C'est la première fois qu'un policier porte plainte pour racisme au sein de la police. Haykal Rezgui Raouaji ne supporte plus le racisme ambiant au sein des motards de la police de Strasbourg. Voici son témoignage.
Haykal Rezgui Raouaji n'y va pas par quatre chemins. "Je suis victime de propos racistes, de discrimination et de harcèlement de la part de mes collègues et de ma hiérarchie", explique d'une voix très calme ce policier de 37 ans. Cette situation, il dit la vivre depuis septembre 2018, quand il arrive à Strasbourg à la suite d'une mutation au sein de la Formation motocycliste urbaine départementale (Fmud) de la police nationale à Strasbourg. Il l'avait demandée pour rejoindre sa femme, elle-même policière dans la capitale alsacienne.
Parcours exemplaire
Avant cette mutation, c'est le parcours d'un policier exemplaire et passionné. Originaire d'une cité de Toulouse, il devient motard de la police, et pendant 16 ans, il enchaîne les différentes affectations à Nîmes, Nices, Vannes et en région parisienne, avec la volonté de faire tout dans les règles, sans jamais subir le racisme de ses collègues. "J'aime mon métier et mon pays, et j'ai dû travailler dur pour y arriver. Ca n'a pas été facile, aussi parce que je viens d'une cité. Mais je suis fier d'être policier", explique Haykal."Et au moment de sa mutation, il étudiait le soir pour passer le concours et devenir lieutenant", ajoute Françoise, sa femme. En 2016, il est décoré par le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve, après le sauvetage en 2014 de deux enfants dans un incendie. Alors quand il demande à rejoindre Strasbourg et sa famille, il l'obtient et se réjouit de venir vivre en Alsace. "Ca fait 10 ans qu'on y habite, on a des amis ici, ma famille", souligne Françoise. "On avait fait ce choix de l'Alsace pour la naissance de nos enfants."
Racisme ambiant
C'est au commissariat de Strasbourg qu'il entend les premiers propos racistes de la part de collègues. "Ça a commencé par des moqueries sur mon nom de famille, "c'est un nom français bien de chez nous", et puis les termes de "bougnoules, bicot, négro" utilisés par mes collègues quotidiennement. J'ai essayé de les recadrer, ils disaient "oui, oui", mais après ils continuaient". Un noyau de 6 ou 7 personnes au sein d'une brigade de 20 policiers, selon Haykal Rezgui Raouaji. "Et mon chef direct utilise lui-même ces mots, donc comment voulez-vous qu'ils le disent à leurs effectifs ?"Il dit aussi avoir été régulièrement ramené à sa religion (musulmane) et à ses origines maghrébines. Lors des attentats de Strasbourg, en décembre 2018, Haykal Rezgui Raouaji est appelé pour intervenir, il porte secours à la troisième victime de Cherif Chekatt, Kamal Naghchband. Le lendemain, il rencontre l'un de ses collègues qui refuse de lui serrer la main et le ramène, une fois de plus à sa religion et à ses origines pour justifier son antipathie à son égard.
Cette situation l'a plongé dans une grande angoisse puis une dépression. Quelques mois plus tard, il est affecté dans un autre commissariat à Bischheim. Il vit très mal ce changement d'affectation, surtout que les collègues qui ont eu des propos racistes ne sont pas inquiétés. Un collègue syndicaliste lui dit même qu'il aurait obtenu plus rapidement une mutation s'il avait dit que le problème venait de lui, et non du racisme dont il était victime.
Dans ce tweet posté par Là-Bas si j'y suis, on entend clairement l'échange :
Nous publions également un document édifiant : à la machine à café, un dialogue en micro caché entre le policier HAYKAL, victime de racisme de la part de ses collègues, et CHRISTOPHE, son responsable syndical @alliancepolice. En intégralité ici : https://t.co/1jk0EkOCFl pic.twitter.com/qRBZGduVKx
— Là-bas si j'y suis (@LabasOfficiel) September 17, 2020
Sa femme visée
Françoise Meyer, gardien de la paix dans un autre commissariat, a été victime d'un acte malveillant. Elle a retrouvé un matin son arme chargée avec des balles non réglementaires pour son service sur la voie publique (des balles réservées au tir d'entraînement, et interdites formellement dans la rue). Elle a signalé tout de suite le problème à son supérieur. L'enquête n'a pas encore aboutie, elle a décidé désormais de porter plainte, ce sentant visée à travers son mari.Quitter l'Alsace à regret
Françoise Meyer est triste de ce qui se passe. "On était bien à Paris, c'est lui qui a voulu aussi qu'on se rapproche de ma famille, pour moi ! Si j'avais su que l'Alsace était devenue comme ça, c'est sûr qu'on ne serait pas venus. Aujourd'hui, notre fille fait de la danse alsacienne et elle adore. En famille, on fait des jeux de mots avec l'alsacien, le français ou l'arabe", ajoute-t-elle."Moi parfois je m'amuse à sortir une expression en alsacien", sourit Haykal, pour la première fois depuis le début de l'interview. "Notre famille est métisse, et nous on vit bien comme ça", dit-il. "A la limite, si certaines personnes sont racistes, moi ça m'est égal. Mais quand on passe la porte du commissariat, on est policier, et là ça ne va pas du tout. On ne peut pas sortir des propos racistes en service, ce n'est pas possible."
Aujourd'hui, par la voix de leur avocate, ils demandent une mutation à Toulouse et une promotion, pour refaire leur vie ailleurs, près de sa famille à lui. Haykal Rezgui Raouaji est décidé à porter plainte par "le ras-le-bol de se sentir tout seul et lâché par ma hiérarchie. Parce qu'au lieu de me soutenir, ils ont essayé de tout étouffer". La plainte pour harcèlement, propos racistes et discrimination sera déposée lundi 21 septembre devant la Tribunal de Strasbourg.