Le Bastberger Stuewel d'Imbsheim, l’auberge de la sorcière

Avec sa décoration poétique et décalée, l'auberge du Bastberger Stuewel enchante depuis 41 ans les yeux tout autant que les papilles de ses hôtes. Car celle qui l'a créée, Anny Reixel, est un peu sorcière.

En plein coeur du village d'Imbsheim, une maison verte aux volets bleus émerge d'une jungle de fleurs. Et d'étranges figures donnent le ton : une femme de résine coiffée d'un fichu s'agrippe à un bouc, une silhouette métallique portant chapeau pointu orne la façade, et la girouette sur le toit chevauche un balai.

Dès le seuil franchi, d'autres sorcières surgissent. En dessins joyeux et colorés sur les murs, en poupées accrochées aux poutres, en ombres chinoises sur les abat-jours. Et lorsqu'apparaît la maîtresse des lieux, Anny Reixel, grand sourire, pour souhaiter à chacun la bienvenue, le doute n'est plus permis : le Bastberger Stuewel est un lieu hors du commun, hors du temps. Créé et géré par une sorcière, une vraie. Une de ces femmes courageuses et libres qui soignent, et font du bien.

Une femme qui a "tout fait dans sa vie"

"Ich hàb schun àlles gemàcht, im Lääwe" (j'ai tout fait, dans ma vie), raconte-t-elle. Comptable de formation, Anny Reixel est originaire de Gottesheim. Après quelques années passées à La Wantzenau, elle et son mari Peter se sont installés à Imbsheim dans les années 1970. Ils tenaient un garage et une station essence. Mais bientôt, Peter est tombé malade, et Anny a dû trouver d'autres moyens pour subvenir aux besoins de la famille : "des ménages, et de la comptabilité pour diverses entreprises."

Puis 1980, elle loue cette vieille maison alsacienne de 1760. "C'était d'abord une laiterie, puis une menuiserie, puis une épicerie" précise-t-elle. "Quand je l'ai reprise, avec mon mari, il n'y avait plus rien, presque pas d'électricité et pas de WC." Elle commence tout petit, "avec quelques couverts, et des petits plats : rossbif, tartes flambées et salade alsacienne." Une dame du village vient lui donner un coup de main, puis une seconde. Elle se forme à la restauration par le biais de stages, et "passe dix ans en cuisine" avant de travailler en salle.

Le couple rachète le bâtiment, entreprend de gros travaux. L'entreprise grandit peu à peu, et en quatre décennies, le succès ne se dément pas. Aujourd'hui, le restaurant tourne avec neuf salariés, sert 70 repas en moyenne à midi, et peut monter jusqu'à 140. Depuis neuf ans, Jean-Luc Reixel, l'un des deux fils d'Anny et de Peter, a officiellement repris le Bastberger Stuewel. Mais Anny, avec l'énergie de ses 73 printemps, continue d'y travailler à plein temps.

Un restaurant-musée

Sur chaque mur, dans chaque recoin, sa patte de décoratrice a fait émerger un univers très personnel, mélange de décoration traditionnelle et d'ambiance féerique, imprégnée de légendes locales. Profusion de kelsch, le fameux tissu alsacien dont elle raffole. Collection de poupées, de vaisselle, de broderies, de poteries...

Au premier étage, Anny Reixel a repeint les anciennes chambres à coucher en bleu vif, pour y accrocher des dizaines d'assiettes dépareillées. La pièce d'à côté, toute rose, est ornée de maniques faites au crochet. La plus grande des salles, murs verts et nappes à carreaux rouges, "était autrefois la grange de la maison. Elle a encore ses échelles d'origine" même si beaucoup de choses ont été transformées.

Dans les salles du bas, un ami peintre a recouvert les murs de peintures naïves et de vieux dictons en alsacien. Partout, des couleurs, des objets, de l'humour. "La décoration, c'est important, ça fait partie de l'âme de la maison" estime Anny. "Le restaurant est un petit musée, mais un musée dans lequel on vit."

 

Des clients très fidèles

Et les clients adorent, tant pour l'ambiance chaleureuse et "heimlich" qui met chacun à l'aise, que pour les plats traditionnels, savoureux et copieux qu'ils trouvent dans leur assiette. "Le local est génial, les propriétaires sont sympas et le repas excellent. Que vouloir de plus ?" s'exclame un fidèle, Marc Hauber.

Maria Drommer Valeria, elle, s'est installée en terrasse. "A midi, je viens pour le plat du jour, entre deux rendez-vous, pour manger rapidement quelque chose d'agréable" confie-t-elle. "Mais l'ambiance, c'est surtout le soir, où on vient davantage dans un esprit de famille, ou avec des amis." Et près du bar, Théodore-Philippe Kiefer mange tous les jours à la même table. "C'est mon stàmmtisch" explique-t-il. "Je suis content de pouvoir manger ici, depuis que mon épouse est décédée. On est servis comme des rois."

Une sorcière qui fait du bien

Anny, elle, assure l'accueil, vérifie les pass sanitaires, place les nouveaux arrivés, prend les commandes et assure le service. Elle tutoie bon nombre de ses hôtes qui, manifestement, trouvent ici encore bien davantage qu'un bel environnement et de la bonne chère. Car parmi les innombrables objets exposés dans l'auberge, beaucoup sont des cadeaux. De précieux souvenirs d'anciens clients. Qui tenaient à laisser au Bastberger Stuewel un peu d'eux-mêmes. 

Ainsi ce tableau avec un poème, au mur de la grande salle. C'est le don d'un client qui, deux jours avant sa mort, a souhaité qu'Anny le suspende au-dessus de la table à laquelle il était toujours assis. Ou cette grande corbeille d'osier, spécialement tressée par un autre client.

Dans la cage d'escalier, des dictons sont gravés sur des planches en bois. "Ils m'ont été donnés par plusieurs dames âgées" raconte Anny. "Elles les ont griffonnés sur des bouts de papier en me disant : 'Quand je ne serai plus là, fais les transcrire, en souvenir de moi.' J'étais attachée à ces femmes. Et chaque fois que je passe dans l'escalier ou que j'enlève la poussière, je pense à elles."

De même, chaque jour, en passant, elle caresse une superbe soupière blanche et bleue, survivante d'un service de Sarreguemines, qui trône sur une table. "Une mamie me l'a donnée en disant : 'Prends-en soin. Je veux te l'offrir, respecte-la'" se souvient-elle. Cette dame voulait ainsi sauver cette pièce, car sa belle-fille se débarrassait de toute son ancienne vaisselle. Et elle sentait que chez Anny, elle serait en de bonnes mains. 

Tout en menant son restaurant, Anny s'est aussi engagée pour la vie de sa commune, au conseil municipal, au conseil presbytéral, à la chorale paroissiale, et pour les restaurateurs du canton de Bouxwiller. Elle a également créé l'association des Amis du Bastberg, la colline dont l'auberge tire son nom, haut-lieu de sorcellerie. Et ses membres ont été les premiers à la qualifier de "sorcière" (Hax)

"Une sorcière, ça apporte du bonheur" sourit Anny. "Je voulais créer cette auberge et je suis heureuse si tous se sentent bien ici, et ont envie d'y revenir." Et elle ajoute, malicieuse : "Quand les clients arrivent et disent en riant : 'Mais elle est toujours là !' c'est pour moi une grande joie. Oui, après 41 ans, je suis toujours là."

 

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