TEMOIGNAGE - Coronavirus : "Notre métier est clairement en danger" explique Juliette Bossert, guide-conférencier

Juliette Bossert est guide-conférencier depuis 5 ans. Cette année, pour la première fois de sa carrière, elle n'animera pas de visites pour ces journées du patrimoine. Juliette sera dans les vignes, pour les vendages. Une nécessité. Un crève-coeur. 

Ils sont une quarantaine ce samedi 19 septembre, rassemblés devant la cathédrale de Strasbourg. Masqués. Muets. Eux qui, d'habitude, distillent grandes histoires et petites anecdotes le long de leur route, n'ont plus rien à dire. Car ils n'ont tout simplement plus personne à qui raconter. Plus de touristes.

A titre d'exemple, la cathédrale, toujours elle, monument le plus visité d’Alsace, a accueilli 250.000 visiteurs au lieu des 500.000 enregistrés l’an passé sur les deux mois estivaux. La crise sanitaire a frappé le secteur du tourisme de plein fouet et ébranle aujourd'hui toute une profession longtemps oubliée. Juliette Bossert, vice-présidente de l'association des guides-conférenciers d'Alsace, a décidé d'y remédier.


 "Cette année, on est beaucoup de guides dans les vignes" 


Nous l'avons dit, pour la première fois de sa jeune carrière, Juliette ne participera pas aux journées du patrimoine. Journées pourtant si emblématiques pour tous les amoureux d'histoire et particulièrement ceux qui ont décidé d'en faire leur métier. Non. Car Juliette doit faire les vendanges. Pour gagner sa vie. Autrement.

"Je n'ai pas vraiment le choix cette année. Et d'ailleurs, je peux vous dire, que nous sommes plusieurs guides dans les vignes en ce moment." raconte la jeune femme de 27 ans sans aucun misérabilisme. Une mise au vert contrainte mais pas subie. " Disons que cette expérience me servira plus tard j'espère quand je ferai la visite de la route des vins. Mais c'est vrai que ce week-end c'est particulièrement difficile. Je ne peux m'empêcher de penser que ma place est ailleurs. Ça fait mal au coeur oui." 
 

Je ne peux m'empêcher de penser que ma place est ailleurs

Juliette Bossert, guide-conférencier



Courant septembre, Juliette n'a que deux visites organisées sur son agenda. Et ce silence de cathédrale dure depuis six longs mois. Une situation intenable financièrement. "Au sein de l'association, où nous sommes 107, nous essayons de nous partager le peu de visiteurs qu'il y a. En tant que freelances, nous avons droit jusqu'en décembre au fonds de solidarité versé par l'Etat. Mais 1500 euros par mois, ça ne suffit pas. Et notre métier, basé sur le contact humain, les échanges, nous manque cruellement." Les guides salariés, eux, ne perçoivent rien. Ils seraient pourtant environ 40 % des guides de France.

Juliette, comme la plupart des guides-conférenciers, vit de sa passion et de ses visites. 30 à 100 euros de l'heure, selon la durée de la prestation et sa difficulté. Lissé sur l'année, Juliette gagne entre 2000 et 2500 euros bruts par mois, "en travaillant tous les week-ends et les jours fériés." Cette année, ses revenus chuteront de ... 90%. 
 

Un métier en danger


Au sein de son association, la moitié des guides conférenciers comptent arrêter leur activité. " Ces chiffres sont représentatifs de la tendance nationale. Evidemment, quand on ne peut plus gagner sa vie avec les visites, on se reconvertit. Certains de mes collègues, ont déjà repris leurs études à la rentrée,  ils changent de voie. Notre métier est menacé. C'est aussi simple que cela." Ecoutez à ce propos, l'intervention de Stéphane Bern, sur le plateau de C à Vous.
 
Devant ce constat alarmant, les guides conférenciers ont organisé ce samedi 19 septembre des manifestations silencieuses partout en France. Toulouse, Paris, Lyon ... partout les mêmes masques marqués d'une croix lourde à porter, partout les mêmes cris de détresse, muets. "A Strasbourg, nous étions une quarantaine. C'était une manière forte de faire parler de nous, nous qui sommes aussi les grands invisibles de cette crise. Les grands muets."
 

D'autant que les perspectives de reprise ne sont pas pour demain. Loin s'en faut. "Une étude nationale a été menée par les grands acteurs du tourisme. Les conclusions sont claires : le retour à la normale, ou disons, à peu près à la normale, ne serait pas pour avant 2022." De quoi perdre la voix et la vocation. "On ne tiendra pas jusque-là."
 

Une reconnaissance 


Les revendications des guides-conférenciers sont simples. La prolongation de la protection financière d'abord. "Nous sommes dédommagés jusqu'en décembre mais tout le monde sait que les mois de janvier et février sont creux. Nous n'avons quasiment pas d'activité durant cette période. Si les aides s'arrêtent en janvier, nous n'aurons plus rien du tout." L'extension de ces aides ensuite aux guides conférenciers salariés : "Il n'est pas normal que les guides conférenciers salariés n'aient droit à aucune aide. Eux ils n'ont plus rien depuis le mois de mars. Personne n'en parle." 
 
Et pour finir, la reconnaissance de ce métier à part entière et l'encadrement strict des visites guidées gratuites qui fleurissent un peu partout en France. "C'est une réelle concurrence déloyale que nous subissons depuis plusieurs années déjà. Quand tout allait bien, disons que nous le tolérions à peu près mais là c'est plus tenable. Les Free Tour et compagnie se sont des pseudo guides qui font des visites pseudo gratuites. Ces gens-là pour la grande majorité, n'y connaissent rien, n'ont pas de diplôme. Et à la fin, il faut laisser un pourboire. Y a rien de gratuit. La prestation est payée mais sans aucun revenu fiscal. Et l'Etat laisse faire ça .... et nous on est en train de disparaître à petit feu."
 

Les visites guidées gratuites ? De pseudo guides, une pseudo gratuité et surtout une concurrence déloyale

Juliette Bossert, guide-conférencier




Après la manifestation, Juliette, avec son anglais et son allemand parfaits, sa licence de guide-conférencier, va retourner à Dambach-la-Ville. Elle retrouvera son sécateur et courbera l'échine le temps qu'il faudra. Mais Juliette, c'est sûr, lèvera souvent la tête au loin. Vers la flèche de la cathédrale. Vers les histoires qui l'accompagnent. "Moi, je n'abandonnerai pas ce métier. Surtout pas." 
 
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