Ruben*, graffeur de confession juive, a été agressé alors qu'il travaillait dans la cité Spach, à Strasbourg, le 26 août dernier. Son aggresseur l'a menacé avant de prendre l'une de ses bombes de peinture pour écrire des insultes antisémites et sexistes sur le sol. Il raconte.
"Qu’on me dégage parce que je suis de confession juive, c’est aberrant et intolérable." Ce n'est plus un sentiment de peur mais un désir de justice qui anime Ruben*, ce vendredi 25 septembre.Ce designer graphiste et illustrateur de confession juive a subi une agression antisémite, mercredi 26 août dernier. Ce jeune d'une vingtaine d'années travaillait à décorer un boîtier électrique de la cité Spach, un quartier à l'Est de Strasbourg, sous contrat avec la ville. Il portait alors un t-shirt sur lequel était inscrit plusieurs noms de villes et pays, parmi lesquels "Israël". Son agresseur l'a pris à partie, bousculé et menacé : "tu es juif, tu n'as rien à faire ici", avant de lui prendre l'une de ses bombes de peinture et d'inscrire, sur le sol de la rue Léon Blum : "Interdit aux juifs" et "salope".
Nous avons recueilli son témoignage quelques heures avant le procès. Le prévenu est poursuivi pour "menaces", "injures raciales", mais également pour "extorsion en raison de la religion", et encourt jusqu'à 10 ans de prison ferme. L'audience, prévue ce vendredi après-midi, a finalement été renvoyé au 21 octobre.
"Il ne faut plus laisser passer ça"
Le jeune garçon, encore traumatisé, explique avoir tenu à être présent lors de l'audience pour témoigner.J’avais le choix de ne pas revenir, de peur de revoir mon agresseur. Mais je viens non pas pour moi, mais pour les autres, pour que la justice mette un coup de pression à ces personnes-là et que ça serve de leçon. C’est complètement banalisé et il ne faut plus laisser passer ça.
Il raconte avoir été agressé, le 26 août dernier, au bout d'une heure après avoir commencé à travailler.
J'ai été pris à partie par un homme, grand, intimidant, qui m’a interpellé et qui est venu vers moi. Il m'a demandé ce qu’il y avait sur mon t-shirt. Je ne savais pas du tout ce qu’il y avait sur mon t-shirt, j’en ai pris un comme ça, pour pouvoir le salir, sans grande importance. Il m’a dit qu’il y avait écrit "Israël" dessus.
L'illustrateur explique avoir créé le t-shirt en question pour un camp scout. Au dos, un portrait avec écrit, en tout petit, plusieurs compagnies : Nancy, Toulon… et Israël. Devant, un logo "éclaireurs et éclaireuses israélites de France" y figure.
Ruben l'assure : "ce n'était pas un geste de provocation". Quand l'homme devant lui se montre agressif, il va dans son sens.
Il a commencé à monter dans les tours, à me dire "dégage" d’une façon très violente. Et il m’a ordonné de changer de t-shirt. Il a ramené un de ses amis et ils m’ont encerclé. J’étais intimidé, humilié. J’avais peur. Je suis rentré chez moi, j’ai changé de t-shirt, et je suis revenu parce que j’avais un travail à terminer.
Mais l'homme qui l'a menacé quelques heures plus tôt ne s'arrête pas là.
Au bout d'un moment, il revient et me demande très gentiment, et c’est là que c’est vicieux, une bombe de peinture. C’est du corps-à-corps, il est vraiment très proche de moi. J’avais une petite idée de ce qu’il allait faire, parce qu’il déblatérait des insultes à propos des juifs et d’Israël. Il a fait son tag, moi je suis resté concentré sur mon travail, dans une espèce d'"effet tunnel" : on regarde droit devant soi et on anesthésie les dangers.
Pendant 3 heures, Ruben raconte se sentir surveillé. L'homme lui tourne toujours autour. "Je ne savais pas s’il allait appeler des copains, à tout moment je risquais de me faire me casser la figure. Quand j'ai découvert son casier judiciaire, je me suis dit que je l’ai vraiment échappé belle."
"L'antisionisme dérive vers l'antisémitisme"
Le casier de cet homme de 38 ans, connu de son quartier pour des faits de délinquance, comporte en effet 21 condamnations, pour certaines desquelles il a fait de la prison. Il a été placé sous contrôle judiciaire le 29 août et a reconnu les faits. A l'audience de renvoi, ce vendredi, il a tenté de s'excuser à la barre, invoquant des problèmes d'alcool et familiaux.De son côté, Ruben réclame une réparation du préjudice subi : "J'ai eu un suivi psychologique. Je ne mangeais plus, je travaillais plus, je me levais très tard, et ça ce sont des effets post-traumatiques." Pour son avocat, Me Nisand, cette affaire est grave : "Une fois de plus, l’antisionisme dérive vers l’antisémitisme, et pour la première fois depuis la Shoah, une rue de Strasbourg est interdite aux juifs, c’est revendiqué par le tag de ce monsieur."
En tant que designer graphiste, le jeune homme qui se décrit comme un "amoureux de Strasbourg" se faisait une joie de travailler pour la ville. "J’étais hyper heureux. Et dans cette démarche d’amour et de partage, j'ai été pris à parti et dégagé parce que je suis juif… C’est vraiment insoutenable." Après avoir raconté son agression, il souffle, résigné : "On me l’avait répété. Tôt ou tard, en tant que juif, on te rappellera toujours que tu es juif. Je n'ai pas l’image clichée que l’on se fait du juif, donc ça peut vraiment arriver à tout le monde."
Des chiffres publiés au début de l'année montraient une augmentation de 27 % des actes antisémites en 2019. Jamais l'Alsace n'avait connu un pareil bilan depuis 15 ans.
*Le prénom a été changé