Présente à Strasbourg depuis 2018, l'association la Cloche œuvre pour une société plus inclusive. Elle favorise le contact entre les personnes en grande précarité et les autres. Et elle a créé le réseau du Carillon, où des commerçants offrent des services ou des repas à des SDF.
La Cloche est présente dans neuf villes de France, dont Strasbourg depuis trois ans. Durant cette période, et malgré la crise sanitaire, elle a réussi à mettre sur pied un réseau de commerçants qui proposent de petits services aux personnes en grande précarité – particulièrement celles sans domicile fixe. Elle organise aussi chaque semaine plusieurs animations et moments conviviaux. Toujours avec l'idée que les vraies rencontres, entre les personnes que les aléas de la vie ont mises au ban de la société et les autres, permettent de faire tomber les préjugés et de lutter contre l'exclusion.
Un atelier cuisine qui redonne goût à la vie
"La semaine dernière, on a fait des beignets aux pommes, et à mardi gras, des beignets nature. Cette fois, on fait une quiche végétarienne car mon ami Jean a déjà apporté une tarte aux pommes." Tout sourire derrière son masque, Cédric Hunkler, bénévole à la Cloche, liste les dernières réalisations de l'atelier cuisine, qui se déroule tous les mardis matins dans les locaux de l'association Caritas, en plein coeur de Strasbourg.
Ce jour-là, une douzaine de personnes de tous âges s'active, coupe des carottes, râpe du chocolat ou malaxe de la pâte à cookies. Les recettes sont généralement décidées le matin même, en fonction des denrées disponibles. "C’est moi qui trouve des recettes simples, faciles. On m'appelle toujours "chef" parce que j'ai de bonnes idées, une bonne imagination" précise Cédric Hunkler, non sans fierté.
Ici, difficile de distinguer personnes accueillies et accueillantes. Tous les participants aux activités de la Cloche sont considérés comme des bénévoles. Il n'y a pas d'un côté ceux qui donnent, et de l'autre ceux qui reçoivent, car chacun met la main à la pâte. Et retrouve au fond de lui des compétences oubliées, dont il peut faire profiter les autres.
Le logement à l'hôtel, c'est précaire. Fin mars, on est dehors. Donc quand on vient à la Cloche, on ne pense plus à tout ça, on voit autre chose.
"J'ai appris le métier de boulanger-pâtissier, mais ne l'ai plus exercé depuis longtemps" reconnaît Jean-Paul Dollé, un autre bénévole. "Bon, je n'ai plus la notion des doses (…) mais j'adore faire la pâtisserie, et ce que j'ai appris, je l'apporte aux autres. C'est le but. Ça me permet de partager quelque chose. Je viens tous les mardis, c'est mon jour, je ne le loupe jamais."
Dans la petite cuisine attenante, plusiers bénévoles s'affairent autour du four, et d'autres lavent les bols et les saladiers. Des gestes simples riches de sens. Modestement, ils permettant à chacun, qu'il ait un toit sur la tête ou non, de (re)devenir un peu acteur de sa vie, et (re)prendre conscience de sa propre valeur. "Ici, on peut tout faire", résume Marc Issele, autre bénévole. "Cuisiner, faire la vaisselle... Tous apprennent, et on travaille tous ensemble."
"Comme je suis seul, je donne de mon temps pour la cuisine" ajoute Jean Diffort, un autre pâtissier de métier, en âge de retraite et malvoyant. "Je participe aussi à des maraudes pour distribuer des repas aux sans abris, je veux faire du bien autant que je le peux."
Durant cette période hivernale, aucun des participants n'est vraiment à la rue. Ceux sans domicile bénéficient tous d'un hébergement, plus ou moins provisoire. "Mais le logement à l'hôtel, c'est précaire" soupire Jean-Paul Dollé. "Fin mars, on est dehors. Donc quand on vient à la Cloche, on ne pense plus à tout ça, on voit autre chose, et on est bien encadrés."
Les personnes viennent juste pour passer du temps ensemble, faire des rencontres, être bien.
L'encadrement… ce sont quatre personnes : les deux salariées de l'association, et deux jeunes en service civique. Mobilisées dans un même but : "recréer du lien et changer le regard sur le monde de la rue" selon les termes de Gabrielle Ripplinger, directrice de la Cloche à Strasbourg. "On vient en complément des autres associations à vocation sociale, qui proposent l'accès aux soins, aux droits, au logement… Quand les personnes viennent chez nous, il n'y a pas d'enjeu, comme de devoir parler à un travailleur social, un médecin ou un psychologue. Elles viennent juste pour passer du temps ensemble, faire des rencontres, être bien…"
Le Carillon, un réseau de commerçants qui offrent des services
En trois ans d'existence à Strasbourg, et malgré la crise sanitaire, l'association a également réussi à monter le réseau du Carillon. Il est constitué d'une trentaine de commerçants (pharmacies, boulangers, coiffeurs, restaurants, etc.) qui proposent de petits services aux personnes sans domicile ou en très grande précarité. En vitrine, un logo bien identifiable, accompagné de pictogrammes, permet à la personne dans le besoin de repérer ces lieux où elle sera bien accueillie, et de savoir ce qu'elle pourra y trouver : des toilettes, un réseau wifi, un lieu où déposer son bagage ou recharger son portable, une coupe de cheveux gratuite, un café, un sandwich ou un véritable repas à emporter.
