Les députés européens ont voté, mercredi 10 mars 2021, le principe du "mécanisme d’ajustement carbone" aux frontières de l’Union. Ce dispositif complexe qui vise à protéger les industries lourdes du continent, l’ancien syndicaliste Edouard Martin a été le premier à le défendre.
Les cheveux ont blanchi, mais le verbe est intact. Sur le plateau de notre journal jeudi 12 mars 2021 à 18 heures, difficile de croire qu’Edouard Martin a rendu son écharpe. L’ancien député européen est encore dans son sujet, à 100%. "C’est mon bébé" glisse-t-il avant de prendre l'antenne, toujours prêt à ferrailler sur son cheval de bataille depuis toujours : la défense de l'industrie européenne.
Edouard aux mains d'acier
Avant d’être élu député européen, Edouard Martin a crevé l’écran en tant que de syndicaliste. Leader de la lutte contre la fermeture de la filière liquide de la vallée de la Fensch en 2011-2012, il a multiplié les actions sur le terrain, les blocages d’usines, les envahissements de bureaux de la direction, les rencontres avec la population. En parallèle, il enchaîne les interviews sur tous les médias pendant dix-huit mois. A une équipe télé qui vient l’interviewer chez lui tard le soir, il propose de rester manger.
Mais le combat est perdu en décembre 2012 : malgré les promesses, le président de la République François Hollande ne sauve pas les hauts fourneaux d’Hayange. Le sidérurgiste, alors membre pour la CFDT du comité d’établissement européen d’ArcelorMittal, doit trouver une porte de sortie. Ses amis socialistes lui proposent la tête de liste pour la Lorraine aux élections européennes de 2014. Il est élu, le seul de la liste.
Crise
"Mon premier engagement sur ma feuille de route, c’était le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières" explique-t-il aujourd’hui : "la crise de 2008 avait entrainé la fermeture de 40 millions de tonnes de capacité de production d’acier en Europe, il fallait réagir". Son constat : les produits sidérurgiques chinois déferlent sur l’Europe, à des prix qui défient toute concurrence.
Son intuition : ces produits ne respectent pas les règles du commerce mondial car ils sont largement subventionnés par l’Etat chinois, et de plus, ils ne subissent aucune des contraintes écologiques que les industries du continent doivent respecter. Son action : faire voter un rapport qui introduit un mécanisme permettant de rétablir l’équilibre. Son nom : l’ajustement carbone. Tout produit issu d’une industrie lourde comme le ciment, acier, l’aluminium, le papier ou le verre et qui est importé en Europe doit intégrer le prix du carbone qui a permis de l’élaborer. "Ce n’est pas une taxe" insiste l’ancien syndicaliste, "mais forcément, certain peuvent le concevoir comme ça, puisque ça va générer des centaines de milliards d’euros".
Son rapport, disponible ici, est adopté en 2015. C'est le premier texte du Parlement Européen qui acte précisément le mécanisme. Il suscite l’opposition des lobbys des cimentiers, d’une partie des groupes sidérurgiques. Mais malgré le vote, aucun réel enthousiasme de la part de ses collègues, écolos compris.
Van der Leyen relance l'idée
Elue président de la commission européenne en juillet 2019, Ursula von der Leyen change la donne. Sa priorité : le Green Deal, un plan qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 50 % d’ici à 2030. L’idée d’Edouard Martin ressort des archives, mais sans ce dernier, qui ne s’est pas représenté.
Pascal Canfin, l’ancien écolo ministre de François Hollande de 2012 à 2014 passe chez la République en Marche pour les européennes de 2019. Il préside la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI) et reprend à son compte l’initiative d’Edouard Martin, qu’il défend devant les médias. Yannick Jadot, député européen depuis 2019 sous l’étiquette des Verts, lui emboîte le pas. Co-rapporteur en 2015 du travail mené par Edouard Martin, lors du vote du texte, il s’était… abstenu !
Agacement
Face à cette récupération, aucune amertume chez l’ancien sidérurgiste de Florange. Un peu d’agacement. La satisfaction d’avoir fait avancer l’idée, la déception de voir ceux qui avaient mollement soutenu l’initiative en 2015 s’y rallier seulement aujourd'hui. Fidèle à son engagement quand il avait fait campagne en 2014, Edouard Martin ne s’est pas représenté en 2019. Un seul mandat.
Il n’aura donc pas assisté au vote de ses anciens collègues parlementaires mercredi 10 mars. Ces derniers lui ont finalement rendu justice, même si le chemin est encore long jusqu’à la mise en œuvre effective du mécanisme. "Maintenant je dois trouver du boulot" lâche l’ancien député. Agé aujourd’hui de 57 ans, il pointe au chômage.
Deux ans pour mettre en oeuvre le mécanisme
C'est désormais la Commission Européenne qui a la main. Elle devrait faire d'ici l'été des propositions concrètes pour mettre en oeuvre le mécanisme d’ajustement carbone. Et surtout, préciser à quoi vont servir les milliards récoltés... Dans l'esprit de l'ancien député européen, cet argent doit permettre de moderniser l'industrie européenne, de la rendre plus compétitive, afin qu'elle participe pleinement aux objectifs du Green Deal de réduction des émissions de CO2 : "pour que ça marche, l'argent doit aller dans les projets les plus vertueux". Ce qu'il voudrait à tout prix éviter, c'est la "fuite carbone" : la délocalisation hors de l'Europe des activités les plus polluantes.
Mais c'est le Conseil Européen qui tranchera. Et donc les états membres, qui devront décider quoi faire du pactole : "certains voudraient l'intégrer au budget de l'Union, d'autres que ça reparte dans les pays, pour rembourser la dette par exemple" soupire Edouard Martin. Ironie suprême : son ancien patron, ArcelorMittal, avait rejeté l'ajustement carbone "au nom de la libre entreprise", avant de s'y rallier finalement et même d'appeler ses salariés à manifester le 15 février 2016 à Bruxelles contre les importations chinoises !