Coronavirus : comment les policiers du Bas-Rhin, sous pression et sans masques, poursuivent les contrôles

Les contrôles continuent aux frontières et partout en ville pour les policiers du Bas-Rhin. Mais le malaise est palpable : de plus en plus de malades dans les rangs, et toujours pas ou peu de masques, des agents sous pression un peu partout, et une réorganisation de l'activité est en cours.

Pas de piétons sur le pont de l'Europe, qui relie Strasbourg à Kehl (Allemagne) ce mercredi 25 mars en début d'après-midi. Juste quelques voitures et quelques camions, presqu'autant de chaque côté. On pourrait sans problème tous les compter, ça ne prendrait pas beaucoup de temps. Et parfois, pendant plusieurs minutes, aucun véhicule ne vient à l'horizon, ni de France ni d'Allemagne. Dans ces conditions, contrôler chaque véhicule n'occasionne pas de bouchons.
 

Les gestes barrière uniquement

Le poste de contrôle côté français est très calme. Policiers et policières évitent de s'approcher trop des conducteurs, gestes barrière oblige. Ils demandent à chacun l'attestation de déplacement. Les soignants montrent leur caducée, ça va plus vite. L'un d'eux s'excuse auprès d'une infirmière qu'il n'a pas vu tout de suite et l'a faite (un peu) attendre derrière un camion. Un policier de la BAC (brigade anti-criminalité) est en renfort. Une policière a monté son tour de cou sur la bouche. Une autre s'est procuré un masque, "donné par un collègue". Un troisième porte des gants jetables.
 

"Nous ne pouvons pas empêcher les policiers en patrouille de s'équiper à titre personnel, mais ce ne sont pas les recommandations nationales pour les contrôles quotidiens", rappelle le commandant Sandra Friedrich, chef d'état-major du Bas-Rhin, "il faut avant tout observer les gestes barrière, et des kits sont disponibles dans tous les véhicules (masques, gants, gel hydroalcoolique, lingettes désinfectantes) en cas de contact avec une personne malade ou potentiellement malade, ou si les policiers sont amenés à interpeller une personne et à s'approcher d'elle. Le reste du temps nous sommes à distance des gens : en demandant aux conducteurs de ne pas trop baisser leur vitre, en respectant une distance de 1,5 mètre entre collègue et avec les gens, nous arrivons à gérer ces contrôles sans trop de risques".
 

Stress des policiers sur le terrain

David Kozlowski, délégué départemental UNSA Police déplore le manque de masques. "Le gros problème, c'est cette histoire des masques. On doit respecter les gestes barrière, on essaie de rester à un mètre des gens, mais psychologiquement les agents sont stressés de ne pas avoir de masques. On demande aux gens de mettre leur attestation bien visible derrière le pare-brise, comme ça on ne la touche pas et on a le pare-brise entre nous et eux." Lui et ses collègues ont été choqués d’apprendre que les 64.000 masques disponibles pour la DDSP et la PAF étaient tous périmés. "Ils ont été reversés aux soignants, ce qui est une bonne chose. Mais nous sommes au contact de la population tous les jours, donc ce sont autant de risques de propager le virus".

Je cherche des visières en plexiglas anti-goutelettes pour protéger les collègues et les gens aussi. Les caissières de magasins en ont, pourquoi pas nous ?
- David Kozlowski, délégué départemental UNSA Police

Le syndicaliste s'est mis à la recherche de visières en plexiglas anti-goutelettes, "je cherche ça à titre personnel, c’est mieux que rien. On veut éviter de postillonner sur les gens et vice versa. Et puis les caissières du Lidl de Marlenheim en ont, je l'ai vu, et c’est très bien : on peut les désinfecter chaque soir et les réutiliser."
 
 

Si les policiers tombent malades les uns après les autres, c'est qu'il y a une raison.
- Christophe Rouyer, délégué départemental Alliance Police

Christophe Rouyer, secrétaire départemental d'Alliance Police demande lui aussi plus de moyens. Il a récupéré des masques grâce à des dons, la société Wurth et le SDIS 67 (les sapeurs-pompiers du Bas-Rhin). "j'en ai distribué 100 aux collègues de la PAF, et demain j'en réceptionne 1000, pour les collègues qui vont au contact, pour les individus qui refusent les contrôles ou nous provoque. La semaine dernière un collègue s'est fait cracher dessus, ça peut nous arriver n'importe quand. Si les policiers tombent malades les uns après les autres, c'est qu'il y a une raison. Je regrette que nous n'ayons pas été protégés, alors que nous sommes nous aussi en première ligne."

Le commandant Friedrich assure être à l'écoute de tous les agents, le médecin de la police est saisi en cas de questions précises ou de grandes inquiétudes des agents.

Le syndicaliste d'UNSA Police pointe aussi le manque de moyens, par rapport aux collègues allemands postés juste de l'autre côté du pont. "Ils ont installé une tonnelle pour se protéger en cas de pluie, nous on n'a rien, juste nos habits. Et un algeco sans frigo ni machine à café, avec des déchets tout autour." 
 


