Le projet de pipeline pour alimenter Vittel et ses environs en eau potable est abandonné depuis le 2 octobre. Ces conduites devaient combler le déficit dans la nappe phréatique. Un tournant dans la bataille entre Nestlé et les défenseurs de l'environnement, dans l'attente d'autres solutions.
La préfecture des Vosges a mis fin le 2 octobre 2019 au projet de pipeline qui devait servir à réduire le déficit de la principale source d'eau potable du territoire vittellois : la nappe des Grès du Trias Inférieur, la fameuse nappe des GTI. "L’État et l’Agence de l’eau ont travaillé à une solution alternative fondée sur l’optimisation des ressources locales", précise le communiqué de la préfecture des Vosges. La réalisation technique de ces transferts d'eau "pouvait paraître incertaine", ajoute la préfecture.
Le projet, retenu le 3 juillet 2018 par la Commission locale de l'eau, prévoyait le transfert d'un million de mètres cubes d'eau depuis des zones voisines, via un "pipeline" ; 30 à 50 km de canalisations pour aller cherche le précieux liquide du côté de Valfroicourt, à une quinzaine de kilomètres à l'est de Vittel.
Pour les défenseurs de l'environnement, c'est une victoire. "C'est une avancée fondamentale, explique Jean-François Fleck, président de Vosges Nature Environnement. C'est un virage à 180 degrés. Depuis 10 ans, la stratégie, c'est de ne pas toucher aux industriels pour préserver l'emploi."
Les associations pointent du doigt Nestlé Waters, le champion de l'eau en bouteille. L'abandon du projet de transfert d'eau est "une tentative de sortir du monopole de Nestlé, sur une ressource qui n'appartient à personne", assure Jean-François Fleck. De son côté, Nestlé garantit que son activité "repose sur une gestion durable de la ressource en eau", chiffres à l'appui. "L’objectif est déjà atteint avec un an d’avance, ce qui démontre notre engagement quotidien sur cet enjeu ! Nous atteindrons une réduction de 30% de nos prélèvements sur la nappe des GTI depuis 2010", affirme la directrice générale de Nestlé Waters France, Sophie Dubois.C'est une tentative de sortir du monopole de Nestlé.
Jean-François Fleck, président de Vosges Nature Environnement
L'autre acteur industriel du secteur, c'est la fromagerie Ermitage installée à Bulgnéville. En 2018, 480.000 mètres cubes utilisés en fromagerie proviennent de la nappe des GTI, contre 550.000 en 2010.
Tout le monde devra faire des économies
Le déficit annuel du secteur sud-ouest est évalué à un million de mètres cubes d'eau. Les différents acteurs du territoire prélèvent 3 millions de mètres cubes d'eau chaque année, alors que la nappe se recharge à hauteur de 2 millions de mètres cubes. D'importantes économies devront être réalisées par l'ensemble des acteurs du territoire : les collectivités, les particuliers, les agriculteurs et les industriels. Une réflexion globale autour des volumes prélevés devra être engagée.
Les objectifs sont désormais les suivants :
- retrouver le rééquilibre de la nappe d'ici 2021
- reconstituer la nappe, dont l'état se dégrade depuis 1975, date des premiers relevés
Pour les associations, c'est Nestlé qui doit faire le plus d'efforts. Selon eux, les populations locales doivent avoir accès à l'eau prioritairement, et les besoins de l'industriel doivent passer ensuite. Leur argument est basé sur l'interprétation de la loi sur l'eau de 2006, qui donne la priorité de l'usage de l'eau aux habitants d'un territoire. "L'usage de l'eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d'accéder à l'eau potable" (article L210-1 du Code de l'environnement). "La seule solution est l'arrêt des prélèvements de Nestlé dans la nappe des GTI", affirme Jean-François Fleck.
40 années de temps perdu
Beaucoup de temps a été perdu, près de 40 ans. "On connait le déficit majeur de la nappe depuis [les années] 1970. Les premières décisions sont prises en 2016. Personne n'a pris les décisions qui s'imposaient et pendant ce temps, l'exploitation de la nappe a profité à bien des gens, en particulier Nestlé qui a continué son embouteillage, alors que des mesures drastiques auraient du être prises beaucoup plus tôt", regrette Bernard Schmitt, Vitellois et membre d'Oiseaux Nature.Cette décision d'abandonner le projet de transfert d'eau valide le principe de proximité de l'usage de l'eau. Conclusion : l'eau doit être consommée sur place et ne doit pas être déplacée sur des kilomètres. Ce que les industriels -Nestlé waters et Ermitage- et les collectivités ne reconnaissent pas comme un coup d'arrêt est vécu comme une bataille gagnée par les défenseurs de l'environnement.Nestlé doit arrêter ses prélèvements dans la nappe des GTI
Jean-François Fleck, président de Vosges Nature Environnement
La prochaine étape de cet interminable feuilleton aura lieu le 18 octobre lors du Comité de Bassin de l'Agence de l'eau Rhin-Meuse. Dans cette série qui n'a rien d'une fiction intitulée "Bataille de l'eau à Vittel", les scénarios des prochains épisodes et des prochaines saisons restent ouverts à tous les rebondissements.