Pourquoi l’école n’arrive plus à apprendre à nager aux enfants

Publié le Mis à jour le

Au printemps 2019, la ministre des Sports Roxana Maracineanu tirait la sonnette d’alarme : un enfant sur six ne sait pas nager à son entrée au collège. La natation est pourtant un enseignement obligatoire à l’école primaire. Comment se passent les séances de nos petits à la piscine ? 
 

Un samedi matin au centre nautique de Schiltigheim (Bas-Rhin): une soixantaine de parents se présentent pour passer l’agrément piscine, le sésame qui leur permettra d’accompagner les enfants lors des séances de natation organisées par l’école. "Pour réussir votre test, expliquent les maîtres-nageurs aux parents, vous devez faire une mise à l’eau sans échelle, nager une distance de 50 mètres avec une moitié en nage ventrale et l’autre moitié en nage dorsale. Puis faire la planche et le mort pendant quelques secondes." 



Pas de difficulté majeure dans l’épreuve, pas d’aptitude sportive particulière requise, pas d’expérience à avoir dans l’encadrement des enfants. A la fin de la matinée, les soixante parents sont tous repartis avec leur agrément, valable pour une durée de 5 ans (modalités d'obtention de l'agrément dans le Bas-Rhin).



Le niveau requis est peu exigeant. Mais de toute façon, les parents accompagnateurs n'auront pas à enseigner la brasse aux enfants. Au bord des bassins, leur rôle est avant tout d’aider à la surveillance des petits et de seconder les instructeurs. Par ailleurs, la réglementation n'impose qu'un minimum de deux encadrants adultes pour un groupe allant jusqu'à 30 élèves à l'école élémentaire.

 



Dans ces conditions, il paraît illusoire de penser que votre bambin quittera le CM2 en sachant nager le papillon : le but à la fin du cycle est qu’il sache rejoindre la rive en étant à 15 mètres du bord sans avoir pied. Le petit chien peut largement permettre à votre enfant de s’en sortir en piscine. Mais il risque de perdre toute confiance et de paniquer en pleine mer.



D’autant que le programme scolaire n’impose qu'un volume de 30 heures d'enseignement obligatoire de la natation entre le CP et CM2. "C’est déjà trop peu, réagit Denis Westrich, coordinateur de la fédération française de natation dans le Grand Est. Et souvent, ces 30 heures sont éclatées sur tout le premier cycle : les enfants ont un premier trimestre de natation en CP, un autre en CE2 et encore un fin CM2. On ne peut pas leur apprendre correctement à nager dans ces conditions."

Si on enseignait la lecture comme on enseigne la natation à l'école, il faudrait des années pour apprendre à lire

- Denis Westrich, coordonnateur de la Fédération française de natation



Un enfant sur six ne sait pas nager

Au faible nombre d’encadrants requis s’ajoute le fait que dans le cadre scolaire, la nage est enseignée par un professeur de natation qui n’est autre, dans l'écrasante majorité des cas, que le maître ou la maîtresse. "Ce n’est pas imposé aux professeurs des écoles, ils peuvent refuser, explique Denis Foehrlé, directeur du centre national des métiers de la natation. Ceux qui acceptent n’ont droit qu’à une formation à minima, sur la réglementation et la sécurité. Mais parfois ils n’ont même pas de formation pratique", ajoute-t-il, regrettant la disparition des IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres, supprimés en 2013). "A l’époque, les instituteurs avaient des formations dédiées à la natation proposées par des maîtres référents spécialement habilités. Maintenant, ils n'ont plus droit qu'à un saupoudrage de formation."

Ce Haut-Rhinois, maître-nageur pendant trente-cinq ans à la piscine de Fessenheim, est au cœur du plan interministériel "Aisance aquatique" initié par la ministre des Sports et ancienne championne du monde de natation Roxana Maracineanu. Un plan né d'un constat alarmant : le nombre de noyades a augmenté de 30% en France entre 2015 et 2018, les jeunes enfants représentant la majorité des victimes. La réforme envisagée par la ministre prévoit notamment une initiation au milieu aquatique dès la maternelle (où l'enseignement de la natation n'est pour l'heure que facultatif) sous la forme de "classes bleues" calquée sur le modèle des classes vertes dédiées à la nature. 

