Coronavirus : les membres de l'église évangélique de Mulhouse sont "d'abord des victimes", selon le docteur Peterschmitt

Jonathan Peterschmitt, médecin généraliste à Ammertzwiller (Haut-Rhin), répond aux accusations à l'encontre de "la Porte ouverte chrétienne", église dont il est membre. Il assure que le virus circulait en Alsace avant le rassemblement évangélique de Mulhouse et dénonce un système sanitaire en crise.

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Le docteur Jonathan Peterschmitt veut faire une mise au point pour "défendre la réputation" de "la Porte ouverte chrétienne", église dont il est membre. Dans un manifeste de cinq pages partagé dimanche 19 avril, il explique que certains "cherchent à lui faire porter un chapeau trop grand pour elle" : le rassemblement évangélique organisé du 17 au 21 février à Mulhouse et qui a rassemblé 2.500 personnes n'est selon lui pas responsable de la propagation du virus en Alsace. 
 
"Aujourd’hui, la solidarité nécessaire à la gestion de la crise actuelle ne nous impose pas un silence béat face à des déclarations injustes, écrit le médecin généraliste installé à Ammertzwiller, dans le Haut-Rhin. Une attaque par le verbe d'autant plus insupportable que les membres de la communauté seraient aussi "d'abord des victimes" du covid19 : trente proches de "la Porte ouverte chrétienne" sont décédés après avoir contracté la maladie, indique Jonathan Peterschmitt. "Ce n'est pas comme si on n'avait pas déjà assez souffert", poursuit-il.

Il refuse donc d'être montré du doigt, alors que le mardi 17 mars, l'un des pasteurs de l'église, Thiébault Geyer, a demandé pardon lors d'un culte diffusé en direct sur les réseaux sociaux : "Pardon d'avoir pris à la légère cette crise. Pardon d'avoir regardé légèrement tous ces articles qui essayaient de nous alerter. Je n'ai pas su écouter. Pardon à Dieu pour mon égoïsme." 
 

Des dizaines de messages de menaces

Jonathan Peterschmitt l'assure, ce ne sont pas les dizaines de messages de menaces parfois d'une extrême violence qu'il reçoit par mail, courrier ou via les réseaux sociaux qui l'ont poussé à réagir. Oui, certains Alsaciens lui demandent de quitter le Sundgau. Oui, des habitants d'ailleurs en France insultent l'Alsace entière. Mais "même si ce n'est pas recevable, je les comprends. Certains ont perdu des proches", confie-t-il. Il dit en vouloir à ceux qui ont nourri cette haine et cette colère. C'est à eux que s'adresse son manifeste. 

Le fils du pasteur principal de la Porte ouverte chrétienne, Samuel Peterschmitt, n'a pas digéré certains articles et le discours de personnalités en responsabilité, qui ont "mis en avant un groupe de personnes (la communauté protestante évangélique), une ville (Mulhouse), voire une région (le Grand Est)". Certains termes utilisés "bombe atomique", "point de bascule", l'ont irrité.
 

Le virus circulait en Alsace avant le rassemblement évangélique

Pour justifier son propos, Jonathan Peterschmitt commence par dresser un historique de la situation pour parvenir à une conclusion : le coronavirus était présent dans la région avant le rassemblement évangélique de Mulhouse. 

Dans son secteur, Ammertzwiller et ses environs, il explique avoir remarqué une crise épidémique de syndromes grippaux le 20 janvier. "Je n'ai jamais distribué autant d'antigrippal qu'à ce moment-là", insiste-t-il. Deux de ses filles ont présenté des symptômes de maladie la semaine du 10 février.

