César 2024 : dans les pas de Cyrille Bonjean, César des meilleurs effets spéciaux pour le film Le Règne animal

Le César des meilleurs effets spéciaux a été attribué aux trois superviseurs des studios qui ont travaillé sur Le règne animal. Cyrille Bonjean est l'un d'eux, il travaille pour le studio MPC. Avec lui, 184 personnes ont travaillé sur ces effets spéciaux, de Bengalore à Paris, pendant deux ans. Un travail de longue haleine pour donner vie à des créatures mi-hommes mi-bêtes.

Rien ne prédestinait Cyrille Bonjean au cinéma et à ses chimères. Petit-fils d'agriculteurs de Balgau (Haut-Rhin), ses premiers pas ont été très terre à terre, dans les salades. Loin du hors-champ qu'il habite désormais.

Deug de maths physique, licence de maths et DU (diplôme universitaire) audiovisuel appliqué à Strasbourg, Cyrille trace son sillon, encore incertain. "Je voulais être monteur, j'ai fait des stages, j'ai testé." Un passage à Télé Biesheim et même à France 3 Alsace ("j'ai assisté au doublage de Tintin en Alsacien") lui font découvrir l'envers du décor. Encore bien réel.

Y en a qui sont morts dans la salle de bains, moi j'ai fini pendu à la mezzanine.

Cyrille Bonjean, superviseur effets spéciaux

Peut-être trop. Car, la fiction le travaille au corps depuis longtemps. Dans ses veines d'enfant coule du ketchup. "J'ai toujours eu un caméscope, j'en ai encore un d'ailleurs. Petit, je me faisais des films. Je me souviens d'un tournage dans la maison de vacances à Biarritz. Horrible, un massacre à la caméra, personne n'en a réchappé. Un Blair Witch dix ans avant l'heure. Il y en a qui sont morts dans la salle de bains, moi, j'ai fini pendu à la mezzanine." Cette fiction s'appellera Biarritz en septembre : saison morte.

L'ado ne manque ni d'humour ni d'imagination. Un filon qu'il va dès lors inlassablement suivre. Le nez en l'air, satellite pointé vers l'espace de tous les possibles. Il intègre "au bluff" un Master ingénierie des systèmes images et sons dans les Hauts-de-France. Il en ressort major. Une petite fierté. À l’occasion d’un stage à Chicago, où il était supposé faire du montage, il tombe sur des outils étranges, inutilisés, spéciaux. Ce sera une révélation, une Rencontre du troisième type. 

Harry Potter et les reliques de la mort

Cyrille roule sa bosse, incrustée en 3D sur fond vert dans son dos, pendant huit ans. Il devient compositeur puis superviseur d'effets spéciaux pour différentes compagnies comme Duran, Duboi et Mac Guff. Il contribue à une trentaine de films :  Underworld 3, Un long dimanche de Fiançailles, Lord of War, Secret Defense ou Harry Potter et Les Reliques de la Mort 2ème partie.

"Là franchement, c'était un rêve qui se réalisait. C'était le dernier, je voulais absolument en être. Pour les amateurs de foot, c'est comme participer au Championnat d'Europe, vous voyez ?" Pas vraiment, mais j'imagine. "C'était grandiose, j'ai laissé ma femme et mes enfants pendant six mois, je suis parti à Londres." Eurostar et Nimbus 2000.

En 2013, Cyrille rejoint le groupe Mikros Image (aujourd'hui MPC) et devient superviseur VFX, "tout en haut de la pyramide, je suis le producteur artistique des effets spéciaux si vous voulez." Depuis, il a travaillé sur les effets spéciaux de 87 films. La Vie d’Adèle, Good Maners, nommé pour les meilleurs effets visuels au Grande Prêmio do Cinema Brasileiro en 2019, Divines qui a remporté le César du meilleur premier film en 2017, Astérix et le Domaine des Dieux… La liste est longue. Si Cyrille a le nez en l'air, il l'a aussi creux. 

"Mon métier est très polyvalent. Je me vois comme un conseiller technique du réalisateur en fait. En gros, je reçois un scénario, je le lis, je l'étudie en annotant directement le script. Trucage maquillage, incrustations ou effets spéciaux à 100%. Je rencontre le réalisateur, on prend la température artistique et je fais un devis."

