Joël Demolin, vit à Longueval-Barbonval, près de Fismes dans la Marne. Il pèse plus de 200 kilos. Il est dans la catégorie « obésité morbide sévère ». Pour améliorer son quotidien, il souhaite avoir recours à une opération chirurgicale. Mais la sécurité sociale refuse de rembourser l'opération.
Lorsque Joël monte sur sa balance, les chiffres s’emballent et l’écran finit toujours par se figer sur ce message : « erreur». Car la balance de Joël ne monte que jusqu’à 200 kilos. Un poids que cet homme de cinquante-huit ans, vivant à quelques minutes de Fismes, dans la Marne, a dépassé depuis déjà bien longtemps. « Mon nombril ? Je ne sais même pas où il se trouve, impossible de voir quoique ce soit là-dessous ! », plaisante-t-il en tenant d’une main ferme son ventre, qui descend sur ses cuisses.
Il détaille son quotidien dans cette vidéo :
"C’est laborieux, je peux plus rien faire de moi-même rien qu’en toilette, le ménage, c’est très compliqué. Je ne peux pas conduire non plus c’est très compliqué. J’ai beaucoup de mal à passer entre le volant et le siège. Je ne fais que de tous petits trajets, 10 km maxi, après ça c’est compliqué. Rester assis sur une chaise c’est compliqué, dormir dans mon lit c’est compliqué. Je ne dors pas longtemps, deux heures, et après je dors assis sur mon canapé".
Joël n’a pas choisi son corps et dit avoir toujours été gros. Puis les années passant, les épreuves de la vie, notamment une rupture difficile, se sont accumulées. Avec les excès, le corps de Joël a comme disparu, englouti par le gras et par cet œdème de 30 kilos sur son ventre. « Vous allez voir comment je suis musclé ! », dit-il pour tourner en ridicule ce corps qui lui pourrit la vie chaque jour.
« J’ai acheté un cutter pour m’ouvrir le ventre moi-même »
Il y a quatre ans, après une embolie pulmonaire, Joël a décidé d’affronter le problème et d’avoir recours à la chirurgie bariatrique (ou chirurgie de l’obésité) pour perdre du poids. Mais selon les médecins, impossible d’opérer sans s’occuper d’abord de l’énorme œdème sur son ventre. Sans ça, trop compliqué, pas assez de visibilité pour opérer, et donc trop dangereux.Pour retirer cet œdème, Joël a rencontré un médecin plasticien, un psychologue, un anesthésiste, il a fait des examens sanguins… Tout semblait bien parti et il ne manquait plus qu’une chose : l’autorisation de la sécurité sociale pour rembourser une opération coûtant au minimum 10.000 euros. Et là, surprise : un refus catégorique.
Dans le courrier adressé à Joël, daté du 28 août 2017 et dont nous avons eu copie, la sécurité sociale s’expliquait ainsi : « Malheureusement, cet acte ne peut pas être pris en charge par l’assurance maladie, car le patient ne présente pas tous les critères nécessaires et indispensables à la prise en charge de cet acte. En particulier, il n’y a ni notion d’amaigrissement, ni notion de chirurgie bariatrique, puisque celle-ci est simplement prévue en théorie après la dermolipectomie (Ndlr : opération pour retirer l'excédent de peau et de tissu cellulo-graisseux du bas de l'abdomen). »
En clair, Joël ne peut pas prévoir une opération de chirurgie bariatrique sans retirer son œdème, et il ne peut pas retirer son œdème sans prévoir une opération de chirurgie bariatrique. Une impasse douloureuse : lorsque le couperet est tombé, Joël s’est effondré.
"Je pleurais tout ce que j’avais. Quand je suis rentré dans le taxi, on pouvait entendre les mouches voler tellement le silence régnait".
Puis je suis rentré chez moi et là j’ai fait n’importe quoi, j’ai même acheté un cutter pour m’ouvrir le ventre moi-même. Après tout, c’est un œdème, ce n’est que de l’eau, c’est indolore.
- Joël, habitant à Fismes
Ce cutter, Joël l’a gardé dans un tiroir de sa cuisine. Au cas-où. Après sa première tentative auprès des hôpitaux, il a tenté dans le privé. Deuxième refus, il y a quelques semaines. Dans cette vidéo, il parle de son état d’esprit après ces deux refus :
"Je suis en colère car je ne comprends pas pourquoi mon opération est refusée, parce que c’est vital pour ma vie. Il y a des opérations, par exemple une femme qui a une grosse poitrine et qui veut la diminuer parce qu’elle a des problèmes de dos et tout ça, ça passe les doigts dans le nez. Je dis pas que c’est pas vital, mais moi c’est pire".
Un refus coûteux
Depuis deux ans, deux infirmières se relaient chaque matin chez Joël pour lui permettre notamment de se laver. C’est près de 1.000 euros par mois pris en charge par la sécurité sociale, en plus du lit médicalisé, des rendez-vous médicaux et des trajets en ambulance ou taxi par exemple. « Ça leur coûte un bras, c’est démentiel ! Ça leur coûte plus cher que de m’opérer ! », se désole Joël. Une colère partagée par Adeline Morel, son infirmière du jour : « Psychologiquement, pour lui, c’est dur. Et physiquement aussi bien sûr. C’est vraiment une injustice. »Joël désespère, dit qu’il meurt à petit feu. Il s’est renseigné sur les opérations à l’étranger : trop coûteuses en cas de complications. Il a regardé du côté de la justice : trop coûteuse aussi, et trop effrayante pour cet homme qui dit pêcher par "manque de courage".
Alors Joël ne fait rien. Il ne voit presque personne et regarde le temps passer derrière un écran de télévision. La routine depuis quatre ans et le début de son arrêt maladie, après son embolie pulmonaire. Il attend la réponse à la nouvelle contestation qu’il vient d’adresser à la sécurité sociale fin octobre 2019. Et si rien ne change, il a un œil toujours rivé sur le tiroir de sa cuisine.
En Champagne-Ardenne en 2012, 20,9% de la population étaient en situation d'obésité selon les chiffres d'un cabinet spécialisé. La 2e ancienne région de France la plus touchée dans cette situation.
Mise à jour : depuis la publication de l'article, une cagnotte a été lancée pour aider Joël à financer son opération.