VIDÉOS. Après une sécheresse hivernale d'ampleur, comment éviter de manquer d'eau en Champagne-Ardenne ?

L'eau est une ressource vitale, mais elle est de plus en plus menacée. Partout en France, l’hiver a été particulièrement sec et la Champagne-Ardenne n’est pas épargnée. Dans une série de quatre reportages, nous avons voulu évaluer l’ampleur du phénomène dans la région et trouver des pistes pour s'adapter à cette nouvelle donne.

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Épisode 1 : état des lieux en Champagne-Ardenne

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Partout en France, l’hiver a été particulièrement sec et la Champagne-Ardenne n’est pas épargnée. Pour évaluer l’ampleur du phénomène dans la région, nous avons rencontré plusieurs passionnés qui ont fait de l’eau leur terrain de jeu ou de travail. ©France Télévisions

Depuis des années, Patrick Ninoreille fait du kayak sur les bras de la Seine, près de Troyes dans l'Aube. Il s’y sent en harmonie avec la nature. "Le fait d’être sur l’eau, de naviguer. Et puis le calme. On s’en lasse pas"

Un loisir qu’il pratique par tous les temps, en toute saison. Mais cette année, son kayak frôle le fond de la rivière par endroit. Une situation inédite en hiver. "On a facilement 50 cm de moins d’eau par rapport au niveau d’eau en cette période. Pour moi c’est du jamais vu. Or, ça fait au moins 50 ans que je navigue", explique celui qui est par ailleurs vice-président du club nautique aubois. "On a un niveau d’eau du mois d’aout. Ça nous inquiète énormément parce que si à cette époque on a si peu d’eau qu’est-ce qu’on va avoir au mois d’août ?"

Sa préoccupation est partagée quelques kilomètres en amont au lac d'Orient. Le lac artificiel qui joue le rôle de réservoir, n’est actuellement rempli qu’à 60 %, soit un déficit de 15 millions de mètres cube par rapport aux objectifs pour la période. En février, dans l’Aube, il a plu dix fois moins que la moyenne.

a induit des débits en rivière assez faibles. Donc on n’a pas pu prélever autant que ce qu'on voulait prélever par rapport à nos objectifs, précise Emeline Amblard-Henry, cheffe du service gestion des ouvrages à l'Établissement public territorial de bassin (EPTB) Seine Grands Lacs. On est sur une année particulièrement sèche, en tout cas sur les débits qu'on observe. Mais tout peut être encore rattrapable… ou pas."

Le manque d'eau à la surface se retrouve aussi dans les sols. Les scientifiques du Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) évaluent le niveau des nappes phréatiques. Nous les avons suivi lors d'une mesure à Mourmelon-le-Grand. 

"On observe déjà la descente alors qu’à l’heure actuelle, le niveau devrait être encore en train de monter. C'est beaucoup trop tôt dans l’année", explique Anne Grandemange, technicienne en géosciences au BRGM.

Actuellement, tous les niveaux des nappes sont bas dans la région. Une situation qui inquiète Boris Javaux, hydrogéologue au BRGM, car les pluies d’hiver sont cruciales pour recharger les nappes. "Ça va faire un peu plus de trente jours qu'on n'a pas eu de pluies. Si au mois de mars, il n'y a pas de pluies non plus, ça va commencer à devenir très inquiétant."

D’années en années, les sécheresses s’accentuent en Champagne-Ardenne et les conséquences se font déjà sentir. 

Épisode 2 : des villages proches de manquer d'eau potable

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À cause du manque de pluie cet hiver, le niveau des nappes phréatiques est plus bas que la moyenne. La multiplication des sécheresses ces dernières années a déjà des conséquences sur la nature et menace même l’approvisionnement en eau potable de certains villages. ©France Télévisions

Des nappes aux rivières, le manque d’eau menace désormais certaines activités humaines mais aussi la biodiversité.

Rodolphe Parisot est bien placé pour s’en rendre compte. Il est inspecteur à l’office français de la biodiversité (OFB). Avec ses collègues, une fois par mois, il mesure le niveau des rivières dans la Marne. Ce jour-là, à Villeseneux, c’est la première fois en hiver qu’il parvient à traverser à pied ce petit cours d’eau. 

Il ne reste plus que quelques semaines pour espérer voir le niveau de l’eau remonter. "Dès le début du mois d'avril, les nappes se rechargent très peu car la végétation commence à pomper l’eau. C’est maintenant qu’il nous faudrait de la pluie. Et c'est vraiment visible sur l’ensemble du département", indique Rodolphe Parisot.

Ces déficits d’eau affectent la biodiversité des milieux aquatiques. À cet endroit, les herbiers ont disparu, tout comme la truite fario qui ne parvient plus à remonter le cours d’eau.

