De la Marne à Henri IV et Normal Sup… entretien avec Thibaut Poirot, professeur d'histoire agrégé et engagé

Thibaut Poirot a accepté de nous recevoir dans son appartement sparnacien. Il s'apprête à vivre sa cinquième rentrée au lycée Stéphane Hessel, où il s'est donné pour mission de "pirater le système", ou accompagner au mieux des enfants de classes populaires dans les études supérieures.

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"Je ne peux pas changer les codes, alors je fais en sorte de pirater le système." Ce vendredi 28 août, le vent s'est levé sur Epernay. Les nuages défilent et mettent fin aux températures estivales de la semaine passée. Dans le bureau de Thibault Poirot, professeur agrégé d'histoire, sous les posters parfaitement disposés sur un mur blanc, une sacoche en cuir brun attend sagement. "Mon sac est prêt pour la rentrée", dit-il dans un élan de fierté, comme un gamin impatient de retrouver ses copains.

A un peu plus de 30 ans, Thibaut Poirot se vieillit volontairement. Veste en tweed, chemise bleue fermée jusqu'au dernier bouton. Il a noué la cravate de son grand-père près du cou. Le Marnais admet volontiers jouer un personnage, tout comme il le faisait lors de ses deux années de classe préparatoire au lycée Henri IV, dans le très cossu Ve arrondissement parisien. Dans un article du Monde, l'enseignant retrace son parcours : celui d'un enfant de la classe moyenne qui débarque dans un monde inconnu. Il découvre alors les hautes sphères universitaires et intellectuelles, où dire qu'on a lu Albert Camus est perçu comme une banalité. Où parler anglais avec un accent français trahit "des origines populaires". Avec un père ambulancier et une mère infirmière, Thibaut Poirot n'a manqué de rien mais a dû se poser les bonnes questions : comment étudier sans être un poids financier pour sa famille? Que ce soit en "prépa", à l'ENS (Ecole normale supérieure) ou plus tard en tant qu'enseignant, le passionné de Napoléon revient sur ces rentrées qui lui ont fait prendre conscience de la nécessité de maîtriser les bons codes pour réussir. Entretien.

 
Après la lecture de votre article paru dans le Monde, on comprend que votre parcours doit beaucoup à des rencontres… notamment celle de Philippe Comby, un de vos professeurs, passé par Henri IV avant vous.
Je me souviens de cette rentrée. Nous arrivions en terminale, dans une classe qui avait totalement changé par rapport à l'année précédente. On n'était pas très content avec ma meilleure amie du lycée, car on ne connaissait pas grand monde. On attend notre professeur principal. Philippe Comby arrive. Pour vous le décrire, au lycée Pierre Bayen de Châlons-en-Champagne, il était comme les professeurs du XIXe siècle. Il avait ses favoris, un look complètement… c'était le prof. Quand vous voyiez ce grand monsieur d'un mètre quatre-vingt-dix traverser la cour, vous saviez que c'était votre professeur principal. Puis la rentrée a commencé et il nous a expliqué comment allait se passer la terminale. Il parlait un langage extrêmement simple. Il a commencé par dire "je sais ce qu'on vous a dit sur la philosophie, qu'en gros c'est une matière de cinglé. Je vais vous prouver le contraire". Il avait une approche de cour que j'admire toujours aujourd'hui.

On allait se voir sept heures par semaine. Ce premier jour, il a dit "on va faire tous un tour de table et se présenter". On a ouvert grand les yeux. Il a commencé le tour de table, pas du tout dans l'ordre alphabétique. Il nous appellait uniquement par nos noms de famille : Poirot, Leroy… et à la fin, il posait une question piège à chacun. Si vous étiez un animal, vous seriez quoi? Un caillou, vous auriez quelle forme? Puis arrive la question, devant tout le monde, et je pense que cela peut en mettre mal à l'aise plus d'un, mais c'est une très bonne question : "Vous voulez faire quoi après le bac?" Je suis arrivé en disant "je veux faire une classe préparatoire au lycée Jean-Jaurès à Reims". Une semaine plus tard, il est venu me voir et m'a dit : "Tu pourrais aussi tenter Henri IV et d'autres prépas comme celles de Lille ou Nancy et voir si cela va marcher."
 
