Ils sont prévus en juin, août ou septembre, mais il est impossible de savoir s'ils auront lieu cet été. Les dirigeants de festivals réclament plus de visibilité au gouvernement. "Chaque jour qui passe, ce sont des dépenses en plus", avertissent les professionnels.
Le Hellfest annulé, le festival d'Avignon dans la tourmente. Les présidents de festival ont tous une question sur le bout des lèvres: dans un contexte de pandémie internationale, sera-t-il possible ou non de maintenir de tels événements cet été ? Dans un courrier rédigé ce mardi 7 avril en fin de journée par le SMA, le syndicat des musiques actuelles, les présidents du Cabaret Vert, de la Magnifique Society et de la Poule des champs réclament plus de clarté au gouvernement. "On est conscients du contexte, on ne vit pas dans un monde parallèle", rassure Julien Sauvage, à la tête du festival ardennais. "On se pliera à la décision mais on a besoin de visibilité."
"Un festival, ça ne s'annule pas en deux jours"
Difficile pour les présidents des festivals de continuer à organiser des événements coûteux qui n'auront peut-être pas lieu. Cédric Cheminaud, directeur de la Cartonnerie qui organise la Magnifique Society qui devrait se tenir à Reims à la mi-juin, ne sait pas sur quel pied danser. Jusqu'à quand les Français devront-ils rester confinés ? Selon quelles modalités cette période d'isolement finira-t-elle ? Autant de questions auxquelles ni les organisateurs, ni mêmes les membres du gouvernement n'ont encore de réponse à apporter.Le contexte évolue chaque jour et malgré ses capacités d'adaptation, le milieu du spectacle ne sait plus ce qu'il peut ou non prévoir avec certitude. "On n'est pas là pour juger, on n'est pas médecins, mais on demande au gouvernement d'avoir un positionnement le plus tôt possible", tranche Julien Sauvage. "Un festival, ça ne s'annule pas en deux jours." Et son confrère rémois d'abonder : "C'est difficile de travailler sur la tenue d'un festival, alors qu'on sait que ce ne sera pas raisonnable de le faire. Mais on a besoin de soutien, on ne peut pas l'annuler sans une prise de décision de la part des pouvoirs publics."
L'objectif du courrier adressé au gouvernement et au ministère de la culture est simple : rappeler l'importance économique du secteur. "Ce qu'on a tendance à oublier, c'est que le secteur culturel est vécu comme un domaine de loisir, mais économiquement, c'est un secteur important", souligne Cédric Cheminaud. Le directeur de la Cartonnerie a déjà engagé près d'un demi-million d'euros pour la Magnifique Society qui doit se tenir dans deux mois. Le directeur du Cabaret Vert renchérit : "Plus on approche, plus les dépenses sont importantes et plus les risques liés à une annulation sont importants."
Il y a deux semaines, j'aurais dit qu'on pourrait maintenir le festival, mais aujourd'hui je suis beaucoup plus pessimiste
- Cédric Cheminaud, directeur de la Magnifique Society
Les deux dirigeants avouent se sentir un peu seuls face aux décisions qu'ils doivent prendre quotidiennement. "Pour l'instant, nous n'avons aucune recette", explique Cédric Cheminaud. "Je n'ai plus d'assureur, car aucun ne veut assurer un festival cet été. D'habitude, on prend ça en mars car ça dépend du line-up (la programmation ndlr). Quand on est entrés en négociation, la pandémie était déjà là. On travaille avec un courtier qui est revenu bredouille."
Face à ces revendications, le ministère de la culture a mis en place une cellule d'accompagnement : une adresse mail sur laquelle les dirigeants d'événement adressent leurs questions, "qui a vocation à recenser les besoins et à apporter une réponse adaptée à chaque situation". "Cela va dans le sens qu'on voulait avec le SMA, où on ne voulait pas un traitement à l'emporte-pièce", réagit Cédric Cheminaud.
