Dans les supermarchés, on trouve surtout du muscat ou du chasselas. Mais le vignoble de Vincent Zerr ouvre une porte vers un autre monde. Sur un hectare, il cultive 500 variétés de raisins à déguster, de toutes les formes et de toutes les couleurs.
Dangolsheim est l'une des communes viticoles de la Couronne d'or, à l'ouest de Strasbourg. Et les raisins que Vincent Zerr cultive sur 4 hectares sont destinés, comme ceux de ses collègues viticulteurs, à la coopérative de la Cave du roi Dagobert. Mais sur son dernier hectare, il bichonne des pieds de vigne pas comme les autres : plus de 500 variétés de raisins de table, venus des quatre coins du monde. Elles s'adaptent parfaitement au sol et au climat alsacien, et offrent des couleurs et des saveurs totalement inédites.
Les grappes luisent sous le doux soleil d'automne. Sa caresse sublime les grains, qui arborent toutes les couleurs, de l'opale translucide au cassis presque noir, en passant par toutes les gammes de vert, le mordoré, le mauve ou le violet profond. Des grains de toutes tailles et de toutes les formes, énormes ou miniatures, ronds, allongés, tachetés… ou même bicolores, comme le "Jubilée de Novocherkassk" que Vincent Zerr présente avec fierté : "C'est un très beau raisin, d'origine russe. Une variété précoce, qui mûrit avant l'automne. Totalement inédite chez nous, sa couleur à maturation est un blush. Au départ les grains sont jaunes, puis du rose se dépose, comme un maquillage."
A quelques mètres de là, de puissants effluves, capiteux, émanent de grosses grappes d'un bleu sombre, à la peau dense. "C'est une variété sauvage américaine" précise le viticulteur. "L'un des plus gros raisins sauvages qui existent. Les variétés américaines sentent souvent la framboise, la fraise ou la myrtille." Et d'expliquer qu'aux Etats Unis poussent encore de nombreuses variétés inconnues en Europe, car là-bas, il y a 50.000 ans, elles ont réussi à survivre à la période de glaciations.
Un autre raisin américain, aux grains d'un beau rose, dégage une odeur de fraise tagada. Et le goût est semblable en bouche. "Et là, on a des raisins "cornichons" poursuit Vincent Zerr. "Leur forme si particulière est très ancienne. Il en existe des blancs, des rouges et des noirs. Mais ce sont des fruits tardifs, et la plupart n'arrivent plus à mûrir sous nos latitudes."
Vincent Zerr a commencé sa collection de raisins du monde il y a 35 ans, pour le plaisir. Un seul pied par variété. Puis il y a une vingtaine d'années, il s'est lancé, toujours à côté de sa production de raisin de cuve, dans la plantation d'abricotiers. Après en avoir testé 80 sortes, il en a conservé une vingtaine, qui lui permet de produire et commercialiser des abricots de début juin jusqu'à l'automne.
Fort de ce succès, il a eu envie de développer sa production de raisins de table. "C'est devenu une passion" avoue-t-il. "J'ai appris de nouvelles techniques, pour les multiplier par bouturage. Si une variété ne réussit pas bien, ou si ses raisins ont un goût bizarre, au lieu d'arracher le cep pour en replanter un autre et devoir attendre cinq ans qu'il devienne adulte, je le décapite et le greffe, tout simplement. Et dès l'année suivante, j'obtiens immédiatement la nouvelle variété."
Cette technique lui a permis de multiplier très simplement les pieds de vigne uniques qu'il avait dans sa "collection" d'origine. Puis il a recherché d'autres variétés, en a acheté, échangé, a fait des tests. Il les choisit aussi en fonction de leur résistance aux maladies, afin de les traiter le moins possible. Et le résultat est là : "J'ai une rangée d'une quinzaine de variétés que je ne traite plus du tout depuis dix ans" se réjouit-il. "Toutes les variétés n'y arrivent pas, mais sur les 500 que je produis, j'en ai 40 ou 50 qui donnent de bons résultats."
Ces raisins de bouche, aux goûts souvent surprenants pour les palais alsaciens, se vendent sur les marchés, dans des magasins à la ferme, quelques supermarchés du secteur et chez des grossistes. Mais leur cueillette, un travail minutieux, n'a rien à voir avec de classiques vendanges de raisins de cuve. "On prend le temps de cueillir, de choisir. On essaie de retirer les grains qui risquent d'altérer le goût" explique Romain Deiber, l'un des cueilleurs. "Et on goûte" ajoute Serge Ybanez, son collègue. "Pour être sûr de la qualité de la grappe, de son sucre. Un raisin trop acide, ce n'est pas le top. Mais en règle générale, il est très bon."
Une petite partie de la récolte est vendue directement dans le magasin de la ferme, Le jardin de Marmotte, tenu par Dominique, la femme de Vincent. Elle y propose aussi des œufs et des légumes de sa propre production. Le couple cultive également des céréales anciennes dont la farine est utilisée par leur fils, boulanger, pour en faire du pain et des viennoiseries. Et selon l'inspiration du jour, les raisins donnent de succulentes tartes. Dominique, elle, en fait du jus, et utilise certaines variétés sans pépins pour des confitures, "plus charnues que la gelée." Avec les raisins, son inspiration est sans limites. "On en fait aussi des sorbets. Et parfois je les sèche. Après deux à trois mois, c'est excellent dans un kougelhopf."
Mais dans son magasin, les raisins de table sont surtout plébiscités en assortiment, par cagettes de cinq kilos. Les clients adorent ce mélange de couleurs et de saveurs, à croquer pour le plaisir, ou à déguster en cure sans jamais se lasser, tant les goûts sont variés. "Mon compagnon fait une cure de raisins, et moi je m'en sers pour des animations avec des enfants et des adultes" explique une cliente qui repart avec son colis multicolore. "Je leur fais voir les couleurs, on goûte, on regarde à travers, et tous les sens sont mis en éveil." Il est aussi possible de commander ces caisses par téléphone, et de les récupérer en-dehors des heures d'ouverture de la boutique.
Et si certains, jardiniers amateurs ou avertis, rêvent d'avoir l'une ou l'autre de ces variétés de raisins chez eux, Vincent Zerr a la solution. Il propose à la vente une trentaine de variétés de pieds de vigne, afin de permettre à tous ceux qui le souhaitent de pouvoir déguster chez eux les raisins qu'ils ont découverts grâce à lui.