Qu'est-ce que vous a dit ce professeur pour vous convaincre de poursuivre dans cette voie?
Plus tard, mon père m'a avoué : "Sur le moment on s'est dit mais qui est ce prof? Il est un peu fou. Il envoie notre fils vers un truc qui n'est pas fait pour nous." Sauf que le grand génie de mon père, et je l'en remercie encore après toutes ces années, c'est de ne m'avoir, à aucun moment, montré le moindre doute. Cela parait très simple : on vous dit simplement, faites un dossier pour tel endroit car vous pouvez y prétendre. Vous avez l'impression que c'est juste, que cela va être facile, alors vous le faites. Comby me dit par ailleurs qu'Henri IV est un très beau bahut, qu'il faut que j'aille à la journée portes ouvertes pour voir comment c'est. C'est très simple quand il me l'explique. "Il y a cette possibilité, ça se tente."
 

Le fait que lui-même soit passé par cette prépa, qu'il y ait lui-même été agrégé, je me suis dit que "c'était possible. Que s'il était là, c'est que des gens étaient vraiment entrés à Henri IV"... l'un des meilleurs lycées de France. Et puis, quand j'ai eu Philippe Comby en tant que professeur, il avait une quarantaine d'années. C'était encore un jeune enseignant. Quand il arrive en me disant qu'Henri IV c'est bien, il me raconte ses deux années, qu'il a lu beaucoup de livres… c'était très concret et ça m'a plu.

Quel est le plus gros décalage que vous ayez ressenti lors de cette rentrée?
Cela s'est fait progressivement. Quand on s'est connus les uns les autres et qu'on a parlé de ce que faisaient nos parents. J'étais assis à côté de la fille d'un patron de grand groupe du CAC40, même si cela ne se voyait pas forcément. Il y avait également la fille du sociologue Pierre Merle. Certains élèves venaient de familles dont les parents étaient soit de très grands universitaires, soit des médecins… Ce n'était pas un rapport de jalousie, car des enfants de médecin, il y en a aussi à Châlons. Mais dans ce contexte là, il y avait tout le spectre social, y compris jusqu'au plus haut. C'est cela qui déroute. Parce qu'en fait, même l'enfant de médecin dans un lycée de province, le fils de prof, le fils d'ambulancier… ils ont l'impression d'appartenir à la même classe sociale, car ils vivent à peu près dans les mêmes maisons. 

Est-ce que vous avez ressenti un décalage avec vos parents? Vous l'ont-ils fait remarquer?
Je pense que c'est l'inverse. Je pense que j'ai pu blesser ma frangine. Comme j'étais en classe préparatoire, je ne jurais que par cela. C'était forcément ce qu'il y avait de mieux et il ne fallait rien faire d'autre. Ma frangine étudiait en licence puis en Master, et je pense que j'étais un petit con. Le décalage, c'est moi qui le créais. Il m'est arrivé de dire à ma mère, parce que j'étais en classe préparatoire littéraire, que Marc Lévy, c'était pas vraiment de la littérature. Avec le recul, je me dis que c'était vraiment pas terrible de dire ça à sa propre mère.

A un moment, quand on n'a pas les codes, on est plus royalistes que le roi. On veut faire le plus littéraire, celui qui sait le plus. Je pense que c'est moi qui ai créé ce décalage. Mes parents ne m'ont jamais dit que je m'embourgeoisais, que mon comportement n'allait pas. En revanche, ma grand-mère, avec un de mes cousins qui vit dans un village de Haute-Marne, m'ont répété durant toutes ces années "n'oublie pas d'où tu viens". Et c'était une bonne phrase.

Vous n'avez pas à effacer ce que vous êtes pour devenir quelqu'un d'autre. Vous essayez de ne pas montrer que vous n'allez pas au cinéma voir le dernier Rohmer et que vous n'avez pas lu tout Marcel Proust. En fait, il y a un moment où vous faites un peu semblant, surtout quand vous êtes avec des gens qui ne sont pas du même milieu. Mais à un moment, vous redescendez parce que ça ne sert rien.

