Alain Altinoglu vient d'être nommé directeur artistique du Festival international de Colmar. Il y remplace le chef russe Vladimir Spivakov resté aux baguettes pendant plus de trente ans, avec l'intention d'ouvrir le Festival au monde et aux publics. Tous les publics.
Alain Altinoglu est un homme épris de classique et très pris par la musique. Son agenda long comme une partition mahlérienne en témoigne. Nous trouvons tout de même un créneau pour nous appeler. 11h15 ce mercredi 2 novembre. Le temps d'un trajet en taxi vers la gare du Nord où il partira à Bruxelles diriger le Chevalier à la Rose, "j'ai l'habitude, pas de problème" m'explique-t-il. 24 minutes montre en main. Interview Prestissimo.
Pour le chef d'orchestre de 47 ans,qui transite constamment entre Bruxelles où il dirige le Théâtre de la Monnaie, Francfort où il dirige l'Orchestre symphonique de la Radio et Paris où il habite et donne des cours de direction au Conservatoire National Supérieur de Musique, les départs sont choses somme toute très banales.
Pour Colmar par contre, son arrivée sonne comme un nouveau départ. Alain Altinoglu est désormais le nouveau directeur artistique du Festival international. Si pendant plus de trente ans, le chef Vladimir Spivakov a forgé ce festival et marqué de son empreinte, russe, la programmation, Alain Altinoglu amène dans ses bagages et sous sa chevelure romantique un air nouveau et des idées bien précises.
Alain Altinoglu connaît plutôt bien Colmar et son festival. Pianiste virtuose de 22 ans, il y a joué au Koïfhus en 1997 lors d'un récital avec sa femme la mezzo-soprano Nora Gubisch. Elle, est une habituée de la scène colmarienne. Lui, accompagnateur de l'ombre, de son public. "J'en garde un souvenir ému et j'adore la région. Le public aime la musique classique traditionnelle on va dire mais il est ouvert à apprendre, chaleureux et fidèle. Un super public en gros. Quand on m'a proposé cette direction je n'ai pas hésité même si vous l'aurez deviné mon emploi du temps est compliqué. Je suis super content de devenir un peu alsacien. Ca va être chouette."
Quand on m'a proposé cette direction je n'ai pas hésité même si vous l'aurez deviné mon emploi du temps est compliqué. Je suis super content de devenir un peu alsacien oui.
Alain Altinoglu, chef d'orchestre, directeur artistique
Il est rare d'entendre un chef d'orchestre s'exprimer ainsi. Aussi familièrement. C'est bien. La musique classique de dévergonde. Se démocratise. "Ce sera un de mes principaux objectifs pour ce festival : ouvrir le festival à l'international en faisant venir des artistes du monde entier. Jusqu'à présent, ce festival de très grande qualité était surtout centré sur la musique classique russe. Moi, je veux le diversifier et l'ouvrir tout court en fait. Aller vers le grand public. Il faut arrêter de penser que le classique est une musique de riches, il faut démocratiser le festival par le biais de l'éducation comme en organisant des masterclass par exemple."
Depuis ses 22 ans, Alain Altinoglu a fait du chemin. Beaucoup. En train et en avion. Pianiste, chef d'orchestre depuis 20 ans, il a dirigé les plus grands orchestres au monde : le Metropolitan Opera de New York, le Royal Opera House Covent Garden, le Wiener Staatsoper, l’Opernhaus Zürich, le Teatro Colón Buenos Aires, le Deutsche Oper Berlin, le Staatsoper Unter den Linden, le Bayerische Staatsoper München ainsi que les trois maisons d’opéra de Paris.
Il a aussi, et c'est assez révélateur du personnage, publié un livre destiné aux enfants Maestro, à vous de jouer ! et donne régulièrement des « Leçon de musique » aux abonnés du journal La Libre Belgique.
Programmation éclectique
Nous n'en saurons pas beaucoup plus sur la programmation de cette 33ème édition. Elle est encore en gestation. Alain Altinoglu part d'une feuille blanche mais il sait compter sur des artistes fidèles "comme le pianiste incroyable Grigori Sokolov qui fait salle comble tous les ans" ou des amis musiciens. "Là ça devient compliqué je dois bien avouer. Programmer c'est choisir. Et choisir c'est renoncer. Le festival international c'est trois concerts par jour sur une dizaine de jours : une trentaine d'artistes quoi. C'est beaucoup et c'est peu …"
Passer de chef d'orchestre à directeur artistique : " C'est passer de l'autre côté du miroir en somme. C'est très excitant. C'est comme un gros puzzle avec des pièces partout qu'il faut mettre dans un certain ordre pour faire un tableau magnifique et surtout homogène. Et pour cela oui il faut bien choisir, même parfois parmi ses amis, aussi doués soient-ils."
Passer de chef d'orchestre à directeur artistique : c'est passer de l'autre côté du miroir en somme. C'est très excitant.
Alain Altinoglu, chef d'orchestre, directeur artistique
"Tout vient de moi là, je fais la programmation de A à Z , je choisis, je tranche, je dois faire des associations auxquelles personne n'aurait pensé, trouver des créations originales. C'est une grande liberté surtout qu'en tant que chef d'orchestre, même si je dirige c'est vrai, je fais partie d'un grand tout. Je dirige mais je ne compose pas. Là je compose tout un programme, c'est grisant." Alain Altinoglu traversera le miroir quelques fois lors de la prochaine édition, c'est une certitude. On ne lâche pas la baguette aussi facilement. Surtout quand on en est un virtuose.
Alain Altinoglu a une préférence pour le baroque certes mais il l'affirme, son programme sera éclectique. "Pour le moment, nous n'irons pas vraiment sur le contemporain. Mais ça viendra. Je vais sans doute solliciter des compositeurs pour des créations originales pour le festival en 2024. Mon mandat est à durée indéterminée, j'ai le temps de voir venir, de travailler au long cours. Je veux de tout : de grands orchestres, qui balayent tout l'éventail de la musique." Tempête en approche.
Le programme définitif sera dévoilé en février prochain. J'entends une portière qui claque. Alain vient d'arriver à la gare du Nord. Notre interview se termine ici. Sur ce parvis bruyant. Alain Altinoglu a un sens aigu du rythme, du tempo. C'est même son métier.