Depuis 2020, on n’observe plus aucun poisson. Compte tenu des niveaux bas, il n’y a pas ou très peu de reproduction.

Cédric Masson, inspecteur de l'environnement à l'OFB

"Si en plus à l’été il y a un assec, ça fragilise encore plus la population", détaille Cédric Masson, inspecteur de l'environnement à l'OFB. Aujourd’hui avec quatre années sèches sur cinq, il va y avoir de plus en plus de difficultés à recoloniser les milieux."

Au-delà de la survie des espèces, la sécheresse impacte aussi les usagers des cours d’eau. Dans l’Aube, c’est l’avenir du club de notre passionné de kayak qui est en jeu.

Mais avec un cours d’eau déjà trop bas en hiver, Patrick est inquiet pour la saison touristique cet été. L’année dernière, le manque d’eau l’été a entraîné plusieurs annulations. Or le club tire l’essentiel de ses ressources des locations touristiques.

"Ça nous permet avec les revenus que l'on a de pouvoir payer notre moniteur. Si on n’a plus ce salarié à l’année, le club aura du mal à vivre avec uniquement les bénévoles", anticipe Patrick Ninoreille, du club nautique aubois.

Mais il y a plus grave encore. Avec un risque de manque d'eau potable. C'est ce qui a failli se passer cet automne, dans deux villages voisins des Ardennes : Hannogne et Sapogne.

Le débit de la source qui les alimente était au plus bas. "Il nous fallait 290 mètres cubes par jour et les sources n'en sortaient que 190. Il manquait 100 m3 jour", se souvient Frédéric Gillet, le maire de Sapogne-et-Feuchère.

On nous appelle le pays des sources. Donc  pour nous c’était une évidence qu’on ne manquerait pas d’eau.

Michèle Fontaine, maire d'Hannogne-Saint-Martin

"On a déjà vécu ça en 1976 et en 2003. Mais c’était sur une quinzaine de jours. Cet automne, on a eu un manque crucial d’eau du 10 octobre au 15 décembre", détaille Frédéric Gillet.

Une situation aggravée par des fuites d’eau découvertes sur le réseau. Alors durant deux mois, les deux communes ont été ravitaillées en eau potable par camion-citerne et les habitants ont dû limiter leur consommation.

"On les a incité à respecter l’arrêté préfectoral qui avait été pris. À savoir pas de lavage de voiture, éviter de consommer l’eau aux heures de pointes, prendre plutôt des douches que des bains, et puis ne pas arroser les jardins, rappelle Michelle Fontaine, la maire d'Hannogne. Je pense que la situation va se reproduire, donc il va falloir changer nos habitudes."

Épisode 3 : l'agriculture doit s'adapter

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Face aux sécheresses, les mesures de restrictions sur l’utilisation de l’eau potable se multiplient chaque année. Dans deux villages des Ardennes menacés par le manque d’eau, nous avons rencontré agriculteurs, élus et habitants qui font évoluer leurs pratiques. ©France Télévisions

Longtemps, l’eau a semblé inépuisable dans la région. Mais avec la récurrence des sécheresses, ici aussi, les habitants doivent s’adapter. Dans les Ardennes, Frédéric Gillet s’en rend compte au quotidien. Car en plus d’être maire de Sapogne-et-Feuchère, il est aussi agriculteur.

Et ces dernières semaines, il constate une sécheresse inédite dans ses champs. "Quand on creuse profondément, on voit que la terre s’effrite. Alors que si elle était trop humide, on aurait une boulette", montre-t-il.

Il a donc dû semer ses pois protéagineux avec quinze jours d’avance. Mais cette année, l’agriculteur compte réduire leur surface de culture. "D’habitude on sème que dix hectares de pois, mais cette année on ne va en faire que cinq parce qu'on a des terres trop superficielles, avec des risques de sécheresse et de manque d'eau. On va essayer de nouvelles cultures qui seraient moins gourmandes en eau."

Pour la première fois en quarante ans de métier, il va planter des tournesols, plus résistants face aux sécheresses. Et l’agriculteur ne laboure plus, pour maintenir au maximum l’eau dans les sols. La matière organique qui reste en surface limite l’évaporation.

Préserver l’eau, c’est aussi le combat de Michelle Fontaine, la maire du village voisin d’Hannogne-Saint-Martin. La commune est alimentée par la même source dont le débit était très faible cet automne. Par exemple, dans les massifs qui égayent le village, les géraniums ont été remplacés par des plantes vivaces. Les jardinières ne seront arrosées qu’une fois par semaine, contre trois habituellement.

