Déserts vétérinaires : pourquoi les campagnes sont désertées par les vétos

La désertification des médecins en zone rurale est une réalité qui s'étend aussi aux vétérinaires. Si cette profession fait rêver les enfants, trouver un véto à la campagne est presque un cauchemar pour les propriétaires d'animaux. On vous explique pourquoi.

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Il y a plus d'animaux que d'humains sur le sol français, et pourtant, il y a dix fois moins de vétérinaires que de médecins. Cette réalité connue par tous les vétos est loin de l'image positive du métier que se font les enfants et les amoureux des animaux.

En France, en 2020, seuls 21 % des vétérinaires exercent en zone rurale d'après l'Ordre national des vétérinaires. Un chiffre en baisse constante qui contraste avec l'augmentation du nombre de praticiens soignant exclusivement des animaux de compagnie. Une difficulté supplémentaire pour les propriétaires et éleveurs qui vivent souvent dans un désert médical pour eux mais aussi pour leurs animaux.

Le mal des campagnes et son envergure

Le maillage qui répartit les vétérinaires sur le territoire a toujours existé. Pour le docteur Pérennès – directeur général du centre hospitalier vétérinaire Pommery à Reims (Marne), et membre régional de l’ordre des vétérinaires – le problème de la désertification n'est pas spécifique à la médecine vétérinaire ou à la médecine humaine, mais un problème plus large de politique d’aménagement du territoire.

Nous ne sommes qu’au début du problème, il faut s’attendre à ce qu'il s'amplifie au cours des années.

Yannick Pérennès

Dans certains territoires français, il est tout aussi difficile d'accéder aux soins qu'à l'éducation, aux services publics ou à la culture. "Ce n’est pas que la campagne n’attire plus, c’est une évolution sociétale contre laquelle il est difficile d’espérer résoudre les problèmes uniquement en se focalisant sur la profession, nous dit Yannick Pérrenès. Ce n’est pas parce qu'on incite des vétérinaires à revenir dans le monde rural qu’on va résoudre tous les problèmes de la ruralité."

Pourtant, la réponse politique existe pour soigner l'hémorragie de médecins vétérinaires dans nos campagnes. Le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation s'est engagé en 2017 au maintien des vétérinaires dans les territoires ruraux avec notamment une entrée plus précoce des étudiants sur le marché du travail, un soutien financier dans certaines zones ou encore la télémédecine vétérinaire (à titre expérimental).

Le ministère affirme qu'en cinq ans, beaucoup d'avancées "significatives et concrètes ont été faites pour le maillage territorial des vétérinaires en zones rurales et s'engage à poursuivre les travaux".

Pourquoi si peu de vétérinaires ?

Les mailles du maillage territorial vétérinaire se relâchent, et c'est en partie à cause de l'évolution des pratiques agricoles. La culture prend le pas sur l’élevage, car elle est plus rentable et moins contraignante pour les agriculteurs. En douze ans, le nombre de détenteurs de bovins et de vaches à diminué de 45 %, (ils ne sont plus que 287.000 éleveurs en 2021). Cela entraîne la diminution du nombre de vétérinaires et l'élargissement de leur rayon d'exercice, allant de 50 à 80 kilomètres, alors qu'il était de 15 km il y a encore quelques années. "Nous ne sommes qu’au début du problème, il faut s’attendre à ce qu'il s'amplifie au cours des années", précise le docteur Pérrenès.

Quand vous travaillez dix heures par jour, toutes les nuits et tous les dimanches, ce n’est plus possible humainement.

Yannick Pérrenès

Si le problème concerne déjà les animaux de rente (animaux d'élevage), il touchera tôt ou tard les animaux de compagnie. "Il y aura des difficultés à trouver un vétérinaire de garde qui accepte de recevoir un chien la nuit, le week-end ou un jour férié alerte Yannick Pérrenès. On est débordés de boulot en ce moment, la profession est fatiguée. Quand vous travaillez dix heures par jour, toutes les nuits et tous les dimanches, ce n’est plus possible humainement. Le métier est fatigant et usant."

Cet important épuisement des praticiens en pousse une partie à jeter l'éponge relativement jeune. L'âge moyen des sortants du tableau de l’ordre des vétérinaires est de 44,7 ans, quand l'âge de départ en retraite des médecins est de 67 ans. "Avant, c’était une chose qu’on ne voyait pas, il n’y avait pas une telle variation de parcours professionnels", commente Yannick Pérrenès.

Plusieurs études menées dans différents pays avancent un taux de suicide dans la profession vétérinaire bien supérieur à celui de la population générale. En France, 23 % des vétérinaires auraient occasionnellement des pensées suicidaires, ce qui est quatre à cinq fois supérieur à la population générale.

