Face au dérèglement climatique, le monde agricole cherche des parades. En Alsace, à titre expérimental, des haies sont plantées dans les houblonnières. Et des agriculteurs reboisent pour atténuer les effets de la sécheresse.
Le climat alsacien, longtemps idéal pour le houblon, a récemment évolué. "Sur ces cinq dernières années, quatre ont été très difficiles, trop chaudes" pour l'emblématique plante grimpante, s'inquiète Véronique Stangret, chargée de mission au lycée agricole d'Obernai. C'est pourquoi le lycée mène actuellement des expérimentations destinées à atténuer ces effets défavorables.
À la ferme du vieux Poirier de Schopperten (Bas-Rhin), plus deux mille arbres aident à contrer les changements climatiques, et mieux respecter la biodiversité. Leur plantation, commencée dès 2017, devait tout d'abord servir à lutter contre un trop-plein d'eau en hiver. Mais les bénéfices se font aussi largement sentir en périodes de canicule.
Deux expériences parmi d'autres, qui illustrent combien le monde agricole doit tester et innover - parfois avec des moyens ancestraux - pour tenter de s'opposer le plus naturellement possible aux effets dévastateurs du réchauffement climatique.
Obernai : des haies dans les houblonnières
Les étés torrides et la sécheresse ne conviennent pas au houblon. "Il n'aime pas les pics de chaleur, ni les canicules nocturnes." Et s'il fait très chaud en journée, il peut même "stopper sa croissance, ou développer sa floraison quand ce n'est pas le moment" détaille Véronique Stangret.
Jusqu'à présent, notre région assure 96% de sa production nationale. Pour tenter d'en garantir la pérennité, des tests sont actuellement menés au lycée agricole d'Obernai. L'objectif est de "créer des conditions de croissance plus optimales que ce qu'on connaît avec cette météo" précise Véronique Stangret. En d'autres termes, il faut trouver des solutions pour "atténuer les pics de chaleur" et "préserver l'humidité".
Une première méthode, facile et rapide, est déjà mise en œuvre à titre expérimental. Une partie de la houblonnière du lycée a été recouverte de filets anti-grêle, destinés à lui procurer "une atmosphère plus fraîche" et faire baisser la température. En parallèle, l'été, les plantes seront arrosées à l'aide d'un goutte à goutte. Problèmes : "On artificialise le milieu, et on pompe sur les ressources en eau" déplore la chargée de mission.
Cependant, cette "réponse possible à court terme" peut vraiment s'avérer efficace. Sauf si les plantes développent "des champignons qui aiment l'humidité et la chaleur", facteurs de maladies semblables à celles de la vigne. Le dispositif sera donc étudié de près ces prochains mois.
Une autre partie de la houblonnière du lycée fait, elle, l'objet d'une expérience à plus long terme. "Là, on compte sur des arbres pour rafraîchir le milieu, à la fois par leur effet d'ombrage et leur transpiration, qui permet d'humidifier l'environnement" détaille Véronique Stangret.
Des chantiers d'aménagement de haies vives sont ainsi en cours actuellement. Parallèlement à "une ligne de poteaux sur deux", des élèves plantent des rangées de jeunes "arbustes et arbrisseaux" mêlant diverses variétés locales telles que noisetiers, pommiers et poiriers sauvages, saules, sureaux, cornouillers. "Ainsi que des espèces plus basses comme du fusain, des rosiers et des troènes."
Ces haies ne devront pas dépasser les six mètres de hauteur. Pas question, évidemment, d'y inclure de grands arbres à la ramure étendue, qui risqueraient de s'enchevêtrer dans les câblages de la houblonnière.
L'observation menée par les lycéens concernera aussi le type de terrain choisi, avec "un sol plus humide" que ceux des houblonnières habituelles. "La plupart sont installées dans des sols très fertiles, mais dans un environnement souvent sec, où l'eau se trouve à 17 mètres de profondeur" rappelle Véronique Stangret. Alors qu'ici, l'idée est de pouvoir profiter de cette humidité naturelle, au lieu de devoir arroser en cas de sécheresse.
Cette expérimentation, soutenue par la Région Grand Est, n'en est qu'à ses débuts. Il faudra compter près d'une demi-douzaine d'années avant de pouvoir en tirer les premières conclusions. Mais celles-ci pourraient aussi "amener à se poser des questions sur les zones d'implantation" de la plante grimpante. Et, peut-être, à terme, envisager de déplacer les houblonnières vers des secteurs alsaciens plus humides.
