Bernard Schaller, interassociation de Froeschwiller
Introuvables dans les supermarchés, ces 150 variétés de pommes anciennes ont toutes des qualités bien précises : hâtives ou tardives, pommes "à couteau" (c'est-à-dire à croquer telles qu'elles), "de cave" pour la conservation, pommes à jus, comme la "Maijàpfel", pommes à cuire – ah ! la "Boskoop", inégalable pour les tartes. Il y a même une variété allemande, "Minister von Hammerstein", qui ne provoque aucune allergies.
Autrefois, les Alsaciens plantaient des pommiers très divers afin de couvrir l'ensemble de leurs besoins, et disposer de fruits du mois d'août jusqu'au printemps suivant. Pour obtenir le meilleur jus ou la meilleure compote, ils n'hésitaient pas à mélanger plusieurs variétés, telle pour l'acidité, telle autre pour le sucre, et une autre encore pour sa saveur particulière.
Mais dans les années 1970, avec l'engouement pour la "Golden", bon nombre de vieux vergers ont été arrachés pour les remplacer par la nouvelle venue. Et beaucoup de ces pommes anciennes auraient pu disparaître si le Parc régional des Vosges du Nord n'avait pas pris l'initiative de créer ce verger conservatoire. "C'était encore le moment" se souvient Bernard Schaller, responsable du verger conservatoire pour l'inter-association de Froeschwiller. "Beaucoup de nos aînés avaient encore d'anciens vergers, ou de vieux arbres dans leur jardin." De nombreux moniteurs de taille ont donc fait la tournée des villages, dans le but de récupérer des greffons de toutes ces variétés anciennes.
Les premiers arbres ont été plantés en 1983, sur ce terrain mis à disposition par la commune de Froeschwiller : des "moyennes-tiges", sur lesquels on a greffé les greffons ainsi récoltés. Trois ans plus tard, la même opération a été réalisée sur des arbres "hautes-tiges".
Du bio avant l'heure qui fait toujours ses preuves
Dès le départ, la volonté était aussi de ne pas traiter les jeunes arbres. "Ça, c'en est la preuve" sourit Charles Fresch, pomologue amateur et amoureux du verger conservatoire, en montrant une pomme à la belle peau rouge percée de deux trous de vers. "Si vous passez près d'un pommier et voyez ce genre de trous, vous pouvez être certain qu'il n'est pas traité."
Sur chaque arbre, une petite pancarte indique le nom de la variété, et si possible, son ancienneté. Certaines replongent dans un passé lointain, comme la "pomme d'Api", déjà connue à l'époque romaine, ou la "Weinling" (Vineuse blanche d'hiver), une authentique Alsacienne, attestée depuis 1544.
Car la vocation de ce verger pas comme les autres est également scientifique. Plusieurs fois par an, des pomologues viennent y faire des recherches "généalogiques" à partir de l'ADN prélevé sur les fruits, mais aussi sur les feuilles. Ils cherchent à bien identifier chaque variété, pour éviter les doublons et retracer son parcours singulier. En effet, il était fréquent qu'une même pomme ait un nom différent d'un village à l'autre. "Telle pomme a cinq noms, telle autre six" précise Bernard Schaller. "C'est aussi toute cette histoire de chaque pomme qui est intéressante."
Je veux qu'ici, des enfants puissent courir (...) et leurs parents, rêver.
Et Martine Fullenwarth (présidente de l'association Fruits, fleurs et nature de Woerth et environs) est, elle, responsable de la partie pédagogique. Le verger accueille aussi régulièrement des classes, de la primaire au lycée, des groupes de personnes handicapées, et également des familles. "Ce jardin est super pour les experts, pomologues, moniteurs ou fédérations de producteurs" rappelle Martine Fullenwarth. Mais moi, je veux qu'ici, des enfants puissent courir et crier, tandis que leurs parents prennent le temps de rêver, respirer et goûter." Elle y organise des ballades et des jeux de piste, à la recherche de la "pomme boudin", la "Winterbanana" (Banane d'hiver), la "Paradisapfel" (Pomme du paradis) ou l'énorme "Bismarck".
Et son plus grand bonheur est qu'à l'issue de la visite, les familles commandent l'un de ces arbres auprès de l'association, puisque leur visite leur a donné envie de replanter l'une de ces variétés anciennes dans leur propre jardin, et d'en assurer à leur tour la transmission.
Dernier petit détail : le verger conservatoire se situe en plein milieu du site de la bataille franco-prussienne de Woerth-Froeschwiller, du 6 août 1870. Un lieu de mort, redevenu lieu de vie et de partage.