"Si tout se passe bien, je prépare le film avec tous les chefs de département comme les chefs déco, les chefs de cascade et surtout le chef opérateur. Il faut parfois tourner des scènes en fonction des effets spéciaux voulus, j'assiste au tournage, je scanne le décor, fais une captation lumière et espace. Il y a ensuite un gros travail de postproduction, en parallèle du montage ..."

Là ensuite, ça devient très technique. Je perds pied. Je divague, accrochée à un mince câble, aux confins d'un univers parallèle. "Vous suivez ?" Pas vraiment, mais j'imagine. Décidément.

Le règne animal

Revenons sur terre. Dans les embouteillages, klaxons en furie, ciel bas. Une créature aux ailes immenses, un homme-rapace s'envole, fugace, après avoir fracassé les portes closes d'une ambulance. Scène d'ouverture du Règne animal de Thomas Cailley.

Fix, mi-homme, mi-volatile, est une des créatures pour lesquelles Cyrille a déployé son génie. Une créature, il insiste. Pas un monstre. C'est le cœur du film. "Non pas que nous soyons des créateurs, mais ces chimères ont une part d'humanité." 

"Ça a été le plus compliqué. Mêler l'humain à l'animal de la manière la plus fluide, la plus naturelle possible. Que les effets spéciaux deviennent accessoires alors que nos créatures portent le film. Le comédien Tom Mercier a été accompagné par un chorégraphe pour se mouvoir tel un oiseau, il a intégré l'oiseau, il a porté la créature en lui". Rendre l'artifice naturel, un pari fou. "Il a fallu coller de la 3D sur un corps en perpétuel mouvement, dans un décor naturel. Ses ailes ne sont pas dans le dos, mais sont ses bras, c'est plus qu'une connexion, c'est un amalgame." 

Parfois, pour les gros plans, le maquillage, réalisé par CLSFX/Atelier 69, suffit. Dans d'autres, la technique est, tiens, elle aussi, hybride : maquillage, prothèses, effets plateau (cascades) et VFX (effets visuels). Rarement, il n'y a que des effets spéciaux. "Un véritable challenge, ça nous a obligé à monter de niveau. Il fallait être à la hauteur du scénario, de l'histoire… Magnifique." 

La gloire de mon père

Si Cyrille s'est autant investi dans le film, c'est que, pour une raison tue jusqu'alors, l'histoire l'a bouleversé. 

Le Règne animal explore la thématique de la différence, de son acceptation, de notre rapport au vivant mais pas seulement. Il est aussi une folle histoire d'amour entre un père et un fils, contraints de se réinventer dans un monde qui se peuple de créatures prodigieuses. "Quand j'ai vu le premier montage, son niveau, son émotion, j'ai pleuré."

Cette histoire a résonné en moi, ça explique pourquoi peut-être je suis très attaché à ce film

Cyrille Bonjean, superviseur effets spéciaux

Au hasard d'une phrase sur ses parents, Cyrille voit l'évidence. "Je n'en ai jamais parlé en interview jusqu'à maintenant, ni même posé la question en fait, c'est bizarre." L'étrangeté se loge souvent en nous. "Mon père est décédé au début du tournage, je l'ai probablement gardé en tête pendant ces deux ans de travail. Cette histoire a résonné en moi, ça explique pourquoi peut-être, je suis très attaché à ce film."  

Son père n'a pas assisté à la cérémonie des César. Un regret. Mais Cyrille était bien entouré. " Nous n'étions pas onze, pas des milliers, mais 184, c'était déjà pas mal, les Strasbourgeois comprendront la phrase." Les footeux aussi.

Cyrille tient au travail d'équipe. "Nous avons été 184 artistes à travailler pour MPC sur ce film. Entre Bengalore et la France, pendant deux ans. Et nous sommes trois studios à avoir travaillé sur les effets visuels du Règne animal." Bruno Sommier (Mac Guff) et Jean-Louis Autret, les autres superviseurs, ont eux aussi reçu le César. Un travail d'équipe jusqu'au bout.

Le règne animal a déjà remporté le prix européen des meilleures créatures au festival de Sitges  ou encore, tout récemment, deux prix au Pids, seul festival professionnel français dédié aux effets spéciaux, dans les catégories meilleur film et meilleurs effets spéciaux. "Il n'y a que les professionnels du milieu qui connaissent." Là, avec le César des meilleurs effets spéciaux, c'est une tout autre dimension.

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