Vincent Montibert est chef de service départemental de l'office français de la biodiversité en Haute-Marne. Son rôle : enquêter sur la présence ou non du loup en cas d'attaque de troupeaux.
Il enquête, interroge, prélève, recoupe les informations. Il ne travaille pas pour la police judiciaire, mais pour l'office français de la biodiversité (OFB) en Haute-Marne et son rôle est de trouver des criminels un peu particuliers. En cas d'attaque de bêtes d'ovins, caprins et autres bêtes d'élevage, sur demande de l'éleveur, Vincent Montibert se rend sur place et cherche tous les indices pouvant révéler ou non la présence du loup.
Alors que des ovins ont été égorgés début 2020 en Haute-Marne, on s'est demandé comment peut-on identifier la présence ou non d'un loup sur le territoire.
France 3 CA. Après les attaques qui ont eu lieu en début d'année, on se demande si le loup est responsable et il y a beaucoup d'incertitudes. A quoi sont-elles dues ?
Vincent Montibert : "Les attaques de chiens sont très similaires, donc parfois, on peut avoir des doutes entre un chien et un loup. La présence du loup est avérée dans le département des Vosges, puisqu'on a un animal qui a été génotypé et les tests ADN ne laissent aucun doute. On n'est donc pas surpris que ce loup, qui se trouve dans un département limitrophe, commette des incursions jusqu'en Haute-Marne."
"A ce stade, on n'est pas persuadé qu'il y ait un loup qui se soit installé dans le département. On pense que c'est plutôt un animal qui vient de temps en temps des Vosges commettre quelques méfaits chez nous. Voire un loup en dispersion, comme ce fut le cas en 2013, c'est-à-dire qu'il a quitté sa meute mais n'est que de passage. A l'époque, on avait réussi à avoir de l'ADN, ce qui nous avait montré qu'il était originaire de Savoie. Il peut parfois parcourir plusieurs centaines de kilomètres, s'installer provisoirement dans un département, s'installer ou non, puis repartir."
Sur Instagram, le loup fascine. Entre les photographes animaliers et les fans de loups, on trouve plus de 200.000 publications sous le hashtag "loup".
En Haute-Marne, est-ce qu'on sait s'il y a des loups ?
V.M. : "Ce dont on est sûr, c'est que depuis 2013, il n'y a pas de loup implanté en Haute-Marne. On sait qu'on a un loup qui est en limite des Vosges, c'est juste à côté. En une nuit un loup peut parcourir jusqu'à 60km. Il peut très bien venir causer quelques dégâts en Haute-Marne et repartir. Le loup vosgien est typé, donc si on a l'occasion de faire une analyse ADN, on pourra savoir s'il s'agit de cet animal ou pas."
A quoi reconnaît-on une attaque de loup ?
V.M. : "On a plusieurs signes d'attaques imputables au loup. Ils sont un peu différents d'un chien, mais parfois, les similitudes sont vraiment très grandes entre les deux."
"Les loups attaquent les animaux principalement au niveau de la gorge, de façon à écraser la trachée et l'asphyxier. Sur le mode de consommation : un loup ouvre sous le corps de l'animal, il retourne la peau, on dit que la peau est retournée 'en chaussette', et il consomme principalement les viscères."
Qu'est-ce qui le différencie du chien ?
V.M. : "C'est très difficile d'avoir un signe clinique qui nous dit ça c'est du loup et ça c'est chien. Ce n'est pas une certitude, mais tout un tas de signes peuvent nous faire dire que c'est un loup ou l'écarter, mais rien n'est jamais sûr tant qu'il n'y a pas de photos."
Quels sont les signes qui permettent d'écarter la piste du loup ?
V.M. : "La mortalité naturelle par exemple. Nous avons eu le cas d'un veau mort dans le pré, puis il a été dévoré par des carnivores (renard, blaireaux, sangliers…). Parfois, cela peut être une meute de chiens errants, qui sont en divagation ou ne sont pas rentrés de la chasse."
