean-Claude. Eux ont tout de même tenu à visiter l'appartement sur lequel ils avaient jeté leur dévolu avant de signer définitivement.
Mais ce fut une formalité. "On vient de Haute-Savoie et on avait besoin de trouver rapidement. Dans l'ancien, il faut trois mois d'attente après la signature du compromis, c'est beaucoup trop long. On s'est donc rabattu sur du neuf" racontent-ils. Ils ont acheté le dernier lot d'une résidence déjà livrée à Oberhoffen-sur-Moder : 240.000 euros pour un F4 et deux garages. "C'est beaucoup moins cher qu'en Haute-Savoie" disent-ils, ravis de s'installer en Alsace.
Selon Franck Maire en effet, la politique volontariste de construction impulsée par les collectivités contribue à contenir les coûts... Mais en partie seulement. "Le foncier est de plus en plus rare et de plus en plus cher, et les normes de qualité renchérissent les coûts, alors qu'il y a de façon évidente une paupérisation des Français" résume-t-il. Lui-même a constaté que certaines ventes ont dû être annulées, faute de financement, parce que les conditions d'accès au crédit après le confinement n'étaient plus réunies. Et il s'inquiète de la situation de l'emploi dans les mois à venir. Si les plans sociaux se multiplient, il y aura forcément un impact sur l'immobilier.
Assouplir les conditions d'octroi du crédit
Aujourd'hui les banques se montrent intransigeantes. "Il faut un apport, sinon c'est rédhibitoire" affirme Karim Kerfouf, courtier immobilier à la tête de l'agence Empruntis de Strasbourg. "Beaucoup de banques ont la pression du Haut conseil de stabilité financière, qui dépend de la Banque de France et qui veut éviter la surchauffe sur les crédits. Elles sont donc inflexibles également sur le taux d'endettement, il ne doit pas dépasser 33% " Sans compter la durée du crédit, limitée à 20 ans.
Toutes ces contraintes pourraient contribuer à saper le dynamisme du marché, et pourtant, l'envie est bien là. Dans son agence de Strasbourg, lui et ses collaborateurs reçoivent une dizaine de sollicitations par jour. Par mail ou par téléphone, plus rarement en présentiel car la prudence reste de mise.
Mais l'incertitude du lendemain, il ne la ressent pas auprès de ses clients, et en particulier les moins de 30 ans. "Pendant le confinement, certains ont gambergé, ils viennent nous voir pour des calculs d'enveloppe - ndlr le montant du crédit auquel ils pourraient prétendre - et en quinze jours, ils arrivent à choisir un bien" raconte-t-il, tout en se demandant combien de temps cette hyperactivité va pouvoir durer, car les stocks ne suivent pas. Pas assez de biens mis en vente.
A flux tendu dans certains quartiers
Khalid Jabir a 16 ans de métier dans l'immobilier. Son secteur de prédilection, les quartiers huppés de l'Orangerie et des Contades. 4.500 euros en moyenne le m2, et jusqu'à 6.000 euros parfois. Malgré les prix affichés dans ces quartiers, le marché est à flux tendu, et depuis le confinement, c'est encore pire. Résultat, les biens sont encore plus chers, observe-t-il. Compter entre 300 et 500 euros supplémentaires du m2 par rapport aux tarifs d'avant confinement.
Mais tous les quartiers de l'Eurométropole ne se valent pas, et le marché est plus ou moins à l'équilibre du côté de Koenigshoffen, Cronenbourg, ou la Meinau. Dans ces secteurs, on peut trouver un 60m2 pour 140.000 euros en moyenne.
Lui aussi constate que les affaires reprennent, mais pour ce conseiller de l'agence Fortissimo, les critères ont basculé : "ceux qui voulaient un balcon veulent maintenant une terrasse, et ceux qui voulaient une terrasse veulent désormais un jardin!" Envie de se mettre au vert après des semaines entre quatre murs...
Cependant, c'est un engouement qu'il nuance considérablement "Avant le confinement, on était sur du qualitatif, maintenant c'est du quantitatif", lâche-t-il. Il estime que 60% des candidats à l'achat n'ont en réalité pas de véritable projet abouti. "C'est du tourisme" regrette-t-il "Des personnes qui ont passé leur temps libre sur Internet, et qui ensuite appellent par curiosité, mais qui ne vont pas donner suite" Il soutient que la plupart de ses collègues partagent le même ressenti. Résultat, ceux qui franchissent le pas sont quand même en grande majorité ceux qui cherchaient déjà à acquérir avant le confinement.