TÉMOIGNAGE : elle fait l'école à la maison en Haute-Marne, et s'inquiète de la fin annoncée de ce "droit fondamental"

Mère de famille, enseignante, blogueuse, Marylène fait l'école à la maison à ses enfants. Cette habitante de Haute-Marne défend un choix personnel avec son mari. Et s'insurge face à l'annonce du président de la République qui souhaite supprimer cette possibilité, dans le cadre du "séparatisme". 

Marylène démarre au quart de tour quand on la lance sur son sujet de prédilection. Cette professeure des écoles (en disponibilité), mère de quatre enfants, "fait l'école à la maison" depuis quatre ans, chez elle à Joinville, en Haute-Marne. Une "aventure familiale" assumée. Blogueuse, âgée de 42 ans, Marylène a été avertie du projet proposé par Emmanuel Macron de supprimer cette possibilité par ses abonnés sur les réseaux sociaux. Ils sont 20.000 à la suivre sur Facebook et 15.000 sur Instagram. "Après le discours du président de la République le 2 octobre, j’ai reçu plein de messages sur mon blog, t’as vu, t’as vu ? Et j'ai vu, sans oser y croire. Je me suis dit, non, ce n'est pas possible, ils ont mal compris".

Renseignement pris, la quadragénaire haut-marnaise a bien compris. Un projet de loi visant à obliger chaque enfant à être scolarisé à l'école sera présenté aux législateurs en décembre et en conseil des ministres le 9 décembre 2020. Le but du chef de l'Etat étant de "s'attaquer au séparatisme islamiste" et à son projet de "contre-société". Cette loi pourrait entrer en vigueur à la rentrée de septembre 2021. Une pétition a été lancée ce mardi 6 octobre pour demander le retrait du projet. Elle émane de plusieurs associations comme l'UNIE, Collectif FELICIA, Collectif l'Ecole Est La Maison, PIEE, LAIA, Cours Pi, Hattemer Academy, Cours Legendre à distance, Cours Sainte-Anne, Ecole Ker Lann, Cours Valin. Une autre pétition sur le sujet a été lancée quelques jours plus tôt, cette dernière a recueilli à ce jour le 6 octobre, près de 80.000 signatures. 

Leur message est simple et demande le maintien des droits à l'instruction en famille. "Nous ne nions pas que les séparatismes existent dans notre pays mais nous ne voulons en aucun cas y être assimilés. Les raisons de l’instruction en famille sont aussi multiples que le nombre de familles qui la compose. Un but commun les rassemble toutes : le bien-être de l’enfant. Certaines familles font d’emblée ce choix parce qu’elles ont à cœur de prendre l’entière responsabilité de l’éducation de leur enfant. C’est un projet de vie", écrivent les signataires.
 

"Ce sera du formatage"

Imaginer que l'école à la maison ne soit plus possible pour ses enfants, est vécu comme un choc pour Marylène qui milite activement pour ce choix de l'instruction à domicile. Elle s'oppose à ce que l’instruction soit totalement sous le contrôle de l’Etat : "ce sera du formatage de la liberté de penser et de s’exprimer. On n'aura plus de liberté. Moi je ne suis pas dans la défiance vis-à vis de l'Education Nationale, mon mari est prof de français. On est des citoyens respectueux, mais on veut juste vivre cette aventure". La voix de Marylène est posée mais directe. Elle sait pourquoi elle a fait ce choix et veut simplement pouvoir continuer à enseigner à la maison. Elle a aussi conscience de la marginalisation de certains dans ce cadre de l'école hors du cadre scolaire. 

Juste après l'annonce du président de la république, Marylène a sorti son smartphone, l'a placé devant elle et s'est exprimée sur ce sujet dans une courte vidéo, comme un cri du coeur. Elle demande à garder "sa liberté d'être qui nous sommes". 