Quel est l'enjeu de savoir si c'est un loup ou non qui a attaqué les animaux ?
V.M. : "L'enjeu est double. Dès l'instant où on identifie que la possibilité du loup est "non écartée", les éleveurs peuvent demander à être indemnisés pour les animaux morts notamment. L'Etat peut également débloquer de l'argent pour construire des clôtures afin de protéger le bétail. En montagne majoritairement, il peut aussi y avoir une participation financière pour l'achat d'un chien Patou qui défende les troupeaux."
Surtout en montagne, l'Etat peut aider à l'acquisition d'un Patou, un chien de montagne des Pyrénées, qui garde les troupeaux.
Comment cela se passe, une fois qu'un éleveur vous avise d'une attaque ?
V.M. : "Dès l'instant où on est avisés, on se rend sur place pour faire les premières constatations. C'est comme une enquête judiciaire. On analyse le constat, en le vérifiant à l'aide d'autopsies, la taille des morsures, le lieu, la manière dont a été consommé l'animal. On rend ensuite un rapport auprès de notre réseau, on saisit la DDT (direction départementale des territoires) en même temps, puis c'est le réseau qui détermine si le loup peut être écarté ou non."
"Si le piste est "non-écartée", l'éleveur peut être indemnisé en fonction des dégâts sur son troupeau et des préjudices subis. A l'échelle du département, si les actes sont répétés, l'Etat peut mettre à disposition des aides financières pour acheter des clôtures de protection ou autres, selon les souhaits des éleveurs."
Combien de temps une enquête peut-elle durer ?
V.M. : "Concernant l'autopsie des animaux, on passe 25 à 30 minutes par carcasse, puis on procède à l'enquête de terrain. S'il y a des clôtures barbelées, on fait le tour pour vérifier qu'il n'y ait pas de traces ADN. Les premiers éléments sont très importants, comme dans toute enquête. Si on n'intervient pas assez rapidement, les cadavres sont pollués par d'autres prédateurs. Par exemple, une morsure est très avisée au départ, mais si on attend 24 ou 48 heures plus tard, c'est très difficile car un animal mort laissé dans la nature est très vite consommé."
S'il n'y a pas de traces ADN, il faut compter huit à dix jours pour avoir les résultats. S'il y a une trace ADN, on attend d'avoir suffisamment de prélèvements (car le coût des analyses est élevé) pour les envoyer à un laboratoire qui se situe à Grenoble. Dans ce cas, cela peut prendre trois à six mois.
Quel est votre rôle exactement ? De protéger le loup ou les éleveurs ?
V.M. : "A l'OFB, nous avons un rôle d'Etat. Cela signifie que le loup est un grand prédateur qui a toute sa place dans la biodiversité d'un côté, car c'est quand même une espèce protégée. De l'autre, l'Etat a pris des arrêtés pour limiter son expansion. Il a pris ses responsabilités en autorisant un prélèvement d'une centaine de bête par an pour limiter son expansion au niveau national. C'est pour cela qu'il y a des tirs autorisés par le ministère de la Transition écologique et solidaire."
"Il faut savoir qu'il y a 200 ans, le loup était présent sur l'ensemble du territoire national. Il a disparu à la fin des années 1800 et il est réapparu à la fin des années 1990 par les Alpes-Maritimes. Aujourd'hui, il poursuit son retour en France de ce côté-là."
Vous êtes donc entre la protection animale et celle des éleveurs…
V.M. : "C'est comme tout. Il faut que les deux puissent vivre en harmonie. Il est difficile parfois de trouver des compromis. Aujourd'hui, le loup est présent et il faut faire avec, tout en limitant les dégâts auprès des agriculteurs. C'est pourquoi l'Etat met en place ce protocole d'aides. On peut dire qu'il est suffisant ou insuffisant, mais on essaie de trouver le juste milieu qui n'est pas toujours évident à trouver."