Tony Gatlif s'inspire de son histoire pour créer le personnage de Mme Lundi dans son film "Liberté".
Maire d’un village situé en zone occupée pendant la Seconde Guerre Mondiale, Théodore recueille P’tit Claude, neuf ans, orphelin, tandis que Mademoiselle Lundi, l’institutrice, fait la connaissance des gitans venus s’installer au village le temps des vendanges.
Humaniste et républicaine convaincue, elle les persuade, non sans mal, de scolariser leurs enfants. Parmi eux, Taloche, grand bohémien de trente ans à l’âme d’enfant, pour qui P’tit Claude se prend d’amitié. Pendant ce temps, la pression de Vichy s’intensifie.
D’abord interdits de circulation, les gitans sont finalement parqués dans des camps d’internement. Émus par leur sort, Théodore et Mademoiselle Lundi vont se battre pour leur libération. Un hymne à la tolérance et un hommage à l’école inspirés de personnages réels (véritables “Justes”, Théodore était notaire et Yvette Lundy, institutrice et résistante, fut arrêtée et déportée) qui comble un véritable “trou noir” de l’Histoire sur cet épisode dont l’existence n’est contestée par personne.
Le personnage de Mlle Lundi est créé d’après l’histoire vraie d’une institutrice, Yvette Lundy, qui travaillait à Gionges dans la Marne.
Résistante, elle fut arrêtée puis déportée. Elle a aidé à travailler toutes les scènes qui concernent son personnage et l’école.
Yvette Lundy est l'invitée du 19|20 de ce mardi. |
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Yvette Lundy se raconte
La Résistance d'Yvette Lundy s'est arrêtée net dès que la Gestapo est venue l'arrêter, puis l'interroger dans les locaux du Cours d'Ormesson à Châlons-sur-Marne.
Ensuite, c'est la prison de Châlons, le fort de Romainville et, toujours sous escorte brutale le petit camp de Neuenbrem. Là c'est un contact avec les cris et la brutalité. Préambule à ce qui allait suivre...
Après quelques jours, nous quittons ce camp, entassées à 120 dans un wagon à bestiaux, portes plombées et barbelés aux lucarnes. Il y fait chaud, les odeurs pestilentielles gênent la respiration comme le manque d'air. Nous avons faim et soif. Quatre jours, trois nuits. Quelle angoisse pour aller vers l'inconnu ! Cet inconnu s'appelle Ravensbrück.
Dès l'arrivée à la petite gare de Furssenberg, il faut se ranger « zu fünf », mais chacune ne comprend pas que cela veut dire par 5. Les hurlements gutturaux écorchent nos oreilles et nous font trembler de peur, le museau des chiens accrochés aux mollets, les coups de crosse de fusil, les coups de gourdin obligent à avancer. Voilà le portail du camp de Ravensbrück qui paraît nous écraser dès qu'on le franchit. Choc brutal !
C'est un autre monde : des êtres faméliques, corps amaigris, les yeux creux, têtes tondues se traînent avec leurs guenilles. En quelques jours nous allons leur ressembler. Nous passons à la fouille, devons abandonner tout ce que nous possédons : bijoux, vêtements, médicaments, lunettes, chaussures. Ensuite, c'est la douche commune dans un immense hangar puis la désinfection. Habillées de guenilles quand il n'y a plus de tenues rayées. Nous sommes méconnaissables avec les cheveux tondus.
La promiscuité est totale : les voleuses, les criminelles, les prostituées voisinent avec le professeur, l'infirmière, la religieuse. Ajoutons à cela la cacophonie des diverses langues.
Jamais seule ! Jamais le silence !
L'installation dans le bloc après un appel prolongé se fait sous les cris et les coups de gourdin de ces êtres abjects que sont tous ces SS qu'on ne peut considérer comme des hommes ou des femmes.
Il faut chercher un châlit libre. On s'y blottit afin d'éviter la schlague. Quelle odeur ! Les déportées qui s'y sont couchées précédemment ont laissé la trace de leur dysenterie, de leurs abcès purulents. La vermine y règne et s'empresse de se régaler d'un sang neuf. Quelquefois, nous y sommes à 2 ou 3, en cas de surnombre.
Nous sommes affamées et maigrissons à vue d'œil, car les 200 grammes de pain et la très très maigre soupe, distribués en principe chaque jour, transforment nos corps en squelettes ambulants. Il faut cependant assister à tous les appels qui peuvent durer jusqu'à 5 à 6 heures par jour, quelquefois durant la nuit. Nous sommes dans un camp de mort lente, c'est-à-dire que nos bourreaux vont nous faire travailler avec ce qui nous reste de forces.
Combien en sont mortes. Casser des cailloux dans la carrière, travailler 12 heures de jour ou de nuit, pousser de lourds wagonnets est au-dessus de nos possibilités. Oui, nous sommes des esclaves, mais notre pensée reste libre, " ils " ne peuvent nous la prendre ?
Au cours des longs appels nous nous épaulons et essayons d'accrocher le moral. Il y avait des examens médicaux, toujours en présence des SS. Nues. Ils ricanaient. Toutes ces séances furent très pénibles. Je garde un souvenir douloureux d'une terrible humiliation, car devant ces êtres odieux, installées en position adéquate, il a fallu subir brutalement, méchamment, sans hygiène, une visite gynécologique ! Je ne puis oublier les cris déchirants et les pleurs de petites filles tziganes que l'on séparait de leur maman pour les stériliser.
Je ne dois pas taire la cruauté immonde appliquée dans les camps d'extermination, en particulier à Auschwitz-Birkenau où tant de familles juives ont souffert avant d'être exterminées. Entrer par la porte, sortir par la cheminée !
Nous ne pouvons oublier. Une plaie profonde est toujours prête à saigner. Nous savons ce que vaut la vie et la Liberté dont elle a besoin. Nous survivons pour passer un message.
Témoignage d'Yvette Lundy à l'occasion de la
Remise des prix du
Concours de la Résistance et de la Déportation
Châlons-en-Champagne
30 avril 2000