Le concert caritatif organisé par le lycée André Maurois de Bischwiller a déclenché cette année une vague de témoignages de reconnaissance envers un professeur de SES. Les anciens élèves de Julien Pellegrini racontent la relation instaurée avec leur professeur et comment elle les a inspirés.
La tradition dure depuis trente-trois ans. Chaque année, les élèves du lycée André Maurois de Bischwiller (Bas-Rhin) montent sur scène pour le Concert du cœur : deux heures trente de chants et de danses dont les bénéfices sont reversés à des associations. Cette année, un professeur du lycée coprésente le spectacle avec trois lycéennes. Déguisé en Reine des neiges, chantant sur l’air du Roi Lion ou sabre laser à la main, Julien Pellegrini joue le jeu.
"Vous les élèves, n’oubliez jamais que nous, les professeurs, nous ne sommes pas là pour vous empêcher d’être vivants mais au contraire pour veiller à ce que vous rêviez assez juste et surtout assez grand", déclare le professeur de sciences économiques et sociales (SES) devant les 700 spectateurs rassemblés à la MAC. Dans la salle, un groupe d'une quinzaine d’anciens élèves s’est réuni pour scander son nom à son entrée sur scène. Plusieurs reconnaissent avoir eu les larmes aux yeux.
Témoignages en cascade
Deux semaines plus tard, Léo, l’un d’entre eux, ouvre le feu. Depuis son compte Twitter, il envoie la vidéo de « ce merveilleux discours » à des dizaines de destinataires – académie, universitaires, journalistes et même parlementaires. Sous l’extrait, des dizaines de commentaires d’anciens élèves louent un professeur « fantastique », « bienveillant », « toujours au top ».@AymericRobert Bonjour, vous qui travaillez dans le journalisme, il n'y a pas moyen de faire connaitre cette vidéo. J'ai tellement l'impression qu'à elle toute seule elle évoque ce qu'est ou doit être "l'école". https://t.co/UhAXougBmr
— Dietrich Léo (@Leoimaginaire) 5 mars 2018
Un déferlement qui a surpris le premier intéressé, même s'il n’en n’est pas à la première démonstration d’affection de la part des adolescents qu’il a accompagné pendant au moins deux ans. Depuis 2007, année de son arrivée à Bischwiller, le trentenaire a notamment reçu un maître Yoda en bonbons, un coffre rempli de lettres manuscrites, un clip d’anniversaire et de nombreux pots de Nutella, produit souvent cité en exemple dans ses leçons d’économie.
« De la bienveillance et de la connaissance »
Les images utilisées pour illustrer les théories sont d’ailleurs la première chose qui revient à l’esprit de ceux qui ont fréquenté ses cours. Le Nutella, toujours, pour illustrer les facteurs de production, ou encore un scénario fictif de fin de soirée entre élèves de la classe, mise en situation des rendements décroissants. « Il nous fait ça sous la forme d’une histoire, se remémore Germain, aujourd’hui en école de commerce dans le sud de la France. C’est ce qui fait que ça reste dans la mémoire. On ne prend pas ça comme une matière à ingurgiter. »"Ce que j'ai envie d'entendre c'est : «Avec lui on a bossé, j'ai appris des trucs et en plus on l'a fait dans une bonne ambiance», assure le professeur, que l’on a rencontré à proximité de la fac de Strasbourg, où il donne aussi des cours. 99,9% du temps, dans mes classes, je fais de l'économie et de la sociologie. Il y a 0,1% du temps où on peut discuter d'orientation ou d'autres et je trouve que c'est déjà bien. Ma bienveillance est ailleurs."
"Une relation de professeur à élèves"
Notamment dans ce qui constitue un point d’honneur : connaître chacun des trente élèves qui constituent ses classes, quitte à potasser le trombinoscope pendant les mois d’été. "Il avait une relation de professeur à élèves et non de professeur à un groupe d’élève", résume Claire, qui a passé son bac ES en 2016. Une question de respect et de valorisation pour des jeunes à un âge charnière dans la construction de leur identité."S'ils sont en panique vis-à-vis de leur propre scolarité, c'est des fois par rapport à eux-mêmes, mais aussi par rapport à l'institution qui ne les aide pas, leur met de la pression ou les dévalorise, martèle Julien Pellegrini. Il ne s'agit pas de leur mentir. Je n'ai aucun scrupule à mettre de mauvaises notes par exemple."
"C’est grâce à lui que j’ai vraiment de l’ambition"
En fin d’année, avant d’aller affronter les épreuves du baccalauréat, chaque élève reçoit un mot personnalisé, "des trucs que tu ne peux pas écrire dans le bulletin". Un encouragement. Plusieurs années après, certains l’ont encore en fond d’écran sur leur ordinateur, encadré sur le mur de leur chambre d’étudiant ou plié dans leur portefeuille et y puisent une source d’inspiration. "Je ne visais pas très haut en études, affirme Tracy, qui se rêve aujourd’hui DRH. Il m’a dit que je devais croire en moi. On ne me l’avait jamais dit. C’est grâce à lui que j’ai vraiment de l’ambition."Les cours, les corrections, les mails pour encourager ou s’assurer que tout va bien, y compris après le bac… Julien Pellegrini reconnaît être « hyperactif » mais n’envisage pas couper après la sortie de classe. "Quand on demande ce qu'est un bon prof, on dit souvent : «c'est quelqu'un à qui on confirait ses propres enfants». Etant parent, ça me parle. Punaise, c'est quand même une responsabilité. Chaque année, il y a une soixantaine de parents [par classe] qui me confient ce qu'ils ont de plus précieux au monde. »
"Un pilier fondamental dans ma vie"
Un an après son bac, quand il a envisagé d’abandonner son DUT, c’est donc vers son ancien prof de SES que Nathan s’est tourné. « Je pense que ma vie ne serait pas la même si je ne l’avais pas eu », déclare-t-il aujourd’hui sans ciller. « Je lui dois tout ça, renchérit Céline, qui, après avoir traversé des épreuves lors de ses années lycée, termine un master de consulting à Paris et envisage de poursuivre encore ses études aux Etats-Unis. Ça a été un pilier fondamental dans ma vie. Ce qui est touchant, c'est qu'il ne s'en rend sûrement pas compte."Difficile aujourd’hui pour l’intéressé de l’ignorer. Des élèves l'ont informé du succès rencontré par sa prestation début février. "J'ai l'impression que c'est un miroir déformant, entre ce que moi j'ai l'impression de faire et le retour que j’ai, confie-t-il. Jusqu'à présent, j'arrivais à relativiser ça en me disant que ce sont des élèves que je viens de quitter, avec toute la charge émotionnelle. Mais j'ai vu des commentaires de mes élèves d'il y a dix ans... Je me suis presque senti un poids, une responsabilité, est-ce que je vais toujours réussir à leur donner ça ?"