Quel a été le meilleur conseil que vous ait donné Philippe Comby avant votre rentrée?
"Ne dis rien et écoute. Comprends d'où viennent les gens, essaie de voir, parle peu, écoute." Comme une immersion. Il m'a dit : "Tu vas voir, ils vont parler de choses qui sont différentes. Une partie d'entre eux vont aborder des sujets dont tu n'as pas entendu parler." Par exemple à Henri IV, on parle de politique à table. On parle de films d'auteurs, d'économie, d'idéologie, on oppose de grandes catégories… Grandes catégories qu'on est en train d'apprendre par ailleurs. Tout le monde fait semblant de maîtriser le libéralisme, le communisme... alors qu'en fait personne ne sait rien. On joue, et c'est vraiment un jeu, les intellectuels. Les premiers jours à Henri IV, tout le monde rentre dans le moule et fait l'intellectuel. En fait, Comby avait su me dire : tu vas voir que chacun se positionne, alors prends son rôle, écoute et prends le tien.
 

Vous êtes désormais professeur d'histoire-géographie au lycée Stéphane Hessel, notamment en tant que professeur principal. Comment les orientez-vous ?
La définition de l'orientation, c'est que c'est une affaire de choix. Je le dis d'autant plus à mes élèves. Que votre combat soit un BTS ou autre, dans tous les domaines, les études supérieures sont concurrentielles. Les BTS aussi. Il y en a qui sont très difficiles d'accès pour nos élèves. Je leur dis qu'il va falloir se battre. Parce que c'est notre rôle en tant que professeur de terminale, de dire qu'il y a 40% d'échec en première année de supérieur, voire plus dans certaines filières.

Je leurs dis que ce sera très difficile. Parce qu'il n'y aura pas de professeurs avec eux, qu'ils seront parfois 300 dans un amphi. En BTS ça peut être parfois très technique et très pointu et le job, c'est de leur dire "ça va être dur" et de démystifier le fait que ça va être une promenade de santé. Ça peut être un peu violent, mais c'est notre rôle.

La deuxième chose qui me semble essentielle, et c'est un peu nouveau par rapport à mon époque, il faut éviter que nos élèves se fassent arnaquer.

C'est-à-dire?
Aujourd'hui, il se trouve qu'on est de plus en plus confrontés à un problème. On emmène nos élèves dans des salons d'orientation, où de grandes écoles privées leur disent qu'elles prennent n'importe quel dossier. Ça coûte 10.000 euros par an. Certains parents viennent nous voir en nous disant qu'ils sont prêts à payer le prix fort si le gamin a un diplôme. En tant que professeur faisant partie d'un service public, vous êtes tenus de leur expliquer qu'ils font une bêtise. Je les préviens : "Vous allez inscrire votre enfant dans une école privée qui n'en veut qu'à votre argent." Je suis très très vigilant par rapport à ça, d'autant plus quand j'étais professeur principal de terminale. Je les conseille car ils peuvent avoir la même chose pour 250 euros par an dans un lycée public, sauf que ça ne s'appelle pas Bachelor mais BTS. C'est très difficile d'expliquer à des parents que la valeur des diplômes n'est pas dans l'argent. Ce sont souvent des gens pour qui 1.000 ou 10.000 euros représentent beaucoup, mais qui sont prêts à tout.

C'est rentrer dans la vie des familles de leur dire qu'en fait, ils ne font pas le bon investissement, qu'ils vont choisir de payer 10.000 euros une école qui n'en vaut pas la peine. Plus ils sont fragiles économiquement, plus les parents sont prêts à tout car ils veulent que leurs enfants grimpent. Ils sont prêts à tous les sacrifices pour leurs enfants. On ne peut pas leur reprocher. Ce sont de très bons parents. C'est paradoxal de voir que ce sont souvent des enfants de familles où un sou est un sou, et où ils veulent le meilleur et sont prêts à mettre 10.000 euros pour les études.