Il se passe quelque chose
- Jonathan Peterschmitt, médecin généraliste et membre de "la Porte ouverte chrétienne", le 2 mars


"Le dimanche 1er mars 2020, j’apprends au cours d’une conversation informelle qu’un cas de coronavirose a été mis en évidence le 29 février chez une patiente membre de notre église, malade depuis le 14 février 2020 et n’ayant pas fréquenté le rassemblement organisé du 17 au 21 février 2020. Cette nouvelle m’a beaucoup interpellé puisque je constatais depuis plusieurs jours des cas de syndromes grippaux plus ou moins marqués et nombreux". Le médecin généraliste a alors demandé à être dépisté et a été testé positif. C'est lui qui a attiré l'attention des autorités : "il se passe quelque chose".
 

Lanceur d'alerte

Il a aujourd'hui le sentiment que son rôle de "lanceur d'alerte" se retourne contre lui : "Si on ne s'était pas manifestés, la maladie aurait continué à être en action beaucoup plus discrètement pendant un certain temps et des endroits auraient été plus durement touchés. On nous a beaucoup reproché qu'il y a eu une dispersion de cas à cause de notre rassemblement. Soit. Mais le fait qu'on ait déclaré un doute rapidement a permis que les gens de Guyane, par exemple, soient vite pris en charge et il n'y a pas eu de développement de cas autour d'eux"

Patrick Vogt, médecin généraliste et médecin régulateur au SAMU à Mulhouse, confirme : "Si le fils Peterschmitt n’était pas allé demander lui-même un test à Strasbourg, on n’aurait pas avancé, on n’aurait encore rien su. Le mardi 3 mars, on a vu passer 1000 cas en une soirée au SAMU. Quand en même temps, le préfet vous dit qu’il ne se passe rien... vous vous dites que vous ne voyez pas la même chose"

On a mis 15 jours à se rendre compte qu’il y avait un foyer à cet endroit-là, la faute elle est là. Faire la chasse aux évangélistes, c’est du n’importe quoi.
Patrick Vogt, médecin généraliste et médecin régulateur au SAMU de Mulhouse


"On a mis 15 jours à se rendre compte qu’il y avait un foyer à cet endroit-là, la faute elle est là, poursuit-il. Faire la chasse aux évangélistes, c’est du n’importe quoi. Ceci étant, ils doivent accepter qu’ils ont été un facteur important de propagation du virus qui a créé des centaines de morts chez des personnes âgées à Mulhouse. En quelques jours, on est passés de quelques cas à 2.500 cas qui se sont rapidement propagés dans la nature. Ils sont responsables, pas coupables. Cela aurait pu se produire dans un cinéma, une foire expo.... Mais il est évident que là, ce regroupement a fait flamber l’épidémie. C’est une réalité, mais est-ce que c’est une faute ?" 
 

Les instances sanitaires ont réagi trop tard

Le docteur Patrick Vogt pointe plutôt clairement  la responsabilité des "instances sanitaires et sociales", et en premier lieu de l'agence régionale de santé du Grand Est (ARS), qui n'a pas souhaité répondre à nos sollicitations et dont l'ancien directeur Christophe Lannelongue a depuis été limogé. Il accuse l'ARS de n'avoir pas réagi alors que le virus se propageait rapidement à Mulhouse et en Alsace.
 

Le jeudi 5 mars, il a décidé lui-même de tirer la sonnette d'alarme à travers une sortie remarquée dans la presse quotidienne régionale, déclarant que Mulhouse est passée en phase 3 de l'épidémie, là où l'ARS et la préfecture du Haut-Rhin ne parlait encore que de phase 2 et de quelques cas à peine. "On n’arrive pas à comprendre. On a eu 15 jours de retard et pendant ce temps, il y a eu des centaines de morts", dit-il.

Dans ce contexte de retard à l'allumage, les propos de la préfète du Grand Est et du Bas-Rhin, invitée de la matinale de France Inter le mardi 17 mars, passent mal auprès de "la Porte ouverte chrétienne". Elle critique clairement l'église : l'épidémie dans le Grand Est est selon elle "partie d’un rassemblement évangélique qui a eu lieu dans le Haut-Rhin, avec plus de 3.000 personnes et un non-respect des mesures barrières : en résumé, tout ce qu’il ne faut pas faire". Autrement dit, la communauté n'aurait pas pris la mesure de la situation. Une dizaine de jours plus tôt pourtant, le 5 mars, "tout est sous contrôle" pour les autorités.  