À situation exceptionnelle, dispositif exceptionnel : les organisateurs de festivals peuvent se rapprocher de la cellule d'accompagnement qui vient d'être créée par le @MinistereCC. Elle a vocation à recenser les besoins et à apporter une réponse adaptée à chaque situation ⤵️ pic.twitter.com/5YqWkvW4J8
— Franck Riester (@franckriester) April 6, 2020
Des répercussions économiques dramatiques pour certains festivals
Une analyse au cas par cas indispensable, car chaque festival a développé son modèle économique. Julien Sauvage, même s'il martèle "rester optimiste", a de quoi s'inquiéter. Ce sont quatre jours de festival qui lui permettent de payer locaux, matériels et treize salariés durant une année. "Le Cabaret, c'est un colosse aux pieds d'argile : il est le plus gros festival du Grand Est et de très loin, mais très précaire." Contrairement à d'autres secteurs, impossible pour les organisateurs de festival de rattraper la baisse d'activité durant les semaines de confinement. "Ce qui est perdu est perdu. Il faudra qu'on survive pendant un an."Seuls, on n'a pas de quoi subir de plein fouet ce qu'il est en train de se passer.
- Julien Sauvage, directeur du Cabaret Vert
"Financièrement, que le Cabaret Vert ait lieu ou pas, ce sera une catastrophe", déplore l'Ardennais. Avec un chiffre d'affaires de 6,5 millions d'euros dû à la billetterie et aux consommations des festivaliers, il estime que l'annulation lui occasionnerait la perte de près d'un million d'euros, la moitié représentant les frais de fonctionnement de l'association, l'autre des frais déjà avancés (décors, payement de cachet d'artistes pour les réserver etc). Un maintien lui coûterait la moitié et permettrait de limiter la casse. "S'il a lieu, on va perdre énormément de sponsors et mécènes, soit environ 450.000 euros", détaille-t-il. Issus du secteur privé, ces donateurs ne se relèveront peut-être pas de la crise, et s'ils le font, ils ne seront certainement pas en mesure de donner autant que les années précédentes.
Une inquiétude partagée par Cédric Cheminaud et Jérémy Dravigny. Ce dernier organise la Poule des Champs, dont le modèle économique est basé sur la billetterie. Il vend 90% des billets avant le festival pour ne perdre aucun revenu. Il compte également sur ses partenaires privés, qui assurent 45% de son budget. "Beaucoup viennent du milieu agricole, mais aussi hôtelier et du bâtiment, énumère Jérémy Dravigny. Ils m'ont déjà annoncé qu'ils ne parviendront sûrement pas à m'aider cette année."
Le Marnais sait qu'il a beaucoup moins à perdre que ses deux confrères. Pas de budget astronomique, ni de salariés ou de locaux à payer durant toute une année. Même s'il relativise en assurant que son événement est 100% bénévole, il ne cache pas sa déception : "Avec 3.000 personnes par jour, cela me prend 14 mois de travail. Une édition n'est pas terminée que je pense déjà à la suivante."
Des prestataires et des intermittents en difficulté
Plus que pour son festival, Cédric Cheminaud craint pour la filière du spectacle toute entière. "Si je décide d'annuler, des artistes, des travailleurs indépendants, des techniciens intermittents... c'est toute une filière qui subira ma décision", analyse-t-il. Au total, avec les prestataires de scène, les foodtrucks qui comptent sur la Magnifique Society, il estime qu'environ 300 personnes seront touchées par une annulation du rendez-vous rémois. Même constat du côté de la Poule des champs et des Ardennes, ce sont les prestataires qui ont le plus à perdre. "Je pense à ceux qui montent les scènes, la petite brasserie ardennaise qui réalise une part importante de son chiffre d'affaires sur les quatre jours du festival", évoque Julien Sauvage.Selon lui, même si le Cabaret Vert a lieu fin août, il ne pourra pas tenir dans cette situation après la première quinzaine de mai, et déjà là, "cela ne va pas nous arranger, mais comme le contexte n'arrange personne", concède le Carolo. "Pour gérer les contrats d'artistes, les fournisseurs etc le temps de finaliser les dossiers et négocier des conditions tarifaires, on peut difficilement aller plus loin sans être sûrs de la tenue ou non du festival." Créé il y a quinze ans par quatre passionnés, ce n'est pas la première fois que le Cabaret Vert doit faire face à des difficultés financières. D'un tempérament optimiste, Julien Sauvage en est persuadé : "On ne sait pas comment, mais on y arrivera."