Amin Maalouf élu secrétaire perpétuel de l'Académie française : "il doit être notre boussole" selon l'académicien Daniel Rondeau

Le nouveau secrétaire perpétuel de l'Académie française, siégeant à Paris, a été élu ce jeudi 28 septembre. L'un de ses académiciens, Daniel Rondeau, originaire de la Marne, nous explique de quoi il s'agit.

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Du cardinal de Richelieu (son fondateur) au président de la République Emmanuel Macron (le chef de l'État en est le protecteur ex-officio depuis Louis XIV), l'Académie française aura connu cinq siècles d'existence, et 31 secrétaires perpétuels.

Cet office particulièrement prestigieux a été tenu par Hélène Carrère d'Encausse, morte le 5 août 2023. À l'ère de la féminisation des titres, elle tenait, en ce qui la concernait, à se faire appeler "madame le secrétaire perpétuel", sans l'accord

Ce jeudi 28 septembre 2023, l'Académie française, comme n'importe quel établissement scolaire ou institution d'études supérieures, fait sa rentrée. Et à cette occasion, les Immortels (on appelle ainsi les membres de l'Académie) ont élu un nouveau secrétaire perpétuel. 

Deux Académiciens étaient candidats : Amin Maalouf (membre depuis 2011), et Jean-Christophe Rufin (depuis 2008). Le Monde évoque "un duel fratricide". France 3 Champagne-Ardenne est allée demander à l'académicien Daniel Rondeau (journaliste, auteur, diplomate né près d'Épernay (Marne)) ce qu'il en était.

Le romancier Amin Maalouf a remporté cette élection, annonce France Info, qui expliquent dans une vidéo publiée sur Twitter (renommé X par le fantasque Elon Musk) comment il a été élu (ci dessous, l'annonce de l'élection par l'Institut de France, accueillant l'Académie française).

Une charge honorifique et permanente

"C'est la plus vieille institution française", assure l'écrivain. "Elle rassemble 40 membres élus, qui s'appellent les Académiciens. Dont la mission principale est l'immortalité de la langue française." Avec le temps, cette immortalité a glissé vers ces gardiens de la langue de Molière. "C'est l'immortalité de cette langue qui nous donne le statut d'Immortels."

"Cette charge est permanente. Chacun peut intervenir s'il estime la langue française menacée, ou victime d'une anomalie qui ne devrait pas exister. Chacun doit intervenir, avec ses propres ouvrages, pour défendre la langue. Le travail régulier à l'Académie, c'est aussi la rédaction du Dictionnaire." Paru pour la première fois en 1694, ce mastodonte en est à sa neuvième édition. La dixième est en cours de rédaction depuis 1990, soit quasiment un tiers de siècle... laquelle sera bientôt achevée. On peut le consulter en ligne

"L'Académie française a traversé beaucoup de tempêtes." Jusqu'à notre époque contemporaine pleine d'anglicismes. "Les tempêtes que l'on affronte aujourd'hui, ce sont celles de la mondialisation, d'une langue venant de l'anglais, qui est le globish. Un mauvais anglais qui nous menace tous, parfois parlé dans nos institutions ou nos universités. Il est rentré dans le langage courant, et nous essayons de le contrer."

Il faut résister au rouleau-compresseur de la globalisation qui veut tout aplatir, y compris la langue.

Daniel Rondeau, académicien

"Dans le monde entier, l'Académie française reste un pôle magnétique pour tous ceux qui aiment notre langue, littérature, et histoire. C'est un concentré de l'âme française. Pour moi, cette âme, c'est notre oxygène pour le futur. Il faut résister au rouleau-compresseur de la globalisation qui veut tout aplatir, y compris la langue. Le rôle de l'Académie est donc essentiel. On n'est peut-être pas toujours à la hauteur, on n'est pas parfait. Mais on fait le maximum." 

Maurice Druon, l'illustre auteur des Rois maudits, est le prédécesseur d'Hélène Carrère d'Encausse à la tête de l'institution (elle est devenue secrétaire perpétuelle en 1999). Il s'était opposé à la féminisation des titres et professions en français. Moins de 20 ans plus tard, en 2014 puis en 2019, "la féminisation des titres a été acceptée par l'Académie. La position de notre perpétuel, Hélène Carrère d'Encausse, était de dire que c'était à chacun de décider." 