Quinze ans sont passés depuis votre "prépa" à Henri IV. Est-ce que vous pensez qu'aujourd'hui, vous auriez pu y accéder de la même manière?
Aujourd'hui, avec le même dossier, je n'aurais pas été accepté à Henri IV. J'en suis persuadé. Parce que les écarts entre les prépas se sont considérablement agrandis, polarisés sur quelques grands lycées. En plus de cela, le recours à Internet est tel qu'il a créé des effets de concurrence encore plus forts.

En discutant avec des collègues qui enseignent à Henri IV, j'ai appris qu'ils recrutent à 17 voire 18 de moyenne. Je dois bien dire que je n'avais pas 17 ou 18 de moyenne en passant mon bac. J'avais un petit 15 de bon élève et aujourd'hui, ça n'aurait pas suffi.
 
Est-ce que cela veut dire qu'il y a moins de mixité sociale dans ce genre de prépa?
Non, parce que ce genre de classes préparatoires veillent à recruter des élèves boursiers. Mais la logique d'algorithme et de Parcoursup font qu'il y a des phénomènes de mise en concurrence des milieux sociaux.
 
Est-ce que cela signifie qu'un élève issu de la classe moyenne a moins de chances de s'en sortir aujourd'hui?
Oui, car il y a un phénomène de captation, qui fait que les grandes prépas parisiennes deviennent au fur et à mesure des années trop difficiles d'accès pour certains provinciaux. Je ne dis pas forcément que cela se ferme, mais que c'est plus dur et qu'à milieu social égal, il faut de meilleures notes que je n'en avais à l'époque. Désormais, les très bons élèves sont dans une stratégie d'évitement de l'université. Il y a une captation des classes prépa par les très bons élèves.

Les très très bons, quelque soit leur niveau social, ont tendance à être bien installés sur Paris. On a le plus grand mal à placer de bons élèves, à 15 ou 16 de moyenne, dans les grandes universités parisiennes, ou les doubles licences sélectives.

Parce que ce sont devenues des notes plus "moyennes"?
Oui, parce que les écarts font que toutes les filières sélectives sont des filières où le dossier scolaire va avoir un poids de plus en plus hors norme. Aujourd'hui, la logique de Parcoursup est une logique de dossier scolaire. Cependant, il faut des codes pour savoir écrire une lettre de motivation, constituer un dossier, mettre en valeur ce qu'on fait en dehors de son lycée, ou encore remplir la présentation de soi pour rentrer à Sciences Po… les élèves qui étudient dans mon lycée ou dans des établissements similaires partent avec trois longueurs de retard. Face à eux, certains lycéens de centre-ville ont déjà monté une webradio, sont déjà des journalistes en herbe et vous expliquent qu'ils vont passer trois ans à Sciences Po et qu'ensuite ils vont rentrer au Centre de formation des journalistes de Paris. Les gamins ont 17 ans. C'est ça qui est scandaleux : aujourd'hui, la logique du système fait que de plus en plus, on va valoriser nos élèves en dehors de leur parcours scolaire.

Ce qui est d'autant plus discriminant?
Oui ! Et j'aurais beau essayer de me battre avec toutes les armes que je peux avoir... je ne peux pas inventer une vie à mes élèves. Un élève qui vient d'un quartier populaire de la Marne, on ne peut pas lui demander de faire de l'associatif à temps plein, d'être volontaire à la Croix-Rouge, d'y consacrer trois jours par semaine, parce qu'ils doivent garder les petits frères et petites sœurs les mercredis après-midis. Et ça, ça me dépasse de plus en plus. Je dirais même que cela commence à me révolter, l'idée qu'on est un simple algorythme, qu'il faut cocher les bonnes cases et qu'en plus, il faut disposer de moyens de valorisation autres. Tous les élèves n'ont pas accès à ces moyens de valorisation.

Il y a toujours eu des critères de sélection hors scolaire, les études le montrent depuis les années 1950. Mais c'est le poids et la part de cette distinction dans le recrutement qui m'inquiète. Des codes implicites, on peut toujours en donner à des élèves. "Lis ça", "regarde ce film", c'est d'ailleurs ce qu'a fait Philippe Comby avec moi. Il m'avait conseillé les choses suivantes : "Un livre d'histoire ou de géographie, cela commence toujours par l'index et t'es pas obligé de tout lire. Lire un livre, c'est parfois lire l'intro, prendre un chapitre, la conclusion et ce qui a au milieu ce n'est pas utile."

