Arrivé en France en 2013, Man* a servi l'Armée française pendant sept ans en Afghanistan. Interprète, il a également combattu auprès de soldats français. Après la prise de Kaboul par les Talibans, il craint pour ses proches restés sur place.
Elles sont loin, les montagnes escarpées de la province de Kapisa, au nord-est de Kaboul. Le paysage a radicalement changé pour Man*, depuis qu'il s'est installé à Châlons-en-Champagne en août 2013. Ce jour-là, il fait partie d'un convoi de sept interprètes, "les derniers à être rapatriés en France" jure-t-il. Si les plaines champenoises ne sont pas aussi grandioses que les montagnes qu'il a quittées, elles ont un goût de réconfort. D'accueil. De sécurité.
La peur pour ses proches
Cela fait quelques jours que les talibans ont repris le pouvoir en Afghanistan quand Man nous reçoit chez lui, dans un appartement propret d'un quartier populaire de Châlons, avec une vue imprenable sur le parking. Ses enfants sont sortis s'amuser au parc pour laisser le lieu calme. L'entretien démarre très vite, à tel point qu'une fois fini, il se rappelle, l'air gêné : "Pardon, je n'ai même pas proposé ! Il y a du café, des sodas, du jus de fruit."
Je n’ai plus peur de mourir, mais qu'ils fassent des choses à mes proches.
Man prend place dans son salon sur une chaise à contre-jour. Il ne faut pas qu'on le reconnaisse, son anonymat est une question de vie ou de mort pour lui et surtout ses proches restés au pays. Avant de quitter l'Afghanistan, les talibans ont mis sa tête et celle de tous les interprètes à prix, pour l'équivalent de 40.000 dollars. "Aujourd’hui je n’ai plus peur de mourir, dit-il, mais qu'ils fassent des choses à mes proches."
Un travail rigoureux et dangereux au sein des forces spéciales
Depuis son arrivée en France, l'ancien interprète afghan n'a jamais parlé de son travail auprès de la Grande muette. "Je me suis battu auprès de l’Armée française pour mon pays", assène-t-il, fier du travail accompli. Il consigne dans une pochette tous les courriers de recommandations signés de colonels, capitaines et autres gradés français, qui attestent tous d'un travail "rigoureux", avec "une prise de risque très importante". Il y conserve également des dizaines de photos. Sorte d'album souvenir de fortune, preuve de ces sept années passées aux côtés des militaires français.
Pour lui, servir l'Armée française a été comme une évidence, et après un bref passage auprès des Américains, alors qu'il travaille comme serveur dans un restaurant kaboulien, il se fait repérer par des soldats français. Il n'a que 17 ans. "Je me suis engagé pour la liberté, la construction de mon pays et pour nourrir sa famille", clâme-t-il, avec ce ton qui le caractérise : à la fois fier et emprunt d'humilité. En tout, il travaillera sept ans avec les Français, dont deux années auprès des forces spéciales.
"J'ai vécu cinq ans en guerre"
Mais aujourd'hui, il aimerait que ce travail soit reconnu. "J'ai vécu cinq ans en guerre. J'ai fait jusqu'à 30 missions par mois. Mais aujourd'hui, je n'ai aucune reconnaissance de mon travail, je vais avoir le même statut que des gens qui travaillaient simplement à Kaboul", martèle-t-il. Blessé à deux reprises au combat, il ne regrette rien : "J’ai fait le bon choix. Je suis content pour mes enfants. Ils vont à l'école alors que moi, l'école, je l'ai passée sur des tapis. Quand je vois ma vie ici, je me dis que j'ai eu de la chance de travailler et de me battre contre des terroristes."
De ces années, Man garde aussi de bons souvenirs de camaraderie. Les soldats français "nous souriaient, ils nous aidaient. Jusqu'à maintenant, j'ai des contacts encore avec certains, je dis merci à l'Armée et à mes collègues", souligne l'Afghan, aujourd'hui responsable d'un magasin de grande distribution à Châlons.
Preuve des liens qu'il a conservés, Man a recroisé des anciens collègues lors de ses vacances dans les Alpes cet été. Les vieux copains se sont raconté leurs souvenirs, ont partagé quelques verres au pied des montagnes qui lui rappellent terriblement celles de son enfance. Un jour, il se prend à rêver de venir habiter en Savoie. L'occasion pour le Français d'adoption de se rapprocher d'autres montagnes. Celles qui l'ont accueilli et qu'il n'a plus envie de quitter.
*Pour des raisons de sécurité, son prénom a été modifié.