Les particuliers aussi redoublent de vigilance. Si personne n’a manqué d’eau, chacun ici prend désormais conscience que la ressource n’est plus illimitée.

Depuis plusieurs années, Christine Borca, une habitante, a ainsi choisi de stocker l'eau de pluie pour arroser son potager. Face aux sécheresses, cette jardinière de profession renoue désormais avec d’anciennes techniques comme le surfaçage. "Ce sont des feuilles mortes que l'on met sur à peu près 5 centimètres d'épaisseur. Vous allez garder une humidité puisque le sol est vivant", explique-t-elle.

Pour préserver l’eau, la sobriété est essentielle, mais d’autres solutions existent aussi pour mieux partager cette ressource. 

Épisode 4 : comment mieux gérer et utiliser l'eau

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Face aux sécheresses, un grand plan pour préserver l’eau doit bientôt être annoncé. Au-delà de la sobriété, il existe plusieurs leviers d’action : le stockage de l’eau, la réutilisation des eaux usées, ou encore une meilleure gestion de cette ressource commune. ©France Télévisions

Pour exploiter l’eau, nous avons détourné des rivières, construits des barrages et des aqueducs. Mais le changement climatique bouleverse aujourd’hui notre gestion de l’eau.

Le lac d’Orient dans l’Aube se retrouve au cœur de ces enjeux. Ce réservoir artificiel a été mis en service en 1966. Il a une double mission : limiter les inondations en aval, mais aussi soutenir l’étiage de la Seine. Autrement dit, renforcer son débit quand le niveau est bas.

Un soutien qui a été primordial l’été dernier, comme cela s'est vérifié à la station de Pont-sur-Seine, en aval. "On s'est aperçu que sur le mois d’août, 90 % des débits observés dans la Seine à cette station provenaient des lacs réservoirs Seine et Aube. Sans l’action des lacs réservoirs on aurait eu très peu d’eau dans la rivière", indique Emeline Amblard-Henry, de l'EPTB Seine Grands Lacs.

Stocker l'eau, mais aussi la recycler, c'est l’ambition de la mairie de Romilly-sur-Seine ,dans l'Aube. À la sortie de la ville, la station d’épuration traite les eaux usées de la commune et de ses 15 000 habitants.

Dans ce bassin, 2 400 mètres cubes d’eau sont traités chaque jour. "On peut dire qu’elle est épurée à 99 %. Ça reste une eau usée traitée, mais sa qualité est digne de pouvoir retourner au milieu naturel", explique Ivan Samson, manager du service Pays de Champagne chez Veolia.

Ces volumes d’eau pourraient pourtant être réutilisés. La France recycle moins de 1 % de ces eaux usées traitées, mais depuis l’an dernier, de nouveaux usages sont autorisés à condition d’ajouter une nouvelle étape d’épuration.

"On va récupérer une partie de ces eaux traitées qui vont être acheminées vers la future Réutbox", indique Jean-Philippe Labruna, directeur du territoire Champagne-Ardenne chez Veolia. Dans cette box, les eaux souillées subiront trois nouvelles étapes de traitements avant de pouvoir être réutilisées.

La commune compte ainsi économiser 45 000 mètres cubes d’eau potable par an. "On espère pouvoir faire le nettoyage des réseaux d’eau de la ville, arrosage des plantations, de la voirie", détaille Christophe Bouchut, adjoint au maire en charge de la voirie, l'eau et l'assanissement.

Pour économiser l’eau potable, il existe un autre enjeu majeur : l’entretien des réseaux d’eau. À Troyes, dans l’Aube, c’est l’une des missions du syndicat de l’eau. La recherche des fuites d’eau est primordiale, car elles représentent 2 à 3 millions de mètres cubes d’eau chaque année.

Le syndicat travaille aussi à connecter entre eux les réseaux d’eau, pour anticiper l’impact du changement climatique. "Le jour où il n’y aura plus d’eau au mois de juillet, on aura beau avoir économisé tout ce qu'on veut, si on n'a pas anticipé et interconnecté les réseaux, on ne pourra pas alimenter en eau certaines collectivités", affirme Stéphane Gillis, directeur général du syndicat des eaux de l'Aube.

Crée en 1943, ce syndicat de l’eau a fait figure de précurseur. Aujourd’hui, il exerce ses compétences sur 481 communes et cherche à développer les partanariats entre les différents acteurs.

Tous les interlocuteurs rencontrés pour cette série de reportage observent chaque jour les effets de cette sécheresse hivernale inédite. Agriculteurs, scientifiques, particuliers, tous ont désormais un rôle à jouer pour mieux partager l’eau et éviter les conflits autour de ce bien précieux et fragile.

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