Depuis quatre ans, un chercheur strasbourgeois s’intéresse de près aux tortues qui évoluent dans les parcs de l’Orangerie et de la Citadelle. Son constat est simple : elles sont toutes exotiques et commencent à se reproduire. Réjouissant ? Pas forcément.
Dans le Parc de l’Orangerie et celui de la Citadelle à Strasbourg, elles font la joie des promeneurs et des rêveurs. Avec leurs petites têtes émergeant de leur carapace, les tortues exotiques se plaisent de plus en plus dans nos parcs urbains. Si elle semble parfaitement convenir aux Strasbourgeois, cette installation présente un danger pour la biodiversité.
Depuis 2017, Jean-Yves Georges, chercheur au CNRS-IPHC (Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien) à Strasbourg, se passionne pour les tortues d’eau douce qui vivent dans les espaces publics de la ville. Grâce au programme recherche-action TortuEEES initié avec Adine Hector, responsable du Département Ecologie et Territoire de la Ville et de l’Eurométropole, il s’engage dans une évaluation socio-écologique de la présence de ces tortues.
Rouges et exotiques
Au fil des ans, Jean-Yves Georges a recensé 82 individus. "Toutes les tortues présentes actuellement sont, sans exception, exotiques et de taille adulte" explique le chercheur qui précise qu’il y a "55 individus dans le Parc de la Citadelle et 27 à l’Orangerie". Avec son équipe, ils identifient 13 espèces et sous-espèces. Les deux tiers d’entre elles sont des tortues à tempes rouges, plus communément appelées "tortues de Floride". Les scientifiques lui préfèrent le nom de Trachemys scripta elegans.
Elle est facilement identifiable grâce à ses taches uniques de couleur rougeâtre qu'elle porte aux tempes. Son plastron est de couleur jaune et sa carapace dorsale oscille entre le vert marron et le vert brun. Petites, elles sont vertes jaunâtres et ne sont pas plus grosses qu’une pièce de deux euros. "Ce sont des bestioles très mignonnes", reconnaît le chercheur.
Une seule se démarque : la tortue à carapace molle. D'origine asiatique, elle se remarque à son petit nez en forme de trompette. On en compterait une seule, au Parc de la Citadelle.
A la conquête de l’Est
Pour comprendre pourquoi ces reptiles exotiques sont aujourd’hui à Strasbourg, il faut remonter à la Seconde Guerre mondiale : "Envoyés en Europe, les soldats américains ont débarqué avec leurs animaux de compagnie. Petites de taille, cette tortue aux tempes rouges tenait parfaitement dans une poche", explique Jean-Yves Georges. Ce serait les débuts de cette mignonne tortue sur le vieux continent.
Dans les années 1970, on assiste à une réelle production de cette tortue dans le monde entier. Des milliers de spécimens sont vendus jusque dans les années 1990. Ces NAC, nouveaux animaux de compagnie, font un carton dans les animaleries, cadeau idéal pour les enfants. Problème : la tortue grandit très vite et vit très longtemps. Contrairement aux enfants qui, un jour quittent le nid, la tortue reste sur les bras des parents. Ces derniers, animés de bons sentiments, (Jean-Yves Georges en est persuadé) l’imaginent plus heureuse dans un milieu naturel que dans un aquarium au milieu d’un salon. Et c’est ainsi qu’elles se retrouvent à l’Orangerie ou à la Citadelle. D’autres tortues se carapatent d’elle-même hors de leur jardin.
Dernière avancée notoire : depuis 2018, les équipes du chercheur ont établi six carnets roses, six bébés tortues à tempes rouges. C’est une information de taille pour Jean-Yves Georges : "Ces reptiles avaient l’habitude de se reproduire sous des latitudes plus chaudes. Pendant longtemps, on entendait dire que les tortues à tempes rouges ne se reproduisaient pas au-dessus de la Loire. C’est faux. Aujourd’hui, elles survivent aux hivers alsaciens, elles se reproduisent, c’est bien la preuve qu'elles sont en train de s’installer".
J’y suis, j’y reste ?
Le chercheur parle bien "d’installation" et non de "prolifération". Précisons qu’une tortue pond 10 œufs : 5 à 10% d’entre eux peuvent donner un animal viable. "On n’est pas sur une phase exponentielle mais il y a lieu de s’en préoccuper car ces tortues empêchent l’installation d’amphibiens, d’insectes, de libellules et de papillons dans nos parcs urbains, qui sont des milieux assez pauvres en termes de biodiversité".
La Ville de Strasbourg est bien consciente du problème potentiel que cette installation représente. Elle réfléchit actuellement à des solutions. Sur la base de cette étude scientifique, elle envisage de stériliser les individus et de les installer dans un sanctuaire dédié. Un appel à projet devrait être lancé dans les prochains temps.