Mise en demeure suite à un rapport d'inspection de l'académie de Strasbourg qui a révélé des dysfonctionnements, l'école Steiner Mathias Grunewald de Wintzenheim (68) indique avoir déposé un référé-suspension. Le rectorat lui attend des réponses et se dit prêt "à prendre les décisions qui s'imposent".
Un courrier du rectorat adressé le 12 mars 2024 à l'école Steiner Mathias Grunewald de Wintzenheim (68) met en demeure l'établissement sur différents points. Plusieurs manquements ont été signalés, dont la présence de 14 enseignants qui n'ont pas d'autorisation d'exercer et la constatation d'un niveau insuffisant des élèves dans certaines matières. Le recteur, Olivier Faron, demande à l'école de se mettre en conformité avec le code de l'éducation au plus vite. Cette lettre est l'aboutissement d'une enquête commencée le 12 octobre 2023, jour de l'inspection surprise des trois établissements ou classes Steiner présents en Alsace, à Wintzenheim, Wittelsheim et Strasbourg.
Ces établissements privés hors contrats défendent la liberté pédagogique d'un modèle anthroposophe qui est développé dans 19 écoles et jardins d'enfants Waldorf de France, inspiré de la méthode pédagogique de Rudolf Steiner. À Wintzenheim, on met en avant une volonté de dialogue avec le rectorat depuis plusieurs années pour faire valoir le droit à proposer des enseignements autres que les enseignements classiques, et un cycle primaire plus long, jusqu'à 14 ans (avec donc des enseignements de plusieurs matières par le même enseignant jusqu'à cet âge).
L'établissement assure avoir fait le nécessaire
Dans cet établissement, 14 enseignants sont ciblés par le rectorat comme étant sans autorisation d'enseigner. Si les enseignants des établissements privés hors contrat ne sont pas des salariés de l'Education Nationale, ils doivent tout de même répondre à des critères définis par le code de l'éducation pour les enseignants du privé. Il faut ainsi être titulaire d'un Bac+ 2, être majeur, d'une nationalité d'un pays européen, avoir un casier judiciaire vierge et avoir une autorisation pour enseigner la matière demandée. Or, à Wintzenheim, selon le rapport d'inspection de l'Education National, tel enseignant "enseigne dans le 1er degré sans autorisation", un autre "enseigne le français au lycée alors qu'il/elle est autorisé.e à enseigner le français uniquement au collège", un troisième "enseigne la géographie sans autorisation", un autre "enseigne le français dans le 2d degré alors qu'il/elle n'est autorisé.e à enseigner que l'anglais".
Quatre enseignants continuent également de faire cours aux élèves alors qu'ils ont reçu des avis défavorables (adressés par la préfecture du Haut-Rhin à l'établissement en 2020, 2021 et 2022) et trois enseignent l'éducation musicale sans autorisation. La directrice du lycée (14-18 ans), Elisa Frassetto explique qu'il s'agit d'un problème de communication : "certains enseignants sont en fait des intervenants, ils sont pianistes, et ils n’auraient pas dû être notés comme enseignants, là-dessus on s’est mis en conformité".
Il y a aussi un enseignant qui "enseigne tous les champs disciplinaires en 6e alors qu'il/elle n'est autorisé.e à enseigner que les sciences de la vie et de la terre". Pour la directrice, ce dernier point fait partie de leurs revendications : le primaire dans les écoles Steiner va de 7 à 14 ans, le lycée de 14 à 18 ans. "Nous avions un prof qui enseignait plusieurs matières, explique Elisa Frassetto. "C'est lié à notre cycle long de primaire, comme dans toutes les écoles Steiner. Pour l'instant nous avons cessé l'activité [de cette personne] et nous essayons de trouver une solution."
Untel "enseigne tous les champs disciplinaires en 6e alors qu'il/elle n'est autorisé.e à enseigner que les sciences de la vie et de la Terre"
Extrait du courrier de mise en demeure du rectorat de Strasbourg à l'école Steiner de Wintzenheim
L'école assure avoir fait le nécessaire, un mois et demi après la réception de cette lettre. "Nous avons tout de suite voulu nous mettre en conformité, assure Elisa Frassetto. Et nous avons cessé l’activité des enseignants concernés par le rapport. Nous avons lancé une série de demandes d’autorisation d’enseigner ou de demandes de dérogations. Et réitéré notre demande de dialogue au rectorat sur ces questions, sachant que certaines demandes remontent à 2022 et n’ont pas trouvé de réponse positive."
Faiblesse de l'écrit, manque d'objectifs clairs pour les élèves, meilleur contrôle des apprentissages
La liste est longue de tous les aspects à revoir, le courrier du recteur demande à l'école Steiner de fournir une liste complète et à jour des élèves (ce qui n'était pas le cas le jour de l'inspection) dans les plus brefs délais ainsi que la rédaction des deux plans particuliers de mise en sécurité (PPMS) risques majeurs et attentat intrusion. L'école affirme par retour de courrier avoir procédé à un exercice anti-intrusion le 13 février 2024 ainsi qu'un exercice évacuation incendie le 14 novembre 2023.
