A Epernay, des femmes atteintes de cancer du sein se soignent aussi sur le terrain en jouant au rugby à 5. L'occasion pour ces "combattantes" d'oublier la maladie le temps d'un entraînement.
Ce mardi soir, ni le froid, ni l'humidité n'ont découragé Josette, Sandrine, Julia et leurs copines à fouler le sol boueux du stade Paul-Chandon à Epernay. Leurs chaussures à crampons aux pieds, ces femmes pratiquent le rugby à cinq, un sport sans choc et sans plaquage. Le contact physique est évité, ce qui limite les blessures. Même si ces femmes sont des combattantes. Toutes ont lutté ou luttent encore contre un cancer du sein qui les a affaiblies.
"En venant ici, on se lâche. Et puis on tombe, on se relève, remarque Josette Rondeau, l'une des joueuses de cette équipe. Mais on tombe doucement, parce qu'on va doucement aussi." Charles Houbron, leur coach, adapte son entraînement à ses joueuses. Les pauses sont régulières, les efforts non brutaux et le rythme léger. "C'est vraiment elles qui guident l'entraînement. Si je sens qu'elles sont un peu fatiguées, on s'arrête un peu plus tôt, on va faire des petites pauses, explique l'entraîneur. On va partir sur cinq minutes d'effort pour quasiment l'équivalent de repos pour qu'elles aient le temps de récupérer et d'enchaîner un deuxième effort mais de qualité."
Surmonter les effets secondaires
Pour faire face à la maladie, la plupart des joueuses ont enchaîné chimiothérapie, intervention chirurgicale, radiothérapie et hormonothérapie. Un parcours de la combattante qui a laissé des traces. "Les effets secondaires des traitements sont là, déplore Josette, une pimpante quinquagénaire qui affronte depuis cinq ans un cancer du sein. On ne court plus comme avant, on n'est plus souple comme avant. Et puis il y a l'âge aussi, et le poids". Dans cette équipe pas comme les autres, cette Sparnacienne ne se sent pas jugée. "Dans les autres sports, les gens sont toujours bien mis, je ne trouvais pas ma place, mais là je pense que je l'ai trouvée, confie-t-elle. Je suis avec des personnes comme moi, c'est-à-dire un peu rondes et un peu malades."Pour Josette, le rugby fait partie de sa thérapie. "On vient là par plaisir, ça nous change dans notre parcours. On n'a pas l'occasion de rire comme ça sans gêner les voisins."Ce n'est pas parce qu'on est sorti du cancer qu'on ne l'a plus. Maintenant, on a besoin d'en parler encore, mais surtout d'en rire.
- Josette Rondeau, membre des Com'battantes
Pendant une heure, les rires ponctuent l'entraînement. Les joueuses sont parfois dissipées, n'hésitant pas à "charrier" leur coach qui leur répète avec patience et bonne humeur les consignes. Une ambiance détendue à laquelle a tout de suite accroché Julia Morel, 48 ans. "Au début, je me disais que le rugby, c'était peut-être un peu risqué comme sport. Dès le premier entraînement, je ne suis pas sortie en sueur, mais j'avais bien rigolé. Plus il y avait de filles dans l'équipe, plus on rigolait".
De trois-quatre joueuses en septembre 2019, elles sont aujourd'hui huit à composer cette équipe baptisée Les Com'battantes. "Il faut qu'on recrute de nouvelles joueuses pour faire perdurer l'équipe et redynamiser le groupe", souligne Valérie Bérard, la coordinatrice et fondatrice du groupe. Bien qu'elle n'ait pas été touchée personnellement par le cancer, cette bénévole au Rugby Club d'Epernay et maman d'un jeune joueur a eu l'idée de créer cette équipe atypique en voyant un reportage télévisé sur les Rubies de Toulouse. "Quand j'ai vu leur joie sur le terrain, leur force, leur dynamisme, je me suis que c'était une évidence, qu'il fallait créer une équipe ici, à Epernay."
Bénéfique pour la santé
Sans grande difficulté, elle réussit à convaincre les dirigeants du club sparnacien de fonder une section de rugby santé. "J'ai été suivie à 200% par le club, insiste Valérie Bérard. Que ce soit au niveau du président, au niveau du staff sportif, ils étaient tous à fond derrière, après il a fallu trouver un staff médical." Le club de Nancy les conseille pour la construction de l'équipe, puis la labellisation Rubies qu'elle obtient en décembre dernier. En France, seule une dizaine d'équipe pratiquent le "rugby bien-être santé". Leur devise : "Rassembler le sport et le médical pour une seule cause, la rémission".Au bord du terrain, la kinésithérapeute Anne Rollinet observe les joueuses fouler le terrain. "Cela m'intéresse de voir comment certaines de mes patientes arrivent à bouger, à mobiliser leurs bras, comment elles se mettent à courir pendant la séance, indique la professionnelle de santé. Le but de l'exercice est quand même de bouger de plus en plus, de retrouver confiance en elles et en leur corps. A cause des traitements, elles se sentent très fatiguées. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, le fait de faire du sport leur permet de moins ressentir cette fatigue."L'activité physique adaptée est conseillée pour diminuer le taux d'éventuelles récidives. Cela a été constaté et vérifié scientifiquement.
- Anne Rollinet, kinésithérapeute
Les bénéfices du sport pour les personnes atteintes de cancer ne sont plus à prouver. Sandrine Ducrocq, l'une des rugbywoman, l'a rapidement constaté : "Avec la radiothérapie, j'ai eu un petit souci au niveau d'un poumon, j'avais du mal à respirer, je n'arrivais même plus à courir. Depuis que je fais du rugby, j'ai beaucoup moins de problèmes, je suis moins essoufflée, je me sens mieux". Le mental aussi y gagne. Sandrine y a même trouvé "de la sérénité" : "Le rugby m'a libérée. Je me sens beaucoup mieux dans ma tête, beaucoup mieux dans mon corps, je suis plus zen, plus ouverte".
Les douleurs sont toujours là, mais sur le terrain, on les oublie.
- Sandrine Ducrocq, membre des Combattantes
Ne plus être seule face à la maladie
Au fil des semaines, une amitié s'est créée sur le terrain, et en dehors. Elles échangent autour de la maladie, se soutiennent quand l'une d'entre elles flanche. "On ne peut pas embêter tout le temps les gens qui nous entourent avec nos questions, nos interrogations, admet Josette. En venant ici, on peut parler de nos problèmes et en rire. On n'est plus seule face à la maladie."Impressionnée par la force de caractère de ses joueuses, Valérie Bérard, la coordinatrice, a rapidement rejoint l'équipe. "Je suis admirative de ces femmes, elles ont une pêche, une volonté. Elles me reboostent à chaque fois." La responsable espère désormais faire grandir l'équipe. "Il va falloir qu'on arrive à organiser des rencontres avec d'autres clubs." Des matches sont déjà prévus avec les équipes de Nancy et du Parisis, dans le Val-d'Oise, mais les Com'battantes aimeraient aussi se rendre à Toulouse pour rencontrer les pionnières du rugby santé. "Mais pour cela, nous avons besoin de sponsors et de partenaires." L'appel est lancé.
Pour en savoir plus, vous pouvez contacter les Com'battantes par mail : com-reca5@orange.fr ou sur leur page facebook.