Au lieu de planter du blé, de l’orge ou du maïs sur les zones de captage, huit exploitations agricoles lorraines se sont engagées à produire des lentilles. Des légumineuses qui ne demandent aucun traitement et aucun engrais. Ce choix permet d’améliorer la qualité de l'eau potable.
Depuis 2018, plusieurs agriculteurs se sont engagés à planter des lentilles sur des zones sensibles de captage d’eau potable avec l'aide des chambres d’agriculture et de l’agence de l’eau Rhin-Meuse.
Réduire les nitrates
Parmi eux, Michel Torloting. Son exploitation de Gravelotte, en Moselle, est proche du captage de la source de Gorze. Cet agriculteur, en reconversion biologique, a dédié deux hectares à la plantation des lentilles dans cette zone très sensible. Car cette source permet à la ville de Metz de puiser 20% de ses besoins en eau potable.
Avant on mettait trop d’engrais et pas à la bonne période.
"J’ai été sensibilisés dans les années 90", explique Michel Torloting. "Les taux de nitrates était au-dessus des normes qui sont à 50 mg par litre. Et nous, on avait des pics à 80-100 mg par litre. Progressivement, nous avons modifié nos pratiques. Avant on mettait trop d’engrais et pas à la bonne période. Ces produits restaient dans les sols au lieu d’être consommés par la plante, quand il pleuvait ça descendait dans la nappe. Ces engrais lessivés polluent l’eau potable en nitrates."
Aujourd’hui, les niveaux de nitrates dans cette source sont descendus à 45 mg par litre, mais il faut absolument les maintenir. Pour cette raison, Michel a adhéré à ce programme de préservation des eaux souterraines. "Ce sont des opérations pérennes qui rendent notre agriculture plus responsable. Les lentilles prennent l’azote dans l’air, elles concurrencent naturellement les mauvaises herbes et elles n’ont besoin d’aucun traitement."
Une culture facile
L’exploitation de Julien Vignon se trouve à Dugny sur Meuse, à cinq minutes de Verdun. En 2020, il a cultivé un hectare de lentilles sur ses terres, situées près d’un captage. Auparavant sur cette parcelle il plantait du maïs, du blé ou du colza.
"Les lentilles ont l’avantage d’être une culture facile : on sème, on récolte et elles ne demandent rien d’autre", précise Julien Vignon. "Un hectare ce n’est pas beaucoup mais c’est un bon départ. En faisant beaucoup d’actions on arrivera à préserver des captages. Chaque petite brique fait une maison."
Ce n’est pas parce qu’on n’est pas en bio qu’on travaille mal.
A Millery, à 15 km de Nancy, Krystel Vannesson, jeune agricultrice vient de s'associer avec son papa Dominique. Leur ferme Sainte Barbe est classée Haute Valeur Environnementale. C'est Krystel qui a proposé à Dominique d’adhérer au projet. Deux générations d’agriculteurs qui se rejoignent sur la même envie de préserver l’eau dans le sol.
"Si on veut améliorer la qualité de l’eau, on peut se permettre de semer des lentilles", précise Dominique Vannesson."C’est essentiel, ce n’est pas parce qu’on n’est pas en bio qu’on travaille mal. Même en conventionnel, on peut faire de notre mieux pour protéger l’environnement."
Protéger les nappes phréatiques
Dans les Vosges, à Attignéville, Adrien Armand vient de rejoindre ce programme de protection des nappes phréatiques. En bio depuis cinq ans, son exploitation familiale est engagée dans la protection de l’environnement depuis longtemps. Le captage dans le village d’Adrien alimente trente communes en hiver. L’eau est de bonne qualité mais il faut la préserver davantage. Pour sa première récolte, il n’a cultivé qu’un demi-hectare, l’année prochaine il passera à trois hectares et demi.
"Pour l’instant on s’engage sur des petites surfaces, mais mis bout-à-bout et avec des bonnes pratiques, ça donne des résultats. Et puis c’est important d’agir à son niveau localement pour dire aux consommateurs : on préserve les sources, achetez local!"
Des agriculteurs accompagnés
Les lentilles sont très peu pratiquées en Lorraine.
Pour cela les quatre chambres d'agriculture (Meuse, Moselle, Vosges et Meurthe-et-Moselle) et l’agence de l’eau Rhin-Meuse ont décidé d’accompagner ces agriculteurs engagés.
La bonne gestion agricole ne suffit plus, il faut mettre la bonne culture.
"On est parti pour reconquérir les captages", explique Fabien Potier, chargé de projet à l’agence de l’eau Rhin-Meuse. "Les niveaux de nitrates sur certains sont à la limite autorisée. Quand vous avez autour des captages des prairies ou des forêts, la filtration de l’eau se fait de façon naturelle. Ce sont des zones 'tampons', très importantes. La bonne gestion agricole ne suffit plus, il faut mettre la bonne culture comme des lentilles, du miscanthus, ou simplement de l’herbe."
Les chambres de l’agriculture fournissent les semences sur les trois premières années. Elles apportent le savoir-faire pour implanter les lentilles vertes en Lorraine et s’occupent de les acheminer dans une région voisine pour les trier et les nettoyer. Mais il faut également commercialiser ces lentilles, pour que l’opération reste aussi rentable pour les agriculteurs et ainsi créer une économie circulaire bénéfique à tous les niveaux.
"La grosse question était le débouché", précise Nicole Le Brun, chargée de mission à la Chambre de l’Agriculture de Meurthe-et-Moselle. La chambre de l’agriculture est investie dans l’approvisionnement local des cantines. Nous avons un grand réseau de partenaires, des collectivités et on est allé vers eux… En plantant ces lentilles vertueuses, les agriculteurs préservent l’eau dans le sous-sol, à leurs tour les collectivités achètent une partie de cette production."
Quels sont les visages de l’agriculture d’aujourd’hui ? Pour les découvrir, cliquez sur un point, zoomez sur le territoire qui vous intéresse ou chercher la commune de votre choix avec la petite loupe. Bonnes balades au cœur du monde paysan.
Un projet primé
Le projet "Des lentilles vertueuses pour la protection des nappes phréatique" a été primé en décembre 2020. Il a reçu du ministre de l'Agriculture le prix national CapDev, dans la catégorie Création de valeur et bioéconomie.
En salade, en plat principal ou en gâteau de farine de lentilles, la production actuelle de ces légumineuses "qui protègent l’eau" équivaut 122.000 repas par an dans les cantines scolaires en Lorraine.