D'autres points inquiètent le rectorat : la faiblesse du niveau dans certaines matières, le manque de traces écrites par les élèves et d'objectifs clairement définis par les enseignants pour faire comprendre aux élèves ce qui est attendu.
Il préconise de "consacrer un volume horaire suffisant aux enseignements fondamentaux pour permettre aux élèves d'acquérir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture", "d'investir la réflexion autour de la progressivité des apprentissages, des traces des élèves et de la nécessaire formalisation d'un livret scolaire adossé aux compétences du socle". Le courrier rappelle les sanctions encourues, soit un an d'emprisonnement, 15 000 euros d'amende et l'interdiction de diriger une école ou d'enseigner.
S'ils ne reçoivent pas le bon niveau d’enseignement, ou qu’ils ne sont pas dans des conditions propices à leur développement personnel, je prendrai les décisions qui s’imposent.
Olivier Fanon, recteur de l'académie de Strasbourg
Les deux autres écoles alsaciennes concernées ?
Interrogé par France 3 Alsace, le recteur Olivier Faron, n'a pas souhaité révéler si les deux autres écoles Steiner alsaciennes sont concernées par le même type de mises en demeure. "Ces rapports devraient rester confidentiels, puisque nous sommes dans une phase contradictoire et nous attendons des réponses officielles. Je regrette qu'un de ces rapports circule", a-t-il précisé.
De leur côté, plusieurs élus d'opposition strasbourgeois, dont Pernelle Richardot (PS) indiquent que des problèmes similaires existeraient au sein de l'école Steiner Michaël de Strasbourg-Koenigshoffen. Ils demandent une suspension des subventions municipales accordées à cet établissement qui les perçoit car l'ensemble de ses classes n'appliquent pas la pédagogie Steiner, trois classes (une minorité) étant sous contrat. "C'est parce que ces trois classes sont sous contrat que l'école revendique des subventions publiques comme si toutes les classes étaient sous contrat, ce qui est une aberration. C'est pour cela que nous avons demandé l'application d'un principe de précaution et que le vote des subventions municipales pour cet établissement soit séparé du vote concernant les autres établissements privés qui eux sont entièrement sous contrat."
"Il y a [dans les écoles Steiner-Waldorf] des cours d’eurythmie, très ésotériques, où on oblige les jeunes filles à ne jamais porter de noir. Il y a une prière qui est dite le matin et qui est obligatoire, qu’on n’appelle pas prière mais parole. Il y a des enseignements en matière d’histoire et de sciences très particuliers. Le rectorat reconnaît que ces enseignements sont soit insuffisants, soit très particuliers en matière de philosophie." Pour toutes ces raisons, Pernelle Richardot demande une réunion avec les élus de Strasbourg sur le sujet.
Le recteur a par ailleurs rappelé à France 3 Alsace que "des faits très préoccupants se sont produits, et c'est pour cette raison qu'il y a une enquête". "Nous ferons un contrôle sur le contenu des enseignements transmis aux jeunes, sur le fait que les enseignants soient habilités ou non, et sur les conditions générales d'éducation au sein des établissements concernés. Ma responsabilité, c’est de garantir à tous les jeunes Alsaciens et Alsaciennes un parcours éducatif leur permettant de réussir leur vie et que ce parcours éducatif soit un socle pour leur avenir. Si je considère que cette exigence n’est pas respectée et qu’ils ne reçoivent pas le bon niveau d’enseignement, ou qu’ils ne sont pas dans des conditions propices à leur développement personnel, je prendrai les décisions qui s’imposent."
La suite
L’école de Wintzenheim a déposé un référé en suspension qui sera suivi par un recours de fond. Elle a pris un avocat, nous explique Elisa Frassetto. "Pour comprendre la liberté pédagogique : jusqu’où ce modèle peut être mis en place dans le cadre d’une liberté pédagogique dans une école hors contrat."
De son côté le rectorat va faire un contrôle du respect des mises en demeure formulées dans sa lettre, comme c'est le cas pour tous les établissements concernés. "C’est une procédure avec une première injonction, rappelle le recteur. Je commence à avoir un certain nombre de réponses, ces réponses vont être analysées par les inspecteurs. Et en fonction du contrôle de la manière dont ces mises en demeure seront faites, je serai amené à prendre une décision concernant les établissements concernés."
La ville de Strasbourg n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet pour l'instant, elle laisse l'enquête suivre son cours. Elle n'a pas répondu à la demande de l'opposition d'organiser une réunion sur ce sujet.