CARTE. Sécheresse : comment l'agriculture tente de s'adapter au dérèglement climatique dans la Marne

Le dérèglement climatique bouleverse notre quotidien, sans forcément qu'on en prenne toute la mesure. Dans la Marne, l'agriculture va devoir s'adapter à des conditions de plus en plus chaudes et sèches dans les années à venir.

L'année 2022 est, selon Météo France, une année "hors normes, exceptionnellement chaude, ensoleillée et peu arrosée". C'est l'année la plus chaude jamais enregistrée en France depuis le début du XXe siècle, notait l'organisme dans son bilan climatique publié en janvier 2023.

Dans la Marne, on est passé tout près du record. La température moyenne sur l'année mesurée à la station de Frignicourt, est de 12,7 °C, soit un dixième de moins que le record de 12,8 °C mesuré en 2018. Cette température est en tout cas bien au-dessus des normales, de 11,5 °C. Mais ailleurs dans la région, 2022 est bien une année record.

Du côté des précipitations, le déficit par rapport aux normales est de presque 15 % en 2022 à Frignicourt, selon les relevés de Météo France, avec un cumul mesuré de 591 mm, contre près de 700 pour les normales.

La sécheresse et le dérèglement climatique pèsent sur l'agriculture dans le département, qui produit notamment une large part de céréales. 

En près de cinquante ans, le rendement du blé tendre, par exemple, a augmenté de manière spectaculaire dans la Marne, passant d'environ 20 quintaux par hectare dans les années 1950 à plus de 80 dans les années 1990. Un accroissement qui peut s'expliquer par l'amélioration des variétés et des méthodes de culture.

Mais depuis les années 1990, le chiffre stagne et reste dans la Marne autour de 80 quintaux par hectare. Ce plafonnement ne se limite pas au département, il est constaté également ailleurs sur le territoire national.

Selon l'étude Oracle (pour Observatoire Régional sur l’Agriculture et le Changement cLimatiquE) menée en 2020 par les chambres d'agriculture du Grand Est, cette stagnation "résulte pour moitié du changement climatique qui a accru les stress hydrique et thermique en fin de cycle cultural."

Le témoignage d'un agriculteur

Éloi Majérus est agriculteur dans le nord de la Marne, à Bourgogne. Il travaille depuis 25 ans dans le secteur. Il exploite aujourd'hui avec son cousin 370 hectares dans un rayon de 30 kilomètres autour de Bourgogne, aussi bien dans la Marne et que dans les Ardennes. Il produit de la betterave que du colza, du blé ou encore de l'orge.

"Toutes les années sont atypiques. Mon père me l'avait déjà dit. Même lui a vécu des sécheresses à l'époque, des fois même pires que ce qu'on a pu vivre ces 25 dernières années", explique-t-il. "On peut avoir une sécheresse au printemps avec des nappes souterraines qui finalement sont bien comblés pendant l'hiver. Et puis ça peut être l'inverse aussi."

Le manque d'eau pèse sur les rendements. Et selon la composition des sols, il a des résultats en demi-teinte. 30 % des terres qu'ils exploitent sont en limon argileux. "Sur ces surfaces-là, c'est vrai que ça souffre un petit peu plus de la sécheresse au printemps", précise-t-il. "Ça accélère la maturité, ça grille un peu sur place. Au moment de la moisson, les rendements sont moins bons que dans les terres de craie."

Il estime que l'écart peut être de 20 quintaux à l'hectare pour une même variété de blé tendre, qu'elle soit plantée dans une parcelle en limon argileux ou dans un secteur davantage crayeux, qui retient mieux l'eau.

Pour le grand public, la sécheresse est parfois synonyme de canicule et de difficultés au cœur de l'été. Mais pour l'agriculture, les problèmes débutent dès le printemps.

"L'été, on n'a quasiment plus besoin d'eau, si ce n'est pour les betteraves. Un bon coup de flotte pendant le mois d'août, c'est ce qu'il nous faut pour les betteraves. Mais s'il ne pleut pas durant le mois de juillet, ça ne pose pas vraiment de problème", détaille l'agriculteur.

