TEMOIGNAGE - Affaire du Mediator en Alsace : "on est des petites gens mais on a droit à de la considération"

Alors que s'est rouvert ce lundi 2 juin à Paris le procès des laboratoires Servier dans l'affaire du Mediator, ce médicament contre le diabète et prescrit comme coupe-faim, à l'origine de graves lésions cardiaques, entre autres, nous avons recueilli le témoignage de l'une des victimes alsaciennes.

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Pour les besoins de cet article, nous l'appellerons Chantal. Chantal a 62 ans, elle est Strasbourgeoise et une vie parsemée d'embûches. Une voix chaleureuse, des mots qui s'emmêlent. "Pardon pour les dates, je ne sais plus, c'est loin. Anonyme, hein, le témoignage? A la fin du procès, je veux bien donner mon nom, pas avant, vous comprenez". On comprend la peur des représailles, la peur du pouvoir des grands de ce monde. D'ailleurs Chantal ne cesse de le répéter. "Est-ce qu'ils vont nous croire? Est-ce qu'ils vont nous prendre en considération? On est des petites gens mais on a droit à la considération comme les autres. Vous savez, j'ai tout ça en tête, on veut minimiser ma maladie", souffle-t-elle.

Pour Chantal, tout commence par un cancer du sein en 1998. Ablation du sein droit, on lui propose une reconstruction mammaire mais Chantal ne veut pas entendre parler de prothèse quelle qu'elle soit. Elle a entendu parler d'une possibilité de greffe à partir de muscle, c'est ce qu'elle choisit. Mais pour cela il faut prélever de la peau et donc maigrir un peu. Ni une ni deux, son médecin lui prescrit du Mediator, un antidiabétique utilisé comme coupe-faim. Durant 5 à 6 ans, Chantal va consciencieusement prendre ce médicament des laboratoires Servier, qui commence déjà à ce moment là, à être dénoncé comme dangereux.

 

Des valvulopathies à la chaîne

"Au début ça a très bien marché, j'ai perdu du poids et j'ai pu réaliser la reconstruction mammaire", parvient-elle à sourire. Sauf que très vite, des symptômes apparaissent. Essoufflement, fatigue, problèmes respiratoires. "Jamais je n'ai pensé que c'était le médicament, raconte encore Chantal. On met ça sur le dos du cancer, ou autre, on se plaint mais pas trop, on ne sait pas". Jusqu'au jour où la sexagénaire consulte une cardiologue. Immédiatement, le diagnostic est posé, Chantal souffre d'une valvulopathie, un dysfonctionnement des valves cardiaques, comme de nombreux patients ayant pris du Mediator. Des effets secondaires à la pelle, parfois gravissimes. 

"La fatigue c'est le plus terrible. Je dois réfléchir au moindre déplacement, au bout de 300 mètres, je suis essoufflée, je ne peux plus faire de sport, difficilement monter les escaliers, porter un pack d'eau, c'est toute une histoire, énumère Chantal. Je dois solliciter mon mari, mes petites filles aussi qui viennent me faire les vitres, c'est sûr j'aurais sans doute pu avoir une plus belle vie, qui sait..." Sans compter la dépression qui a suivi l'annonce de la maladie. 

 

Plus de 4.000 parties civiles

Alors évidemment, Chantal, comme les 4.000 autres victimes qui se sont portées parties civiles, attend beaucoup de ce procès hors norme. Un procès qui a démarré en septembre dernier, suspendu pour cause de confinement et qui a repris le mardi 2 juin. 5 millions de personnes se sont vues prescrire du Mediator durant les 33 années de sa commercialisation, finalement suspendue en 2009. Des centaines d'avocats sont mobilisés sur cette affaire, certains planchent dessus depuis 10 ans. Maître Claude Lienhard est de ceux là. L'avocat strasbourgeois défend Chantal et une centaine d'autres plaignants.

"Les victimes attendent beaucoup de ce jugement. Et notamment une reconnaissance de leur préjudice moral et d'anxiété explique l'avocat. Sans compter que certains ne pourront assister à ce procès parce qu'ils sont morts! s'exclame Claude Lienhard. On ne connaîtra d'ailleurs jamais vraiment l'étendue de la catastrophe. Et l'enjeu de ce procès, c'est aussi une remise en cause du système : les pressions, les dénégations des uns et des autres. Dans ce dossier, il y a des éléments qui doivent conduire à une condamnation. Des dommages et intérêts évidemment, mais la sanction ultime serait une interdiction d'exercer pour les laboratoires Servier dans la branche pharmaceutique".

 

Place aux plaidoiries des parties civiles

Les laboratoires sont poursuivis entre autre pour "tromperie aggravée", "escroquerie" et "homicides et blessures involontaires". Le fondateur de cette industrie pharmaceutique, Jacques Servier ne comparaîtra pas, il est décédé en 2014. L'Agence du médicament, qui ne nie pas sa responsabilité, comparaît pour avoir tardé à retirer le Mediator du marché. En tout, le procès compte 23 prévenus. Depuis mardi 9 juin, place aux plaidoiries des parties civiles. "J'attends une reconnaissance de la tromperie, martèle Chantal, autant qu'elle demande encore, est-ce qu'on va nous croire? Parce qu'à l'époque quand j'ai voulu récupérer mon dossier médical, mon médecin traitant était à la retraite et sa remplaçante disait ne pas le retrouver. Comme si on ne voulait surtout pas en parler. Heureusement, la sécurité sociale l'a retrouvé et j'ai pu prouver ce que j'avançais"

Omerta, pression, dessous de table, mutisme, le procès qui doit s'achever début juillet devra répondre aux très nombreuses questions que se posent les victimes du Mediator. Le jugement lui ne sera pas rendu avant la fin de l'année et ne rendra de toutes façons pas leur santé à Chantal et aux autres plaignants.

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