Une charge de travail grandissante

"Contrairement à ce que certains peuvent croire, les vétérinaires ne sont pas devenus fainéants, explique Yannick Pérrenès, leur charge de travail à réellement augmentée." Le rapport des propriétaires à leurs animaux de compagnie a changé, tout comme les références éthiques qui ne tolèrent plus la souffrance animale. "L’animal de compagnie prend de plus en plus de place dans le cercle familial, les propriétaires sont exigeants. La pression des urgences est beaucoup plus forte qu’elle ne pouvait l'être il y a quelques années. J'ai vu une évolution en trente ans d’exercice."

L'état de santé des compagnons est si importante aux yeux de certains propriétaires que les incivilités (souvent verbales) se multiplient, en particulier depuis la crise sanitaire. "Aujourd’hui, aucun animal ne me fait peur. Par contre, il y a des propriétaires qui peuvent être difficiles." La profession est également exposée à la souffrance des animaux, peu importe l'espèce. La pratique de l'euthanasie sur des animaux qu'ils soignent à un réel impact psychologique, tout comme la peur de commettre une erreur.

Le rapport d'activité de l'ordre national des vétérinaires de 2021, constate une augmentation de 10,5 % des agressions et incivilités envers les vétérinaires et leur personnel entre 2020 et 2021. Sur la région Grand Est, on rapporte 22 agressions en 2020 contre 13 l'année précédente. À l'échelle nationale, 315 incivilités ou agressions ont été déclarées en 2021, soit un peu plus d’une agression pour 64 vétérinaires, ce qui est largement supérieur au taux d'agression des médecins, des kinésithérapeutes, et des pharmaciens.

Les peines des vétérinaires sont nombreuses et ne seront probablement pas immédiatement guéries par les solutions politiques. Pour vous éviter de multiplier les kilomètres pour soigner en urgence votre animal de compagnie, voici quelques conseils.

Les solutions pour soigner son animal

Si vous êtes propriétaire d'un animal de compagnie ou de rente, le docteur Pérrenès conseille de vous renseigner sur les permanences, la continuité des soins et les modalités de prise en charge des cabinets et cliniques situées autour de chez vous. En d'autres termes, anticipez et demandez à votre vétérinaire s'il y a une activité ouverte en permanence, et comment s'organisent les tours de garde. Un vétérinaire dont le cabinet n’est pas ouvert tout le temps à l’obligation de vous adresser à une structure qui peut pouvoir vous recevoir.

"Souvent, on n’imagine pas le pire quand on est propriétaire d’un animal. C’est quand on se retrouve dans une situation d’urgence qu’on est pris de panique et qu’on a du mal à prendre une décision. Ça vous évite de vous retrouver devant cinq portes fermées un dimanche à la recherche d’une structure. C’est quelque chose que je vois très souvent", nous raconte Yannick Pérrenès, également directeur d'un centre hospitalier vétérinaire à Reims.

En cas d'urgence, méfiez-vous de certains sites internet au nom trop aguicheur qui promettent une mise en relation téléphonique avec un vétérinaire de garde. Souvent, le numéro de téléphone mis en avant est surtaxé (d'environ 80 centimes par minute d'appel) pendant qu'un robot vous fait patienter artificiellement avant de vous mettre en relation avec un cabinet de garde. Pour éviter de vous noyer dans les nombreux numéros surtaxés que compte internet, retenez le 3115, un numéro vert (gratuit) pour les urgences vétérinaires et la mise en relation avec un service de garde à proximité.

Les solutions politiques pour enrayer le problème

Quant aux solutions politiques "concrètes" avancées par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, l'exemple de la télémédecine qui est en cours d'expérimentation à son lot d'avantages. Pour les personnes les plus éloignées d'un vétérinaire, le Dr. Pérrenès l'affirme, la solution est viable et peut fluidifier un certain nombre de choses, tout en économisant des déplacements. Mais tout ne se résout pas par télémédecine. "Vous n'allez pas mettre l’iPhone dans le cul de la vache pour que le veau sorte tout seul", ironise-t-il.

En attendant le déploiement de la télémédecine vétérinaire, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, et des organisations vétérinaires et agricoles travaillent sur la simplification du suivi sanitaire des éleveurs avec l'élaboration de "contrats de soins" et des visites obligatoires en élevage, mais aussi une future contractualisation d'"éleveurs-vétérinaires" et a délégation de missions administratives aux organismes vétérinaires à vocation technique.

durée de la vidéo : 00h02mn54s

Yannick Pérennès était l'invité de l'émission Vous êtes formidables, la matinale positive du lundi au vendredi à 10h00 sur France 3 Grand Est.

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