Son combat débute, les mots sont pesés. "Pour moi c’est anticonstitutionnel, le projet doit passer le 9 décembre devant le conseil des ministres, mais il va à l'encontre des droits de l’Homme et la convention européenne des droits de l’Homme, car l’Etat ne doit pas empêcher les parents d’utiliser leur droit d’éducation et d’enseignement. Je comprend que l’Etat ne supporte pas de ne pas tout contrôler, mais des lois leur permettent de contrôler, et même d'inspecter tous les ans les familles. Même les enseignants sont moins inspectés". Depuis deux ans, les inspecteurs peuvent en effet contrôler de manière inopinée, et donc prendre les récalcitrants sur le fait, en obligeant les parents à scolariser leurs enfants. "Ils ont tous les outils pour contrôler, et pourtant là, ils préfèrent supprimer un droit". 

Parmi ses quatre enfants, l'aîné, 15 ans, est scolarisé en 4ème au collège, il a toujours été scolarisé. Louis et Joseph sont, quant à eux, instruits à la maison. Côme le petit dernier, a 2 ans et demi et est au niveau petite section, elle n'imagine pas le mettre à l'école. Dans sa bio, sur son blog, Marylène précise que "Louis a 6 ans et demi, et il suit actuellement un niveau de CP bientôt CE1 et Joseph, 5 ans de niveau CP, il devrait être en moyenne section (ils ont un an d'avance par rapport au niveau scolaire)". En congé parental, elle se consacre à l'instruction et l'éducation de ses enfants à temps plein. 
 
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Bonjour à tous les nouveaux !! Bienvenue chez nous ! Je me suis dit que ce serait pas mal de me présenter pour les nouveaux arrivants ! Je suis Marylène , j'ai 42 ans, je suis mariée et j'ai 4 enfants. Les 3 plus jeunes ne sont pas scolarisés, nous pratiquons l'école à la maison. Je partage ici des extraits de nos vies, des jeux, livres ou jouets que j'apprécie, nos voyages, notre école à la maison et un peu ma vie de femme aussi. Je suis professeur des écoles en "disponibilité" actuellement (c'est à dire que je ne suis pas en classe j'ai choisi de m'occuper de mes enfants). Je suis aussi blogueuse professionnelle et auteure de quelques livres pour jeunes enfants. Mon mari est professeur. Vous comprenez donc bien que nous ne sommes pas contre l'école. Nous avons fait le choix de faire l'école à la maison pour vivre cette superbe aventure avec nos enfants. Cette aventure est compromise actuellement d'où ma vidéo d'hier. Ce qui nous angoisse beaucoup. J'espère que vous vous plairez ici dans mon univers de maman blogueuse ? À votre tour maintenant, qui êtes vous ? #blogueuseprofessionnelle #blogdemaman #touchepasamonief #ecolealamaison #ief #blogueuse #mamansconnectees

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Elle ne remet bien sûr pas en cause la lutte contre la radicalisation et les écoles clandestines, "je suis pour, certaines écoles hors contrat outrepassent leur droit. Mais là, ça devient radical. Depuis quatre ans, j’enseigne à la maison, on voit ça comme une aventure avec nos enfants. Cela c’est fait naturellement, pour mon second, j’étais en congé parental, mon enfant n’était pas prêt à intégrer l'école, pourquoi le mettre à l’école ? Tout a commencé comme ça, je me suis rendu compte qu’il apprenait vite, il est à haut potentiel, j’ai respecté son rythme, ses envies. Aujourd'hui, il a un an d’avance".
 

Un enseignant pour un élève, c’est efficace. Je le fais donc pour mon 3e et mon 4e enfant, c’est notre identité familiale, ils réintègreront l’école un jour, quand ils seront prêts.

Marylène, qui fait l'école à la maison


Socialisation et droit à la différence

Face aux critiques sur son mode d'éducation, Marylène a forgé ses réponses. Elle sait bien que pour certains détracteurs, il est vu comme une vie  en vase clos. "Tout le monde dit ça au début, moi la première, la socialisation est un problème, or je suis enseignante, on pense tous que c’est à l’école qu’on se fait des copains, mais on s'en fait aussi aux clubs de hand, de musique. Mes enfants sont hyper sociables, ils font plein d’activités, ils ont du temps pour faire autre chose, ils ont du temps libre. Les miens font de l'escrime, du hand, de l'éveil musical, des cours d’orgue et des cours de théâtre. Ils ont une éducation différente". C'est justement ce droit à la différence qu'elle revendique. 