Mais outre ces changements de ton, Patrick Vogt, en première ligne dans son cabinet de généraliste et au SAMU, regrette surtout l'absence totale de veille épidémiologique qui aurait permis de réagir beaucoup plus tôt, bien avant le rassemblement évangélique de Mulhouse.

Il fallait faire une veille épidémiologique, faire des prélèvements systématiques des gens qui toussent
Patrick Vogt, médecin généraliste et médecin régulateur au SAMU de Mulhouse


"L’épidémie était sans doute déjà là fin janvier, début février par des petits cas isolés qui n’avaient pas encore provoqué d’épidémie, explique-t-il. Dès qu’on savait qu’un virus circulait en Italie, à 300 kilomètres d’ici, il fallait faire une veille épidémiologique, faire des prélèvements systématiques des gens qui toussent. Il n’y a eu aucun prélèvement puisqu’on n’avait pas de tests, on a commencé seulement en phase 2 de l’épidémie à tester des gens qui revenaient d’une zone contaminée, d’Italie, de Singapour ou de Chine, potentiellement malades." 

Jonathan Peterschmitt incrimine également les autorités mais ne va pas aussi loin. Il se contente de poser des questions et attend des réponses. "Quel maillon du système d’alerte n’a pas fonctionné face à ce virus déjà décrit à l’étranger ? En tant que médecin de premier recours, je demande pourquoi n’ai-je pas eu les moyens de détecter la maladie avant son arrivée ? Pourquoi ensuite un tel manque de moyens pour gérer une crise de très grande ampleur rendue évidente par le témoignage de quelques-uns ?"
 

Un système de santé en crise et à revoir

Le "manque de moyens", c'est le nerf de la guerre selon les deux médecins et c'est sur lui que doivent se concentrer les attentions, plutôt que sur le rassemblement évangélique qui ne serait qu'une victime collatérale d'un système de santé en crise. 

Jonathan Peterschmitt, directement confronté à la mort de proches dans sa communauté, attend déjà le temps du bilan : "Le dysfonctionnement du système sanitaire devra être pris au sérieux comme jamais auparavant, les promesses ne devront pas être oubliées. Nous sommes en train de payer, en vie humaines, la virulence de ce coronavirus, mais aussi et surtout la facture de 30 années de démantèlement sanitaire local et national bien ancré dans la philosophie politique et administrative".

C’est le fait des énarques dans les ministères qui n’ont que des logiques comptables. Quand on revit le truc, aujourd'hui, c’est incroyable...
- Patrick Vogt, médecin généraliste et médecin régulateur au SAMU de Mulhouse


Patrick Vogt considère que ce nivellement vers le bas a empêché les médecins de lutter contre la pandémie. Pour lui, "rien n'était prêt" :  "Ces dernières années, on a réduit la voilure. Il y a plein de choses qu’on faisait jusqu’en 2009 qu’on ne fait plus et les gens qui ont pris ces décisions vont devoir faire amende honorable et dire qu’ils se sont trompés". Il regrette une situation de dépendance totale par rapport à l’étranger, en matière de masques, de gel hydroalcoolique et de tests notamment. Des armes essentielles et connues de tous pour lutter contre un virus.

"Tout ça, il va falloir le repenser", dit-il. "Il y a quelques années, je faisais partie d'un système associatif qui s’appelait le GROG, Groupement régional d'observation de la grippe. De septembre à mars, on prélevait chaque semaine les gens qui toussaient et on voyait très clairement quels virus circulaient. Cela a été supprimé pour des raisons budgétaires en 2015. Ce qui a déplu aux grands décideurs de la santé, c’est qu’une petite structure associative fasse aussi bien que les grosses structures d’Etat. C’est le fait des énarques dans les ministères qui n’ont que des logiques comptables. Quand on revit le truc, aujourd'hui, c’est incroyable..."
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