L'un des plus grands producteurs de fruits bio d'Alsace, Joseph Koerper, a ses vergers à Zaessingue dans le Sundgau. Il communique peu, mais ne cesse d'affiner sa pratique. Convaincu que l'avenir de l'agriculture ne peut être que bio, et soutenu par la recherche.
Les feux de la rampe ? Très peu pour lui. L'idée de faire son portrait pour une émission de télé ? …"Vous croyez vraiment que ça va intéresser les gens?" Mais Joseph Koerper accepte de recevoir une équipe de France 3 Alsace sur son exploitation parce que "ça peut servir la cause commune. Il faut impérativement vulgariser nos idées de production naturelle."
44 hectares de vergers bio
En cette deuxième quinzaine d'octobre, les arbres fruitiers de Joseph Koerper, plantés en longues allées parallèles dans ses vergers entourant Zaessingue, sont bien sûr presque vides. Cette année, la météo a surtout été favorable aux fruits à noyaux, cueillis dès l'été : douze variétés de cerises, mirabelles, neuf variétés de prunes, deux de quetsches (il est l'un des principaux producteurs de quetsches bio).
Sur d'autres parcelles, d'interminables rangées de poiriers, ou de pommiers. Dans la pommeraie, il reste un peu d'activité, car la variété la plus tardive est justement en train d'être cueillie. Son producteur fait les présentations : "La Goldrush, à ne pas confondre avec la Golden. Une pomme excellente, qui se conserve bien, agréable, acidulée…"
La cueillette se fait toujours à la main, "et les pommes éclatées, tachées, véreuses, sont jetées immédiatement" précise Zeyneb Ilhan, membre de l'équipe des douze salariés permanents - auxquels s'ajoute une vingtaine de saisonniers. Elle ajoute avec un grand sourire : "J'aime bien ce travail. Et je m'entends bien avec le patron, ça fait 30 ans que je travaille avec Koerper."
Un terroir parfaitement adapté aux fruits
Dans ces vergers, aucun arrosage. Le loess qui constitue le sous-sol sur six à dix mètres de profondeur, retient parfaitement l'humidité, confirmant l'intuition de Joseph Koerper : "J'avais la conviction que ce terroir tout particulièrement était adapté à 100% à la production de fruits de qualité." Fruits qui l'ont "fasciné depuis l'époque du lycée agricole", raison pour laquelle il a abandonné son élevage de vaches laitières pour planter ses milliers d'arbres.
La pollinisation se fait naturellement, avec l'aide d'abeilles ou de bourdons, dont il installe les ruches dans ses vergers au printemps. Et bien sûr, il n'est pas question d'engrais ni de pesticides. "Tous les herbicides et fongicides, vont à l'encontre de la biologie, de la vie", or, pour produire de beaux fruits, l'essentiel est un sous-sol sain, et habité. "Il faut que là-dessous il y ait du mouvement, de la vie", précise Joseph Koerper, agenouillé sur le sol herbeux. "Et pour que cela soit possible, on fauche le moins possible, seulement une fois l'an."
Retrouver l'équilibre naturel
Garder l'herbe au pied des arbres fruitiers et entre les rangées permet de respecter le biotope, sous le sol et au-dessus. Ainsi, le monde des insectes se développe et retrouve son équilibre. Car tous doivent avoir droit de cité, "prédateurs et auxiliaires, bien sûr." Une démarche respectueuse qui donne des résultats. Pour la première année, les pucerons ont totalement disparu de ses vergers, ce qui, pour Joseph Koerper, n'est pas un hasard, mais un nouveau pallier de franchi.
Bio depuis plus de 20 ans, certifié depuis 10 ans
A ses tout débuts, lui aussi utilisait des produits chimiques, "mais très peu", car "ce n'était pas concevable sans", ou du moins, c'était ce qu'on lui avait enseigné. Mais il a très rapidement évolué. "Je n'acceptais pas l'idée que pour cultiver une pomme, il faut employer vingt molécules chimiques. Ce concept, je ne l'ai jamais admis."
"Prophète, non ! Contestataire, toujours"
Il a donc tenté de faire évoluer les choses, du moins à son échelle. En créant avec des collègues le Covapi (Comité de valorisation pour la production fruitière), afin de réfléchir à d'autres pratiques - une forme d'agriculture raisonnée avant l'heure. Puis son verger, créé en 1982, est devenu son terrain d'expérimentation, afin de trouver des solutions pérennes pour produire de manière toujours plus naturelle.
Ses fruits sont écoulés par le biais d'une coopérative bio de Weyersheim (Bas-Rhin), ainsi que sur une dizaine de marchés, dont Riedisheim, Altkirch, Mulhouse et jusqu'à Belfort. A Zaessingue, Joseph Koerper n'a pas aménagé de magasin. Les clients, des fidèles, souvent des alentours, savent trouver sa grange, discrètement installée à la sortie du village. Ils viennent faire leur choix parmi les palettes de fruits, en les goûtant au préalable avant de se décider. "Je suis du village voisin, explique Bernard Kelbert, l'un des fidèles. Ce sont des pommes bio à croquer, excellentes pour la santé."
Delcorf, Rubinette, Antares, Jonagored… La plupart de ses variétés de pommes, comme celles de ses autres fruits, ne sont pas anciennes. En effet, pour Joseph Koerper, produire bio ne signifie pas revenir en arrière, ou maintenir coûte que coûte des pratiques d'autrefois. Selon lui, le bio est lié à la science et au progrès. "La recherche est à l'origine de tous nos problèmes dus aux pesticides, estime-t-il. C'est donc aussi à elle de les régler. Nous avons besoin de la recherche pour nous en sortir, mais en intégrant des connaissances millénaires."
"Le bio transcende les générations et les cultures"
Concernant l'avenir, il se dit très serein, convaincu que l'agriculture du futur ne pourra être que bio. D'abord raillé par ses pairs et par les grandes surfaces, il a senti ces dernières années le regard sur l'agriculture bio évoluer en profondeur. "Quand la communauté dans son ensemble accepte qu'on puisse aller dans une certaine direction, ça marche (…) Et là, on y est."