Il y aurait en France 50.000 enfants qui suivent l'école à la maison, selon le ministère de l'Education nationale. Dont 25.000 pour des raisons médicales. Mais les chiffres datent, déplore Laurence Fournier, de l'association "L'école est la maison".  L'université de Cergy faisait état de 25.000 enfants en "homeschooling" (scolarisés à la maison) en 2017 et une tendance à la hausse. "On nous explique que ça augmente, on serait 50.000 en tout et pour tout, et 25.000 seraient des enfants malades. Sur 9 millions d’enfants scolarisés en France. Mais on n’a pas de chiffres d’enfants radicalisés suite à l’instruction en famille. Les parlementaires eux même n'ont pas de chiffres. On a l’impression que c’est l’arlésienne pour prendre des décisions arrangeantes. Emanuel Macron s’est beaucoup avancé, juge-t-elle. Si les enfants sont hors-système, il faut faire appliquer la loi !".
 

Remontée comme Marylène, cette mère de famille nombreuse qui vit en Anjou, a instruit ses enfants à la maison depuis 15 ans. Aujourd'hui elle est porte-parole du mouvement qu'elle a fondé. Et ce collectif réuni pour la même cause cherche à peser sur la décision annoncée. Elle dénonce aussi une volonté politique. "Pour moi, il y a une volonté affichée depuis Vincent Peillon (ministre PS en 2012) qu’il faut couper les enfants des déterminismes familiaux. Nous sommes considérés comme hors système et dissidents par le chef de l'Etat. Ce qui est faux nos enfants sont déclarés, contrôlés. Nous sommes dans le système ! Je ne nie pas qu'il y ait au sein de l'IEF (instruction en famille) des 'brebis galeuses' mais il suffit d'appliquer les lois en vigueur. En revanche, la proportion ne justifie pas une telle mesure pure et simple, l’interdiction d’une pratique qui existe depuis Jules Ferry". Cet (autre) ministre célèbre avait rendu l'école obligatoire et laïque au XIXe siècle, permis aux filles d'accéder à l'enseignement secondaire, et offert la gratuité aux primaires.
 

L'Education nationale nous classe hors-système alors que nous ne sommes que hors-école et non hors-République ou hors-système. 

Laurence Fournier, fondatrice de L'école est la maison


Laurence Fournier se demande pourquoi la loi n'est pas appliquée, si il y a des dérives. Lorsqu'elle écoute le ministre de l'Education nationale sur France 2, ce 6 octobre, Jean-Michel Blanquer parler de cette suppression de l'école à domicile comme si c’était fait, elle s'emporte. "Or on ne connait pas le texte, ni le vote des parlementaires. Et il fait comme si c'était acté. Or, on a un droit de réponse. Là, on travaille ensemble contre ce projet et on regroupe la majorité des cours par correspondance privés. Ils vont perdre 50% de leur clientèle. Il n’y a pas que le CNED. Ils sont bien autorisés par l’Education". Autre sujet collatéral. 

Désormais, il y a une obligation juridique, avec des sanctions prévues quand on n'envoie pas son enfant à l’école, a souligné le ministre de l'Éducation nationale le 6 octobre. "Si on veut lutter contre le radicalisme islamiste ou certains phénomènes sectaires, "il fallait le faire : c’est une question de droit de l’enfant, d’une certaine façon," a expliqué le ministre Blanquer. Le rectorat de Reims n'a pas souhaité commenter cette mesure. "On ne peut pas commenter une annonce faite par le chef d'Etat. On attend le 9 décembre, date à laquelle sera soumis le projet de loi au conseil des ministres. En tant que fonctionnaire, on ne peut pas faire des réflexions. Pas de chiffres non plus, c'est encore trop tôt. En général on a les chiffres fin octobre des enfants inscrits et ceux qui sont à distance". Il faudra se contenter de cette explication pour l'instant. 

En Haute-Marne, Marylène ne décolère pas. Le sentiment de se faire retirer un droit, une liberté pédagogique, la ronge. Côme, Louis, Joseph seront-ils assis dans une classe ou dans la salle à manger de leur maison en septembre 2021 ? La question est encore en suspens. Selon nos informations, des parlementaires sont déjà sollicités sur le sujet. 
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