 



Pénurie de maîtres-nageurs en France

"On manque de structure et de personnel pour proposer des initiations convenables aux enfants", analyse Denis Froehlé qui a plus particulièrement en charge le volet formation des maîtres-nageurs. L'été dernier, le syndicat national de la profession avait tiré la sonnette d'alarme en avançant le nombre de 5.000 maîtres-nageurs manquant en France. "C'est un chiffre à relativiser, qui inclue aussi les manques en termes de sauveteurs-secouristes (chargés uniquement de la surveillance) et la situation n'est pas la même dans toutes les régions, détaille-t-il. L'Alsace s'en sort plutôt bien dans le domaine, mais on connaît aussi des tensions notamment en période estivale", précisant que 200 postes étaient restés non pourvus dans le Grand Est au cours de l'été 2019.

 

"La formation des maîtres-nageurs est totalement à revoir" conclut celui qui va donc avoir en charge de la réformer. Une formation dont les contours ont nettement changé au cours des dernières décennies. "Il y a trente ans, la formation ne coûtait pas très cher, et les postulants pouvaient la faire en parallèle de leurs études ou d'une activité professionnelle. Maintenant, il leur faut s'y consacrer pleinement pendant un an et débourser plus de 6000 euros."



Pour un métier qui n'attire plus. Une crise de vocation due à des salaires peu attractifs qui ne dépassent guère le Smic dans les structures privées. Mieux lotis sont ceux qui parviennent à obtenir le statut d'agent territorial en décrochant une embauche dans une collectivité, leur statut leur conférant des possibilités d'évolution professionnelle. "Dans les faits, il s'avère de plus en plus difficile pour des maîtres-nageurs de décrocher ce statut, constate Denis Froehlé, car de plus en plus de communes délèguent la gestion de leur structure aquatique à des organismes privés." Des conditions qui ont entraîné un fort turn-over dans la profession : les jeunes recrues sont nombreuses à renoncer au bout de quelques années ou à s'envoler une fois formés vers des destinations ensoleillées.

Il faut se calquer sur le système des pompiers volontaires

- Denis Froehlé, directeur du centre national de formation des métiers de la natation



"Dans les villages, les casernes de pompiers tournent très bien grâce aux pompiers volontaires qui n'interviennent que ponctuellement, quand il y a des besoins" : voilà le modèle dont pourrait inspirer la refonte de la formation des maîtres-nageurs. Permettre aux candidats de se former en trois ans au lieu d'un, ne pas leur imposer ce métier à temps plein mais créer des astreintes. "Cela nous permettrait de recréer un vivier de gens formés pour pouvoir gérer aussi bien l'année régulière que les surcroîts d'activité pendant la période estivale", espère l'artisan de la réforme.



Alors comment apprendre à mon enfant à nager ?

Les cours de natation hors cadre scolaire paraissent incontournables. Il faut pour cela se rapprocher de sa municipalité ou de la structure aquatique proche de chez vous qui vous indiquera des éducateurs sportifs (comptez 10 à 15 euros en moyenne pour une séance).



Plusieurs initiatives sont par ailleurs entreprises pour faciliter l'apprentissage de la nage :
  • depuis 2008, le club de natation de Molsheim-Mutzig AC2M (Aquatic club Molsheim Mutzig) propose depuis 2008 un passeport "Sauv'Nage" sur le principe de 15 cours proposés pour 15 euros sur une période de 3 semaines à destination des enfants
  • l'opération nationale "j'apprends à nager", relayée en Alsace, propose 10 cours de natation gratuits. Elle s'adresse aux enfants de 4 à 12 ans. Les sessions sont organisées pendant les vancances scolaires.
La vidéo ci-dessous, réalisée par les pompiers des Bouches-du-Rhône, rappelle quelques consignes simples de vigilance pour éviter la noyade :Consultez la campagne nationale pour la prévention des risques de noyade
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité