Cette tour de 14 étages est privée d'ascenseurs depuis plus d'un an, "c'est la misère, on ne peut plus bouger"

Les deux ascenseurs de la tour Delacroix dans le quartier des Coteaux, à Mulhouse (Haut-Rhin), sont en panne depuis un an et demi. Les habitants de cet immeuble de 14 étages se sentent abandonnés et dénoncent un état de délabrement avancé des lieux.

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Il faut avoir le cœur bien accroché pour gravir les escaliers du numéro 5 de la tour Delacroix, dans le quartier des Coteaux, à Mulhouse. 14 étages, 224 marches. Un éclairage parfois déficient, des odeurs de renfermé, une ambiance oppressante. Passé un certain niveau, l'exercice tient de l'exploit. Depuis la panne des deux ascenseurs en mai 2023, c'est malheureusement le lot commun des résidents du bâtiment.

Passé l'épreuve des escaliers, si l'on pousse la porte de l'un des 56 appartements, l'impression est curieusement tout autre. L'immeuble a été construit dans les années 1970. À cette époque, les acheteurs ne se faisaient pas prier. C'est que la tour avait alors tout pour elle : des appartements spacieux et lumineux, le confort et le modernisme des installations, la vue imprenable sur les Vosges.

Une situation jugée incompréhensible

Un demi-siècle plus tard, les appartements ont gardé leur lustre d'antan et la plupart des premiers acquéreurs sont encore là. Comme M'Ahmed, un monsieur de 75 ans, qui partage son F5 avec son fils et sa belle-fille, Souha, au 8e étage. Si son acquisition immobilière reste agréable à vivre, l'environnement, lui, s'est par contre fortement dégradé. À commencer par les ascenseurs qui ne fonctionnent plus. Avec ses problèmes de santé, difficile d'envisager de descendre et remonter plus de 120 marches sans motif impérieux. "Je le fais juste pour aller faire des courses pour mon fils qui travaille dans la journée et ma belle-fille qui est bloquée."

M'Ahmed a beau essayer de trouver des explications sur ce dysfonctionnement persistant, il dit n'avoir aucune réponse. Ni du syndic, ni de la mairie à qui un courrier rédigé par un collectif d'habitants a été adressé pour demander un rendez-vous. "Je ne comprends plus rien à ce qu'il se passe", déplore M'Ahmed. Une situation qu'il juge d'autant plus incompréhensible que les charges ont, elles, augmenté. Celles-ci auraient doublé en un an, passant de moins de 200 à 375 euros par mois. 

Sa belle-fille, âgée de 30 ans, ne sort plus. Enceinte de six mois, elle a failli perdre son enfant en empruntant les escaliers. Huit étages, parfois dans le noir et à la lampe torche, c'est trop de stress. "En cas d'urgence, je le fais quand même mais en m'arrêtant à tous les étages munie d'un tabouret pour récupérer." En théorie, elle est censée recevoir des soins à domicile, dans la pratique elle doit se débrouiller seule. Les soignants refusent de monter les étages à pied. "Il n'y a qu'une sage-femme qui a accepté de venir une fois par semaine, jusqu'à la mi-août, pas plus". Après, ce sera sans doute une hospitalisation au service femme-mère-enfant de l'hôpital de Mulhouse jusqu'en décembre.

Les voisins du dessus, au 9e étage, un couple copropriétaire installé là depuis 1987, ne bougent guère plus. Menaouer, 78 ans, marche difficilement et doit s'aider d'une béquille. Sa femme, elle, ne se déplace plus du tout. Impossible de descendre et remonter les escaliers. "Les enfants viennent nous voir de temps en temps mais pas tous les jours", alors Menaouer prend son courage à deux mains pour affronter l'épreuve des escaliers, de temps en temps, ne serait-ce que pour ramener quelques courses. "C'est la misère ici depuis un an et demi. On ne peut plus bouger, on est bloqué".

Un syndic surendetté

Si la situation, aux dires des habitants, semble figée, plusieurs interventions ont pourtant bien eu lieu. "Mais à chaque fois des incivilités ont dégradé les ascenseurs. On arrive à un stade où on ne peut plus les réparer ", fait observer Alain Couchot, adjoint au maire de Mulhouse en charge du renouvellement urbain et du logement.

La conclusion est implacable : il faut les changer. Une opération qui resterait assez classique si ce n'était la difficulté quasi insurmontable de la financer. "Il n'y a pas l'argent pour la payer. La copropriété a une fois et demie son budget annuel en dette, à partir de là, la tour ne peut pas fonctionner." Le budget annuel du syndic est en effet de 230 000 euros, alors que le non-paiement de charges de la part des copropriétaires se monte à 300 000 euros.

"En cas de problème de sécurité, la ville peut accompagner, demander des subventions et on a déjà beaucoup fait depuis deux ans, mais on ne peut pas se substituer à la copropriété", souligne l'élu mulhousien.

L'appel de fonds n'aboutit pas

Pour tenter de combler le trou abyssal des comptes du syndic, un administrateur judiciaire a été nommé sur décision de justice il y a deux ans, le cabinet mulhousien AJAssociés. En octobre 2023, celui-ci faisait un appel de fonds pour la rénovation des ascenseurs. Là encore les copropriétaires, du moins une partie d'entre eux, ont fait défaut. La moitié de la somme seulement a été récupérée, ce qui ne permettait pas de commencer les travaux. "Le fond du problème est là, il y a plusieurs centaines de milliers d'euros de dettes. L'objectif de l'administrateur est de faire rentrer de l'argent mais ce sont des procédures longues et plus on avance plus le déficit se creuse. On est sur une pente négative", s'inquiète Alain Couchot.

Une pente négative qui mène tout droit vers l'enfer pour les résidents de la tour les plus remontés contre cette situation de blocage. "On veut nous faire partir", s'emporte cette dame qui veut rester anonyme. Comme elle, certains pensent que le pourrissement est intentionnel. Face aux rumeurs qui circulent dans les étages, l'adjoint tient à rassurer, "le bâti est sain, on ne démolira pas cet immeuble".

Alors pourquoi laisser ce bâtiment se dégrader s'interrogent les habitants. "S'il n'y avait que le problème des ascenseurs mais il y a aussi les incivilités, la délinquance et la drogue". Sur ce dernier point personne ne veut en dire plus, par peur des représailles avouent-ils. "Il suffit de voir les graffitis sur les murs des escaliers, c'est assez explicite."

Si la ville est limitée dans son action, il s'agit d'une copropriété, elle dispose malgré tout avec l'Anah (agence nationale de l'habitat) de possibilités d'accompagnement. "La ville va demander un financement et procéder à un état des lieux pour éviter les réparations au coup par coup", fait savoir Alain Couchot. Sachant que le coût de la remise en route des deux ascenseurs est évalué à 300 000 euros, cela se traduira forcément par une hausse des charges. Le serpent se mord la queue...

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