Schopperten : la ferme aux deux mille arbres
Lauriane et Charles Durant, passionnés de permaculture, ont acheté en 2012 un terrain et un lieu de stockage dans ce petit village d'Alsace Bossue. Leur rêve : y aménager une micro-ferme agro-écologique, permettant de tirer le maximum du sol sans jamais l'épuiser. Charles s'est lancé dans l'élevage d'une centaine de porcs 100% bio, transformant et commercialisant la viande à la ferme, et Lauriane a testé le maraîchage. Dès 2015, ils ont été lauréats pour le Grand Est du concours Fermes d'avenir.
Mais leur terrain leur posait un double problème : sec et sans ombre l'été, et trop humide durant la saison froide. "On a eu de grosses inondations dès le premier hiver" se souvient Lauriane Durant. "On avait de l'eau partout." Pour eux, drainer le sol au moyen de tuyaux n'était pas une solution, "parce qu'on repousse le problème chez le voisin."
Alors, ils ont pris un peu de recul. "Selon les principes de la permaculture, on a commencé par observer la nature" rappelle la jeune agricultrice. Or, "dans la nature, quand il y a des zones avec trop d'eau, on trouve de petites mares, et beaucoup d'arbres et d'arbustes." D'où l'idée de "recréer ça sur notre terrain."
Ils ont donc commencé par creuser plusieurs baissières, des sortes de tranchées destinées à recueillir le trop-plein d'eau de leur sol. Et dès 2017, y ont planté "beaucoup de saules" afin que "l'eau qui stagne (soit) bue par les arbres."
Parallèlement, en ce milieu des années 2010, ils avaient déjà bien conscience que "l'été, il ne pleuvait plus assez" et que l'herbe grillait au soleil. Ils ont également creusé un étang. Son évaporation partielle durant les fortes chaleurs crée une humidité profitable au sol. Et l'eau stockée leur suffit pour irriguer leurs cultures durant les périodes de sécheresse.
Dès 2017, en plus des saules, ils ont de plus aménagé un verger. "On a pas mal de fruits différents" se réjouit Lauriane Durant. À côté des traditionnelles pommes, poires, mirabelles, quetsches et cerises, "il y a aussi des kakis, des nashis, des nèfles… "
Et depuis la seconde phase de plantation, en 2021, "quatre journées de travail à moins de dix personnes" la ferme compte désormais 2.015 arbres et arbustes. La majeure partie est encore en cours de croissance, mais les premiers résultats positifs sont déjà manifestes. "L'été, il est plus agréable de travailleur sur notre parcelle que sur celles des voisins, sans arbres et complètement brûlées" assure l'agricultrice.
"L'été dernier, dans les zones où les arbres avaient déjà poussé, nous avions dessous une belle herbe verte. La végétation n'avait pas été impactée par la sécheresse." Car l'humidité créée par l'évaporation de la mare s'est combinée à celle "recrachée" par les arbres. Sans parler d'une température plus basse "que là où il n'y a plus rien."
Parmi ces deux milliers d'arbres, certains constituent des haies coupe-vent qui peuvent atteindre six mètres de hauteur. Leur entretien est confié aux trois ânes de la ferme. Une opération gagnant-gagnant, car les braves équidés en retirent un "complément de vitamines" appréciable, particulièrement lorsque l'herbe se raréfie en cas de sécheresse. "Tout ce qui a été planté a été réfléchi, pour pouvoir leur servir de fourrage supplémentaire", et ils ne s'en privent pas. "Ce qui dépasse de la clôture : bouts de bois, feuilles, fruits, tout y passe" sourit Lauriane Durant.
Seuls les porcs ne profiteront pas cette année de l'ombre des arbres. Car "vu l'explosion des prix des céréales bio et du carburant pour le transport", la ferme du vieux Poirier a provisoirement arrêté son élevage et sa production de viande.
Avec le recul, la jeune agricultrice reconnaît que leur handicap de départ, ce terrain trop humide l'hiver, est devenu un atout, particulièrement depuis l'intensification des sécheresses estivales. Aux agriculteurs qui n'ont pas cette chance, elle conseille de planter des arbres aux racines profondes : "Si le terrain n'est pas forcément humide, il faut quand même y mettre des arbres pour créer de l'ombre" martèle-t-elle. "L'humidité, ils iront la chercher plus profondément dans le sol", pour la restituer. Et ainsi recréer sous leurs branches, et aux alentours, un microclimat combinant températures plus douces et sécheresse atténuée.