Dans ce dernier cas, les restaurants partenaires du Carillon indiquent à l'association le nombre de repas qu'elles offrent par semaine. Et en échange d'un bon, la personne dans le besoin peut venir sur place, chercher un repas chaud. Ce que Marc Issele apprécie à sa juste valeur. Ce jour-là, il se rend chez Meteoreat, dans le quartier du Neudorf, qui propose un repas par jour. "C'est un bon restaurant italien, ils offrent une pizza, parfois un vol au vent ou des pâtes" précise-t-il. "Une fois, j'ai reçu des pâtes avec de la viande de sanglier, c'était succulent."
En échange de son ticket, il se voit remettre le sac avec le plat du jour. Un geste de générosité normal, selon le co-gérant, Massimiliano Martino : "La crise c'est pour tout le monde. Donner un repas, ce n'est pas grand-chose. Ça fait longtemps qu'on voulait participer à une action de ce genre" précise-t-il. Alors, quand Gabrielle Ripplinger les a contactés en décembre dernier, lui et son collègue n'ont pas hésité.
Pour nous, c'est une belle expérience, et on continuera.
Et ils ne le regrettent en rien. Car au-delà du don de nourriture, le petit moment d'échange et de rencontre, aussi minime soit-il, est enrichissant pour les deux parties : "On parle de temps en temps de ce qu'ils font, on parle de l'Italie, puisqu'on est Italiens" raconte Massimiliano Martino. "Ça permet de se connaître, c'est un bel échange. Pour nous, c'est une belle expérience, et on continuera." – "Le jeune restaurateur est mi-Italien et mi-Français, et parle aussi bien l’une des deux langues que l’autre. Ça m'a beaucoup intéressé, c’est passionnant pour moi" renchérit Marc Issele.
Dans certains restaurants, les clients habituels peuvent aussi payer un repas ou un café supplémentaire à destination des personnes dans le besoin, qui peuvent venir demander l'un de ces repas ou l'une de ces boissons "suspendu(e)s". Et dans ce cadre, Marc Issele se souvient encore avec émotion d'un bar qui lui a laissé le choix entre un grand nombre de sirops : "sirop de framboise, de melon, de fraise, ils m'ont tout proposé. Et même un café ou un chocolat chaud."
Moments conviviaux et événements de sensibilisation
Pour seul local, l'association la Cloche dispose d'un bureau bien encombré, au centre Bernanos, le bâtiment de l'aumônerie universitaire catholique près du campus du quartier de l'Esplanade. C'est dans ce même bâtiment qu'elle propose aussi un moment convivial tous les mardis après-midis – voire dehors, si la météo le permet. C'est l'occasion de déguster les gâteaux préparés lors de l'atelier cuisine du matin. Et de distribuer les bons-repas offerts par les restaurants.
Mais avant tout, c'est un temps de retrouvailles pour un petit noyau de fidèles. "On peut discuter avec les copains, faire des blagues, raconter des bêtises" explique Yannick Metzger, un bénévole qui vient "pas toutes les semaines, mais presque" pour "passer un bon moment."
"Nous avons une base d'habitués" précise Gabrielle Ripplinger. "Et d'autres qui se rajoutent, vont et viennent (…) Une bonne partie de gens qu'on n'avait jamais vus avant le premier confinement sont devenus des réguliers. C'est aussi lié au fait que depuis la crise, beaucoup d'accueils de jour ont fermé ou ont réduit la voilure, donc les gens se rabattent sur ce qui est ouvert."
La Cloche, qui vit d'un financement 1/3 public, 1/3 privé et 1/3 de micro-dons, voudrait étendre son action dans l'Eurométropole. Elle recherche toujours de nouveaux commerçants acceptant de participer au réseau du Carillon, et d'autres bénévoles prêts à la seconder dans cette aventure humaine.
Car ce jour-là, les yeux brillants et les rires de la joyeuse tablée montraient bien qu' au-delà de l'assouvissement des besoins élémentaires, manger, boire et dormir au chaud, chaque personne a besoin de bien autre chose pour vivre. D'un peu d'attention, d'une parole bienveillante, et d'un minimum de respect.