Avec le travail quotidien, difficile pour lui de se projeter dans l'avenir pour imaginer quel sera son métier dans quelques années. Faudra-t-il changer totalement de production ? "C'est difficile, parce qu'on fait des cultures alimentaires dont les personnes ont besoin. Donc, on ne peut pas se dire qu'on va changer de culture parce qu'elle va mieux résister à la sécheresse s'il n'y a pas le débouché alimentaire derrière."

On est toujours pris par le travail. Donc ces grandes questions sur l'avenir, ce n'est pas notre priorité à court terme.

Éloi Majérus, agriculteur

Il fait confiance à ses interlocuteurs des coopératives ou de la chambre d'agriculture pour l'aiguiller dans les bons choix à faire. Les réunions organisées tout au long de l'année avec d'autres agriculteurs sont l'occasion de discuter sur les bonnes pratiques.

Comment s'adapter ?

Rémi Vanhaesebroucke, responsable du marché grandes cultures à la chambre d'agriculture de la Marne, travaille sur ces questions. Pour lui, la problématique centrale dans le département face au dérèglement climatique est celle du manque d'eau

Car dans la Marne, il est uniquement possible d'irriguer les cultures légumières (pommes de terre, carottes ou oignons). "Dans un département voisin comme l'Aube, on peut irriguer de la betterave ou des céréales", précise le responsable. Mais dans la Marne, il faut se contenter de ce que donne le ciel.

Sans arriver à une irrigation régulière, autoriser des arrosages ponctuels pourraient permettre de sauver certaines cultures. "Par exemple sur le colza, on le sème fin août. Souvent, il fait très sec. Il n'y a pas de levée. Et si ça ne lève pas, il n'y a pas de colza du tout. Il suffirait de faire un tour d'eau de quelques millimètres pour faire lever la culture et ensuite, elle se déroule toute seule", détaille Rémi Vanhaesebroucke.

Théoriquement, on devrait arriver en 2050 à un climat qui devrait ressembler à la région toulousaine dans notre secteur.

Rémi Vanhaesebroucke, chambre d'agriculture de la Marne

Pour agir ainsi, il faudrait multiplier les réserves d'eau collinaires, pour stocker l'eau l'hiver et s'en servir pour irriguer au printemps. "Il n'y a encore rien d'écrit, mais la profession est en train de s'interroger là-dessus au vu de l'évolution climatique."

L'adaptation passe aussi par un changement de variétés, avec une meilleure résistance au stress hydrique. "Je caricature un peu, mais on arrive sur des sélections de blé qui, s'il a fait sec au printemps, font moins d'épis, mais des grains plus gros."

Avec ces nouvelles variétés, les rendements pourraient repartir à la hausse. "On sent des frémissements" dans les enquêtes menées après les moissons, assure le responsable.

Le secteur essaye de s'adapter aux évolutions climatiques plutôt que se transformer radicalement, une voie qui pourrait sembler trop incertaine. "On n'a pas encore dû changer nos cultures. On essaye de voir comment on peut adapter les pratiques, décaler les dates de semis pour éviter les périodes où il risque d'y avoir du gel ou des coups de chaud à l'été", explique Rémi Vanhaesebroucke.

Sans changer totalement la typologie des cultures exploitées dans la Marne, les changements pourraient passer par le développement plus massif de solutions comme l'agroforesterie, qui intercale entre les bandes de cultures des bandes arborées. "L'objectif est de maintenir les mêmes cultures, et se retrouver avec une rotation classique : blé, colza, escourgeon, betterave, etc. Mais profiter de l'effet des arbres potentiellement en nutriments et en alimentation."

"Aujourd'hui, on imagine plus facilement qu'il y a des effets positifs avec l'ombre alors qu'historiquement, on pouvait imaginer plutôt des effets négatifs de concurrence", détaille le responsable à la chambre d'agriculture.

La question de l'agrivoltaïsme, c'est-à-dire l'implantation de panneaux solaires dans les champs, se pose aussi. Le Parlement a récemment voté une loi en faveur de cette pratique en précisant bien les conditions de mise en œuvre pour ne pas que la production électrique se fasse au détriment de l'agriculture.

Les défis sont donc nombreux pour permettre à l'agriculture de se maintenir malgré les bouleversements du climat qui nous attendent.

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