Le confinement mieux respecté

Sur le pont de l'Europe, ce sont maintenant surtout des camions de marchandises et des travailleurs frontaliers qui passent, "ils respectent les règles et ils ont les papiers qu'il faut, mais il reste encore trop de gens qui essaient de venir à Kehl acheter des cigarettes ou pour visiter des gens", déplore David Kozlowski. "Il manque une prise de conscience encore, chez les jeunes. Certains prennent ça pour un jeu, ils se sentent en vacances et le prennent à la légère". Même son de cloche pour Christophe Rouyer qui déplore encore quelques attroupements. Il note "une défiance et une provocation délibérée des forces de l'ordre par certaines personnes. Par contre, c'est mieux du côté des épiceries et des commerces, les amendes ont été dissuasives."

Il y a aussi des Allemands qui veulent aller en France pour visiter des personnes âgées. Certains sont refoulés parce qu'ils ignorent qu'il faut remplir une déclaration. "On leur explique, on les refoule et ils reviennent après avec le bon document. Hier en une heure, j'ai refoulé trois personnes. Ca se met en place, mais il reste encore des gens pas informés", conclut-il. Le commandant Friedrich se dit, elle, satisfaite du comportement des gens, "ici en Alsace, les gens sont vraiment plus disciplinés que dans d'autres régions de France et ils sont globalement plus respectueux".
 


Il y a par contre un souci entre police allemande et française sur un point. Beaucoup de Roumains veulent d'un coup tous repartir en Roumanie, selon les observations de David Kozlowski, posté souvent au pont de l'Europe : "nous les laissons partir, puis les Allemands les refoulent, alors ils essaient ailleurs, plus au sud ou par le Luxembourg, et ça fait aussi des gens qui circulent et qui peuvent propager le virus. Il y a un flou pour tous les gens qui sont en transit et repartent chez eux, on les croit, on les laisse passer mais on ne sait pas où ils vont vraiment".
 


Hausse de la délation

Les activités prioritaires sont les patrouilles en ville et sur le pont de l'Europe, le pont Pflimlin, celui de Gambsheim notamment, les urgences, l'investigation, la police judicaire. Et bien sûr le centre d'information et de commandement : c'est là que les appels au 17 sont réceptionnés, là que les patrouilles sont orientées. Actuellement, une cinquantaine de patrouilles sont disponibles en zone police (Strasbourg, Haguenau et Sélestat dans le Bas-Rhin).

De 470 appels par jour, nous sommes passés à 1100 appels par jour, avec beaucoup d'appels de délation
- le commandant Sandra Friedrich, chef d'Etat Major de la police du Bas-Rhin


Lors de la première semaine de confinement, les délations ont fait un bond. "De 470 appels par jour, nous sommes passés à 1100 appels par jour, avec beaucoup d'appels de délation, de gens confinés qui voyaient leurs voisins se rassembler dehors. Nous les avons tous pris en compte, d'abord pour faire de la pédagogie, puis pour verbaliser", explique le commandant Friedrich.

Une sortie non justifiée donne lieu à une contravention de 135 euros. En cas de trois récidives, cela devient un délit et peut faire l'objet d'une interpellation.
   

Réorganisation de la police

L'Etat major ne souhaite plus communiquer les chiffres sur le nombre de policiers en arrêt maladie dans le Bas-Rhin. Il est en augmentation, c'est tout ce que nous savons. "Beaucoup de collègues sont touchés, et c'est la police judiciaire qui a été touchée la première et le plus fort", explique Christophe Rouyer, lui même malade depuis huit jours et en arrêt. Pour continuer de faire face dans les domaines prioritaires, "nous avons recensél'ensemble des compétences dans tous les services pour une mutualisation", explique le commandant Friedrich.

Cela signifie qu'un policier qui travaille dans un domaine non prioritaire peut être réaffecté aux patrouilles de terrain. C'est le cas pour deux collègues du commandant dans son Etat major, par exemple. "L'un a été affecté à la BAC de nuit, l'autre à la police du Neudorf en renfort pour faire des patrouilles. J'ai beaucoup de chance, tout le monde s'adapte et ça ne pose pas de problème", explique-t-elle.

David Kozlowski est moins optimiste, "on arrive à avoir encore quelques collègues dans la réserve pour remplacer les malades, mais si les arrêts maladie augmentent, ça va être compliqué". 

Le centre de rétention de Geispolsheim est fermé, les effectifs en formation et ceux de l’aéroport ont été rebasculés pour assurer les patrouilles sur les ponts entre la France et l'Allemagne, c'est la priorité pour la police aux frontières. Les commissariat de Strasbourg qui ne faisaient que des accueils pour porter plainte ont fermé, comme ceux de la Meinau, de la Robertsau, et d'Hoenheim notamment. 

Le 26 mars, les syndicats de police ont adressé un courrier au ministère de l'Intérieur demandant un remplacement des masques FFP2 donnés aux hôpitaux, faute de quoi ils feront valoir leur droit de retrait et n'assureront plus que les urgences.
 
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