Les maisons alsaciennes disparaissent peu à peu du centre des villages, abandonnées puis rasées. Mais certains particuliers, comme Guy Bronner et Jean-Marie Bechtold, se prennent de passion pour ces bâtiments chargés d'histoire. Ils viennent d'être récompensés pour leur restauration remarquable.
Elles sont un pan incontournable du patrimoine alsacien ou encore l'image que se font les touristes des villages de la région. Mais les maisons alsaciennes se font de plus en plus rares. Trop vieilles, pas assez modernes, plus entretenues, elles n'attirent plus forcément depuis plusieurs décennies et finissent souvent par être démolies pour construire du neuf.
L'ASMA, association pour la sauvegarde de la maison alsacienne, a été créée il y a plus de quarante ans pour inverser la tendance et inciter des particuliers à sauver le bâti ancien. Elle vient d'attribuer des médailles à certains d'eux pour la qualité de leur restauration.
A Nordheim, Guy Bronner travaille depuis plus de vingt ans dans son corps de ferme. Un ensemble de neuf bâtiments pour 2000 mètres carrés de plancher, et des espaces extérieurs pour le moins conséquents. "Je suis venu visiter le lieu avec un ami potentiellement intéressé, mais il a trouvé tout cela trop grand. Mais moi, quand j'ai franchi la porte de cette cour, j'ai fait un saut dans le temps. Cela a été un éblouissement, alors même que sur les neuf bâtiments, trois seulement se tenaient debout", se souvient le propriétaire.
Restaurer, avec des matériaux anciens et locaux
Il a alors acheté la bâtisse, puis tout reconstruit, des heures et des heures durant. Pour cela, il a travaillé avec une architecte de l'ASMA car le but n'est pas de se lancer dans un chantier hasardeux mais de restaurer, d'utiliser des matériaux anciens et locaux, de donner une seconde vie à la maison tout en gardant bien présents les vestiges de la première. "Cette toiture a été refaite jusqu'à la dernière tuile comme à l'origine, et dans le même alignement qu'à l'origine. Les tuiles sont ordonnées de façon ancienne, régulière, non chevauchante". Ce chirurgien de métier, toujours en activité, a peut-être sauvé le corps de ferme de la démolition car selon certains voisins, un projet de lotissement avait été lancé. Le maire de la commune, Maurice Heydmann, déjà en fonction lorsque Guy Bronner a acheté la propriété, s'est impliqué personnellement dans l'avenir de la maison alsacienne. Il a même mouillé le maillot en participant à certains travaux car "la ferme est remarquable, emblématique, sans doute l'une des plus vieilles du village", admire-t-il.
Une question d'héritage
Avant d'ajouter : "Je suis très sensible aux bâtiments anciens. Ces dernières années, des maisons à toit plat arrivent dans nos lotissements. J'ai plutôt l'habitude de voir ça en Grèce, sauf que là-bas, ils ont davantage de soleil qu'ici. Que va-t-il en rester dans 200, 300 ans ? Que pourra-t-on transmettre de tout cela ? Si on ne sauve pas ces maisons alsaciennes, on n'aura rien du tout à transmettre".Guy Bronner est allé plus loin encore, en ouvrant son corps de ferme au public. Après deux décennies à le remettre sur pied pour plus de 500.000 euros, il a ouvert une maison d'hôtes, pouvant accueillir jusqu'à quinze personnes à la fois. Un moyen, par la même occasion, d'exposer ses meubles de famille, comme dans un musée.
"Il y a trois ans, je me suis dit que c'était complètement débile de garder une enveloppe presque finie, qu'il fallait faire vivre cette enveloppe, ranger le musée. Dans un musée, il faut des visiteurs, mais pour moi, des visiteurs ici c'est absurde, donc cette maison devait être peuplée de personnages, et aujourd'hui les hôtes sont les personnages de cet ensemble-musée".
Faire du neuf avec du vieux
Quelques mètres plus loin, à Kirchheim, Jean-Marie Bechtold a été pris de la même passion pour le bâti ancien. Mais contrairement à Guy Bronner, médaillé d'or, lui n'a obtenu "qu'une" médaille d'encouragement. Car sa restauration ne suit pas vraiment les prérogatives de l'ASMA."Nous préférons que les maisons soient rénovées sur leur emplacement d'origine, cest la priorité. Monsieur Bechtold a sauvegardé quatre bâtiments qui n'existeraient plus aujourd'hui, on en aurait fait du bois de chauffage ou on les aurait démolis, mais la priorité c'est vraiment de laisser les maisons sur place", explique Claude Eichmann, maître d'oeuvre en bâtiment et membre du bureau de l'association.
Une âme, une histoire
Jean-Marie Bechtold, lui, a remonté à son goût deux maisons et deux granges sur son terrain, après les avoir désossés dans d'autres villages. Il habitait dans une maison moderne, trop moderne justement selon lui, impersonnelle aussi. Il a alors d'abord installé une première maisonnette, en 2005, juste pour le plaisir : "Je ne me sentais pas bien dans ma maison, j'ai donc voulu cet abri de jardin à côté. Je me suis dit que quand je serais tranquillement assis dans mon salon, je le verrais et je pourrais profiter de cette vue apaisante. Je suis né dans un corps de ferme, j'ai donc eu beaucoup de mal à me faire à la vie dans le moderne".Puis, tout s'est enchaîné. Il a restauré une autre maison dans laquelle il vit aujourd'hui, et deux granges qui lui servent de cave à vin et de caveau de dégustation. "Un bâtiment ancien a une âme, on sent qu'il a déjà été habité, qu'il a une histoire. On s'y attache facilement, bien plus rapidement qu'à un morceau de bois neuf. Mais tout cela s'est fait précipitamment. Six mois avant, je n'aurais jamais imaginé me lancer dans tout ça", détaille le viticulteur.
Il n'a néanmoins pas voulu se priver du confort des habitats plus récents et a donc ajouté une véranda et des volets roulants à sa maison alsacienne. Du moderne dans de l'ancien, voilà peut-être une solution d'avenir pour sauvegarder notre patrimoine.