Châlons-en-Champagne : Rafidin, l'entreprise qui recycle le raisin jusqu'au dernier pépin

Frédéric Bon et Damien Levesque gèrent la société Rafidin, qui tire son nom du lieu-dit où elle est implantée, à proximité de Châlons-en-Champagne. Depuis deux ans, le père et le gendre recyclent les marcs issus des vendanges.

Une odeur aigrelette imprègne les narines jusqu'au palais. Au lieu-dit Rafidin, situé à Pocancy à proximité de Châlons-en-Champagne, des montagnes d'aignes de raisin (rafles, peaux et pépins) sont entreposées sur les huit hectares de terrain de l'entreprise éponyme. A sa tête, deux hommes : Damien Levesque et Frédéric Bon. Le premier possédait une entreprise de déshydratation de la luzerne et le second officiait sur les Champs-Elysées comme conseiller en stratégie d'entreprise. Depuis une quinzaine d'années, Frédéric Bon aidait son beau-père à propos de la valorisation des protéines de luzerne, "en cours du soir".

Ce mercredi 2 septembre, le plus gros est déjà derrière les employés de Rafidin. Durant une quinzaine de jours, l'activité de l'entreprise bat son plein. Les employés et prestataires s'activent pour récolter les aignes auprès des 200 pressoirs que compte le carnet d'adresse Rafidin. Il faut se presser, car en quelques heures, seulement, les pépins perdent leurs polyphénols, la molécule qui fait la renommée de la société. Contenue dans les raisins, elle s'oxyde ou se perd dans le jus si elle n'est pas traitée à temps.
 

Des aignes récoltées et traitées rapidement

En 24 heures, les résidus de raisin sont récupérés des pressoirs, triés et séchés. "On a besoin d'évacuation et de remorques pour évacuer les aignes. C'est ce service qu'on demande : être précis et ponctuels", résume Jean-Luc Prévostat, gérant de la coopérative d' Avize. Ensuite, les polyphénols sont extraits et revendus à des prestataires. Ils seront transformés en produits alimentaires, cosmétiques ou compléments alimentaires.
 
L'autre vie du raisin une fois pressé
Infogram

Si ce nom de molécule vous est étranger, il est pourtant de plus en plus recherché par les géants de l'agroalimentaire. "Les polyphénols remplacent les conservateurs, explique Frédéric Bon. Vous savez, les E quelque chose sur les listes d'ingrédients, qui sont de plus en plus interdits." Le Marnais d'adoption a d'ailleurs noté une tendance de fond, qui ne concerne pas uniquement le secteur alimentaire : "Les plus grandes entreprises cosmétiques mettent en place des stratégies pour remplacer les composants pétrochimiques par des éléments naturels."

Outre l'alimentation humaine, ces molécules se révèlent également intéressantes pour nourrir les animaux, détaille l'ingénieur de formation : "C'est une alternative écologique pour préserver les aliments et rendre les animaux en meilleure santé. On travaille depuis plusieurs années avec des éleveurs de crevettes à Madagascar, on s'est rendu compte sur des tests à grande échelle, sur plus d'un million de crevettes, que les taux de mortalité baissaient par rapport à une alimentation normale, qu'elles étaient en meilleure santé et grossissaient mieux."

 
Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Bien qu'on ne soit pas sûr que Lavoisier ait vraiment prononcé cette phrase un jour, elle prend tout son sens chez Rafidin. Les pépins donnent les précieux polyphénols. Une fois les molécules extraites, ils sont revendus à des prestataires qui en feront de l'huile. Les peaux et rafles de raisins quant à elles sont séparées des pépins et à nouveau pressées pour en extraire du jus qui sera distillé. Enfin, une fois ce jus préparé, les derniers, résidus sont réduits en compost et épandus dans les champs alentours.
 

On pense avoir une meilleure empreinte environnementale. On considère que c'est mieux que les pépins de Champagne soient traités en Champagne.

Frédéric Bon, co-gérant de l'entreprise Rafidin.

"Nos importateurs sont séduits par le fait qu'on valorise localement certains produits, avec l'ensemble des opérations qui sont faites sur place, constate l'ancien conseiller en stratégie d'entreprise. A nous de démontrer les avantages économiques et écologiques de nos services." Il n'est pas toujours facile de convaincre Négoce et vignerons de changer des habitudes qui courent parfois depuis des siècles. Cela n'a pas empêché l'entreprise d'étoffer son carnet d'adresse de 15 % en 2019 par rapport à 2018.
 

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"En 2018, il fallait survivre"

Il y a trois ans, Frédéric Bon et Damien Levesque n'auraient jamais cru à cette croissance. Prestataire pour l'entreprise gardoise Grap'Sud, seul concurrent du géant local Goyard (qui détient entre 75 % et 80 % du marché, cette année, ils ont traité 65.000 tonnes d' aignes), Rafidin est face à un dilemne. "En 2017, Grap'Sud a décidé de mettre fin à notre collaboration. Face à cela, on a monté la distillerie car pour récupérer les marcs de raisin, il faut être distillateur." Pour repartir, les deux gestionnaires décident d'investir deux millions d'euros, puis la même somme pour obtenir la partie du site qui appartenait encore à Grap'Sud. "En 2018, il fallait survivre", se souvient, Frédéric Bon. Lui et son beau-père installent alors une colonne à distiller, apprennent le procédé, vendent les alcools, et continuent à pousser en parallèle la recherche sur l'extraction des polyphénols. "En 2019, on a commencé à vendre des produits à forte valeur ajoutée sur les polyphénols, à rentrer de nouveaux importateurs et enrayer cette spirale de la baisse qui était amorcée depuis cinq ans", se félicite aujourd'hui le gérant.


Jusqu'alors, les ouvriers de Rafidin n'étaient occupés "qu'une paire de semaines", pour reprendre une expression locale. Grâce à l'ouverture de la distillerie et à l'extraction des polyphénols, ils sont seize équivalents temps plein à travailler toute l'année. "C'est très différent de mon ancien travail, convient Frédéric Bon. Pendant des années, j'ai encadré des gens d'HEC, des polytechniciens… Aujourd'hui certains n'ont pas le bac."

Aujourd'hui, nous avons une quinzaine d'employés parce qu'on crée de la valeur ajoutée locale et des emplois locaux. C'est une richesse locale qu'il faut exploiter.

Frédéric Bon.

Et le gestionnaire ne compte pas s'arrêter là. Après deux années de tourmente, Frédéric Bon a d'autres projets en tête, qu'il préfère ne pas encore dévoiler : "C'est très bien de faire de l'eau-de-vie de vin, de distiller du vin, c'est une activité rentable, mais je ne suis pas là pour ça. Je suis là parce qu'on fait des extractions naturelles de conservateurs, aujourd'hui sur les pépins, demain sur d'autres choses. On a une matière première qui est formidable." 

 
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