L'école de pilotage EATIS, sur l'aéroport de Strasbourg-Entzheim, est en redressement judiciaire. Pour les futurs pilotes, c'est la désillusion. Ces élèves ont engagé des sommes allant de 10 000 à 68 000 euros, parfois sans pouvoir finir leur formation. Tous et toutes déplorent de gros manquements.
Rêver de piloter des Airbus ou des Boeing, puis se retrouver bloqué en plein milieu de sa formation. C'est la mésaventure que vivent actuellement des élèves de l'école de pilotage EATIS. L'établissement est situé à Entzheim, l'aéroport situé près de Strasbourg (Bas-Rhin).
Peu avant le printemps 2023, l'école et la compagnie aérienne qui lui appartient sont placés en "redressement judiciaire". Elle n'est plus en capacité de donner les formations nécessaires pour obtenir notamment la licence de pilote privé (PPL) ou celle de pilote de ligne (ATPL).
Ce qui suscite autant la déception que la colère, pour d'anciens et de récents élèves. Pour certains, il s'agit d'un pas important pour la suite de leur carrière. Témoignages.
Un rêve abordable mais brisé au moment crucial
Claire*, 30 ans, avait déjà une idée claire pour son avenir : "Être pilote de ligne, et pas seulement pilote à titre privé pour le plaisir". Aujourd'hui, elle voit son projet totalement remis en question. "Pour le moment, j'ai perdu toute motivation à poursuivre une carrière dans l'aviation. Je pense que je vais m'y remettre un jour, mais tant que cette procédure est en cours, ça ne me motive pas. J'ai dépensé près de 10 000 euros pour cette formation, et j'avais encore de l'argent sur mon compte à l'école. 10 000 euros, sans compter les accessoires : le casque audio pour les communications radio, le carnet de vol pour noter les heures de vol entre-autres", déplore-t-elle.
En cause, le "redressement judiciaire" de l'école où cette Strasbourgeoise suivait ses cours depuis septembre 2022. Elle voulait y obtenir la licence de pilote privé : un préalable avant de viser plus haut, donc la licence de pilote de ligne. Elle a appris la triste nouvelle par son instructeur, en février 2023 :
Un jour, j'ai reçu un message où l'on me disait qu'il n'y avait plus d'heures de vol. La maintenance des avions n'avait pas été payée. Elle n'avait pas été faite, donc ils n'étaient pas utilisables.
Claire (prénom modifié)Elève de l'EATIS au moment du redressement judiciaire
Elle ajoute qu'il "ne restait que des heures de cours."
Moins d'un mois plus tard, le tribunal judiciaire de Strasbourg (Bas-Rhin) rend son jugement. L'école comme sa filiale chargée d'exploiter des avions sont placés en "redressement judiciaire". Claire essaie de trouver une solution, mais finit par se lasser : "J'ai déjà eu la partie théorique, donc je n'aurai que l'épreuve pratique à passer. Ce sera un coût moins important en effet, mais il n'y a pas d'autres écoles pour former les pilotes, sauf peut-être le Polygone à Strasbourg. Cela dépend des avions utilisés, mais ce sont des modèles sur lesquels je n'ai jamais volé, que je ne connais pas. Il faudrait que j'aille à l'étranger ou ailleurs en France."
Depuis, Claire est amère : "Je suis dégoûtée par ce qui se passe, et qui m'éloigne de mon rêve. De septembre 2022 à février 2023, j'ai eu des heures de cours et j'ai volé 15 heures. Je ne sais pas combien d'heures il faut, pour la licence de pilote privé. Je fais mon PPL, et à côté j'étais salariée à plein temps." Elle ne veut pas en dire davantage sur le secteur où elle travaille en même temps qu'elle suivait ces cours, par "respect" pour son employeur et parce qu'elle est soucieuse de "faire sa carrière dans l'aviation, et qu'il s'agit d'un petit milieu".
Elle est aussi en colère.
On devait avoir un compte à l'école, sur lequel on devait mettre de l'argent. Au moins 1 200 euros minimum, pour avoir des heures de cours et de vol. On faisait des virements, en fonction de ce qui nous restait dans notre compte.
Claire (prénom modifié)Elève de l'EATIS au moment du redressement judiciaire
"On a été contactés par des huissiers, pour transmettre tous les documents en notre possession, tout ce qu'on a dépensé pour l'école. On a dû indiquer aussi le montant qu'il nous restait sur notre compte chez EATIS."
Son indignation ne décroît pas : "Depuis, on n'a pas vraiment de nouvelles par rapport à ça. On ne sait pas où ça en est, on ne sera sûrement pas remboursés de cette somme, comme il y a d'autres créanciers, dont les entreprises chargées de louer les avions, de faire les entretiens, qui n'ont pas été payés. L'année dernière déjà, quand j'avais compris que l'école n'allait pas trop bien, j'ai demandé qu'on me rembourse pour quitter l'école. On m'avait dit que ce n'était pas possible car les comptes étaient en dessous de zéro."