Un secrétaire perpétuel protecteur de la langue

Issue d'une famille noble géorgienne chassée de l'empire russe par la révolution bolchevique, Hélène Carrère d'Encausse était surnommée "quotidiennement, et très affectueusement, la tsarine". Amoureuse et protectrice de la langue française, qu'elle a appris à l'âge de 4 ans alors que sa famille (les Zourabichvili) autrefois riche et puissante, l'illustre secrétaire perpétuel "peut faire des interventions s'il pense que notre langue est menacée, sur notre territoire, par une institution"

"Hélène Carrère d'Encausse a choisi la France. Elle s'est toujours battue pour son nouveau pays, et c'était un secrétaire perpétuel absolument extraordinaire. Une sorte de soleil sur l'Académie." Mais ce soleil s'est couché. Et son successeur, qui est élu ce jeudi, devra lui aussi savoir briller avec autant d'éclat. "Il y a un vote à 15h. Il sera élu à bulletins secrets, sur papier, à la majorité absolue."

"C'est une grosse responsabilité. Le perpétuel dirige notre compagnie, il fait fonctionner l'institution. Il faut qu'il la fasse naviguer dans des eaux compliquées, aujourd'hui. Il faut qu'il la fasse rayonner face aux armes du futur. Il doit en favoriser la cohésion : avoir 40 Immortels, c'est devoir gérer 40 egos... Il doit être notre boussole. Exactement ce qu'était Hélène Carrère d'Encausse."

"Le perpétuel a un devoir de représentation très important. Il préside aux réunions du dictionnaire. Il veille à l'immortalité de la langue. Il gère aussi toute cette mission de distribution de prix littéraires, qui est énorme : notre riche panoplie inclut l'histoire, la poésie, le cinéma. Toute la culture française est concernée. C'est une grosse machine à faire tourner."  

Un discours avant le vote

Être élu secrétaire perpétuel de l'Académie française, ce n'est pas concourir à une élection présidentielle. Le seul discours qu'il y aura avant le vote, "c'est le discours d'hommage à Hélène Carrère d'Encausse. Quand on est élu à l'Académie, on est présenté à la compagnie, et elle se lève. Je me souviens de mon cas [élection en 2019, réception en 2021; ndlr]. Hélène Carrère d'Encausse m'a dit : 'Monsieur, vous avez remarqué que tous vos confrères se sont levés. La prochaine fois qu'ils se lèveront pour vous, ce sera le jour de votre mort.'"

Monsieur, vous avez remarqué que tous vos confrères se sont levés. La prochaine fois qu'ils se lèveront pour vous, ce sera le jour de votre mort.

Hélène Carrère d'Encausse, 31e secrétaire perpétuel de l'Académie française

"Nous allons donc nous lever cet après-midi. Le directeur en exercice va prononcer de discours, et après, nous passerons directement au vote. Il n'y a pas de programme électoral. La compagnie connaît ses membres - nous ne sommes que 40 - et chacun votera en son âme et conscience." Une élection "paisible", en somme. "C'est une journée particulière, naturellement, singulière, très forte... mais ce n'est pas Règlements de comptes à O.K. Corral."

Le port de l'habit (la fameuse tenue verte à galons) n'est pas prévu en séance ordinaire. "La prochaine grande étape, pour nous, ce sera [mardi 03 octobre], aux Invalides, lors de l'hommage de la Nation par le président Macron à Hélène Carrère d'Encausse. Là, nous serons en habit. Avec notre nouveau perpétuel."

Objectif prioritaire : finir le Dictionnaire

Et ensuite, les affaires courantes suivront... leur cours. "On va se fixer de nouveaux objectifs. On va achever le Dictionnaire : nous sommes à la lettre Z. Malheureusement, Hélène Carrère d'Encausse s'est éteinte avant : c'était un de ses objectifs, absolument l'achever. Elle n'en aura pas vu la fin; on va finir sans elle. On est à la fin, il nous faudra quelques semaines." 

"Ça prend du temps parce qu'on discute chaque article. Très attentivement, c'est préparé avant chaque séance par une commission, puis on discute, et on rédige. Il faut qu'on puisse voir si tout est conforme. C'est un travail lent et minutieux."

Cet ouvrage diffère du Robert ou du Larousse. "Ils sont beaucoup plus réactifs. Ils intègrent des mots beaucoup plus facilement. Et leurs mots peuvent disparaître. C'est un dictionnaire de français d'actualité. Tandis que le nôtre est un dictionnaire de français d'usage, qui est plus large, qui va plus en profondeur, et qui tient le coup un peu plus longtemps : ce n'est pas un instrument commercial. Ce temps long a une utilité."

Il faudra ensuite élire de nouveaux Immortels, car la totalité des 40 sièges n'est pas remplie pour le moment. Cinq sont vides depuis la mort de leur titulaire (comme Valéry Giscard d'Estaing en 2020)... y compris celui d'Hélène Carrère d'Encausse. 

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