Après cinq années de travail acharné, Thomas Cambois entend faire découvrir au monde l'œuvre de sa vie : une copie fidèle de La Joconde telle qu'elle était au moment où Léonard de Vinci l'a peinte. Le restaurateur-copiste, installé à Mulhouse, assure que sa version dépasse "de loin" toutes les copies réalisées jusqu'ici.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire en entrant chez Thomas Cambois, nous ne sommes pas chez un amateur d'art. Dans ce studio un brin fouillis situé à Mulhouse (Haut-Rhin), il y a bien la fameuse Grande Odalisque d'Ingres accroché à l'arrière du canapé Ikea, ou La mort de Cléopâtre de Giampetrino posé par terre dans un coin du salon. Mais si on y regarde de plus près, on se rend compte que la signature n'est pas celle de l'artiste originel de l'œuvre.
Ce sont des copies réalisées par Thomas Combois lui-même, qui les signe. Son métier : peintre copiste. Il est capable de reproduire les tableaux de grands maîtres de la manière la plus fidèle possible à l'époque, donc avec les mêmes méthodes. "Longtemps, la copie a été considérée comme un métier à part entière. Aujourd'hui, c'est difficile d'en vivre, et les gens confondent nos copies avec les contrefaçons."
Sa dernière œuvre n'a pourtant rien d'une contrefaçon, puisqu'il n'imite ni la signature de Léonard de Vinci, ni la taille du plus célèbre des tableaux - deux requis indispensables pour que l'œuvre soit considérée comme une copie légale. Cette œuvre, c'est La Joconde. Le chef d'œuvre du maître de la Renaissance fait partie des tableaux les plus copiés de l'histoire de l'art. "Mais je suis convaincu que personne n'avait fait ce que j'ai fait. J'ai réussi à récréer la technique utilisée par Leonard de Vinci, tout en enlevant l'aspect jaunâtre et sombre de l'original. Il est plus lisible et en même temps il reste fidèle à La Joconde."
Un tableau "plus lisible" que l'original, sans trahir la technique de De Vinci
Car l'une des particularités de La Joconde est que le tableau n'a jamais été restauré. C'est un choix du musée du Louvre, qui indique que la technique utilisée par Léonard de Vinci au XVIe siècle ne se prête pas à une restauration qui pourrait l'altérer, contrairement à bien d'autres tableaux de l'époque. "De Vinci a utilisé une technique qu'on appelle le sfumato, qui confère au tableau cet effet brumeux et vaporeux qu'on lui connaît, explique Thomas Cambois. Pour restaurer le tableau sans abîmer ce voile si précieux, il faudrait savoir exactement où s'arrêter. Sans parler des assurances : aucune n'est prête à s'engager sur un remboursement de 50 milliards d'euros, la valeur estimée du tableau."
Plusieurs copies de La Joconde ont pourtant fait parler d'elles ces dernières années. Le musée du Prado avait par exemple restauré en 2016 une copie du tableau De Vinci, réalisée par un élève du grand maître italien au XVIe siècle. Interrogé à l'époque par France Info, l'historien de l'art Jacques Franck n'avait pas hésité à qualifier la reproduction de "médiocre". "La technique utilisée est peu subtile et n'a rien à voir avec le fameux sfumato des chairs, si complexe et si raffiné qu'on observe chez Léonard", avait-il précisé.
Une autre réplique a été vendue aux enchères en 2021 à Paris. Celle-ci reprenait justement la technique du sfumato de De Vinci, et restait dans un état de conservation "exceptionnel". Mais elle avait été réalisée...dans les années 1600. "Seules les copies d'époque comme celle-ci sont généralement chargées en détails, et la mienne s'en rapproche, assure Thomas Cambois. Toutes les copies modernes sont épurées car les copistes aujourd'hui n'ont pas la chance d'avoir la Joconde aussi lisible qu'à l'époque."
2 000 heures et 6 ans de travail sur un seul tableau
Comment Thomas Cambois s'y est-il pris, alors, pour parvenir à ce niveau de fidélité à La Joconde de la Renaissance, alors que nous sommes en 2024 et que l'original a subi les affres du temps ? "Je ne suis pas seulement copiste, j'ai la chance d'avoir la double-casquette de restaurateur-copiste. Le restaurateur fait une démarche de recherche pour retrouver les couleurs disparues sous les couches de glacis. J'ai épluché les travaux scientifiques, j'ai retrouvé toutes les copies d'époque, justement, et également les copies contemporaines, tout ce qui pouvait m'aider à retrouver la Joconde telle qu'elle avait été."
Concrètement, cela a représenté 2 000 heures de travail et cinq années entières quasi exclusivement dédiées à la réalisation de cette copie. "C'est un travail de fourmi, jusqu'ici personne ne s'était lancé dedans d'après ce que je sais, car ça demande du temps et de l'argent qu'on ne gagne pas. Je vis au RSA depuis des années car je ne fais plus que ça." Le travail n'est d'ailleurs pas tout à fait terminé. Les ultimes retouches, ainsi que le temps de séchage de la peinture à huile, devraient repousser l'ultime coup de pinceau au mois de juin 2025 d'après l'estimation de Thomas Cambois. "Mais la majeure partie du tableau est faite : elle est tout à fait regardable et elle dépasse déjà toutes les copies existantes."
J'espère le vendre à un prix qui correspondrait aux heures de travail considérables - et non payées pour l'instant - qu'il y a derrière. Mon objectif, c'est sortir de la misère
Thomas Cambois, restaurateur copiste
Tout unique soit-elle, la copie de Thomas Cambois reste à ce jour bien discrètement dans son petit atelier/salon improvisé à Mulhouse. Il compte sur une médiatisation importante pour attirer l'attention et faire monter l'intérêt autour de son œuvre. "Je ne vais pas m'en cacher, l'objectif est pécuniaire. J'espère le vendre à un bon prix, qui correspondrait aux heures de travail considérables - et non payées pour l'instant - qu'il y a derrière. Mon objectif, c'est sortir de la misère."
Peut-être la notoriété viendra-t-elle du Louvre, la "maison" du tableau original ? Thomas Cambois compte en tout cas sur un éventuel partenariat une fois sa tâche achevée. "Je leur ai envoyé un mail avec une photo de mon travail, pour leur demander si je pouvais venir le finir devant l'original. Ils ont refusé, parce que cela demanderait de mobiliser un gardien exclusivement pour moi, comme personne n'a le droit d'être seul avec La Joconde. Par contre, le conservateur m'a dit que ma copie était franchement exceptionnelle. Je retenterai ma chance, j'espère que ça aboutira d'une façon ou d'une autre, car avant de la vendre j'aimerais l'exposer au moins pendant un temps." Il reviendrait alors au Louvre, quelques années après y avoir été copiste pendant 12 ans. Cette fois, en tant qu'exposant.