Une formation terminée mais chaotique
Fadil* a 27 ans et exerce maintenant comme pilote de ligne à l’étranger. Ce Strasbourgeois a été formé à l'école EATIS, entre janvier 2017 et octobre 2018. Cet ancien élève a ensuite été employé dans la compagnie aérienne filiale de l’école, de 2021 à fin mai 2022. Le jeune homme garde aussi un souvenir très mitigé de l’établissement : "À l’heure actuelle, Eatis ne me doit plus rien et je ne veux plus rien d’eux." S’il a pu terminer la formation à temps, il se sentait déjà inquiet. "Le président de l’époque, malheureusement décédé, a dû réinjecter effectivement une certaine somme d'argent pour pouvoir remettre l'école à flot", nous confie-t-il.
D’autres éléments viennent le conforter dans son avis : "Celui qui avait le rôle de directeur commercial, en charge des formations et des étudiants, avait tendance à gonfler les factures. Certaines personnes se sont malheureusement fait arnaquer de cette façon-là. Ce n’était pas mon cas."
Le directeur demandait d'avoir toujours un solde positif, de virer par exemple de 10 000 euros d'un coup
Fadil (prénom modifié)Pilote de ligne, ancien élève à l'EATIS
"Il disait que c'était pour payer une partie de la formation sans être en déficit sur notre compte, mais c'était un prétexte évidemment faux", fulmine-t-il.
Fadil reste vigilant, ayant contracté un prêt étudiant et travaillant en en grande surface : "J’ai déboursé au total 68 000 euros. J’avais signé un devis en début de formation qui se chiffrait à 60 000 euros. J’ai emprunté 60 000 euros et j’ai fait un petit apport de mon côté. Sauf qu’au fur et à mesure du temps, pendant la formation, je me rends compte qu’elle sera plus chère. Le président voulait absolument vendre des formations complémentaires, à chaque fois. Le devis se garde bien de préciser qu’il y aura des heures supplémentaires. Que le nombre d’heures compris dans la formation est au minimum des heures légales, et qu’on n’en aura pas assez pour passer l’examen."
Le candidat-pilote se trouve obligé de payer "une quarantaine d’heures en plus, entre 130 et 150 euros l’heure de vol". Pas question de laisser passer cet écart : "Quand je me suis aperçu de cela, j'ai été voir le directeur en lui disant que je ne paierai pas un centime de plus et qu'il devait se débrouiller pour trouver les fonds. Un devis qui est signé est un contrat : il doit respecter son engagement, autant que je le respecte. Je m’en suis plutôt bien sorti, j’ai reçu des remboursements en fin de formation. On va dire que sur cette partie-là, je ne suis pas à plaindre."
Fadil devient ensuite un des pilotes de la compagnie aérienne d’EATIS, et constate des lacunes.
La compagnie ne recevait pas les pièces de rechange, puisque le constructeur les bloquait comme il n’avait pas reçu les fonds
Fadil (prénom modifié)Pilote de ligne, ancien élève à l'EATIS
La liste est encore longue : "Les maintenances des avions n’étaient pas payées à temps. Les jours de repos n’étaient pas respectés, on pouvait être appelés pour un remplacement, sur nos congés. Les cartes de crédit ne passaient pas quand on allait dans les hôtels, comme il n’y avait pas d’argent dessus. Pourtant, en 2021, quand j’ai intégré la compagnie aérienne, on avait l’impression que tout allait bien, puisque l’école était là. On faisait beaucoup de vols", se souvient-il.
Là encore, ce n’était qu’une impression. Par la suite, son salaire n’est pas payé à temps : "Ils arrivaient quand tous les prélèvements étaient déjà passés, donc vers le 15 ou 18 du mois. Déjà qu'ils n'étaient pas très importants, cela m’a mis en difficulté. J’avais mon prêt à rembourser, à cette période-là. J'ai eu de la chance de vivre chez mes parents, donc je n'avais pas de loyer ou de frais annexes encore à débourser." Il pose finalement sa démission, peu avant le milieu d’année 2022. Environ six mois plus tard, son pressentiment se confirme : "Toute la structure, école et compagnie aérienne, a fait faillite en fin d'année 2022."
Pas de regret pour lui, d'autant qu’il retrouve vite un emploi : "J'ai eu de la chance de retrouver un employeur en même temps, c'est-à-dire que dès que j'ai démissionné, j'étais déjà embauché ailleurs. Quand je suis parti, j’ai fait des pieds et des mains, mais j'ai réussi à récupérer également mon solde de tout compte et mon argent. J’ai donc pu me sauver." Pour autant, ses pensées se portent encore aujourd’hui sur ses anciens collègues de promotion : "Certaines collègues encore sont toujours bloquées à l'heure actuelle, elles sont encore en recherche d'emploi et subissent cette faillite de plein fouet."
* Les prénoms ont été modifiés à la demande de nos témoins.