Plus la part du distinctif, du "j'ai fait un séjour linguistique dans tel ou tel pays" sera importante, plus ce sera difficile pour nos élèves. La dernière chose qui nous reste, et je le vois à Epernay comme à Châlons-en-Champagne, ce sont les sections nationales et binationales. Les bacs franco-espagnols, franco-allemands, franco-anglais, qui donnent l'équivalence du bac dans l'autre pays (contrairement aux classes européennes, ndlr). Ce sont des sections internationales ou binationales, où les élèves vont avoir des cours d'histoire et de géographie uniquement en espagnol, allemand ou anglais, avec des cours de langue intensifs. Ce sont les sections qui vont permettre aux élèves d'origine modestes de se distinguer. Cela leur apporte des bases de culture espagnole, anglaise, allemande, qui leur permet d'accéder aux prépas et à Sciences Po.

Cela veut dire qu'il faut l'anticiper dès le collège?
C'est la grande nouveauté : l'anticipation sur l'accès au lycée et aux études supérieures peut se jouer parfois dès la cinquième. Vous allez accéder à du latin, une classe bilingue. Déjà en cinquième, cela peut dérouler la pelote de laine dans un sens ou dans un autre. C'est notre manière de leur offrir un moyen de se distinguer, sans que cela ne vienne de leur milieu social.

Vous disiez qu'aider vos élèves, c'était aussi parler argent, rentrer dans l'intimité des familles. Cela signifie-t-il que les aiguiller, c'est rentrer dans des problématiques très concrètes?
C'est tout à fait ça. Avec mes collègues, on est tous très attentifs aux simulations de bourses. Il faut rappeler aux familles qu'il faut faire un dossier social étudiant au mois de mai, avec des familles qui pour certaines me disent qu'elles n'auront droit à rien. Je leur répète, "mais faites-le quand même !".

Je leur dis de viser des villes où on sait que c'est accessible. Il y a des élèves qui ne peuvent pas avoir de logement. Donc on les oriente vers Reims. Il faut trouver la bonne filière à Reims, ou il faut aller à Troyes. Il y a des élèves qui pourront se payer un logement mais pour lesquels c'est le transport ou la mobilité qui seront un problème. Dans ce cas, vous regardez la carte des trains. C'est aussi bête que cela.

Je leur dis toujours : parlez-en avec vos parents. Ce n'est pas tabou. L'argent, malheureusement, est le facteur déterminant tant qu'on n'aura pas instauré un revenu universel qui permettrait aux étudiants de ne pas être une charge pour leur famille et d'avoir les mêmes chances, ou un autre système qui reste à inventer. Malheureusement, je pense que je leur en parlerai jusqu'à la fin de ma carrière. Il faut les accompagner pour trouver la parade. Pour cela, on s'adapte, on suit le Crous attentivement, je les préviens que s'ils doivent absolument travailler pour financer leurs études, il vaut mieux chercher dans tel secteur plutôt que dans tel autre. Je les mets en garde : un job étudiant c'est souvent très prenant, très fatigant et souvent la double-peine. Je peux d'autant plus le dire que j'ai parcouru ce chemin, en enseignant à l'université et ensuite dans le secondaire. En moyenne, 40% d'échecs à l'université concernaient les étudiants salariés. C'est terrible à dire. 

Il ne faut pas désespérer les gens en leur disant "si vous travaillez vous échouerez". Il faut leur dire que ce sera possible, mais deux fois plus fatigant. Il faut leur donner tous les paramètres : ça va être compliqué car si l'étudiant travaille, il risque de mauvais résultats dans certaines matières car il ne pourra pas aller à tous les cours. C'est leur donner pleine conscience du risque pour l'intégrer dans leur calcul. C'est beaucoup plus que laisser le choix, il faut leur apprendre à calculer. Parfois sur un an, deux ans ou trois ans. Vous devez financer vos études? Ok, job étudiant. On va éviter les 20 heures dans un fast-food, car ça va être fatigant et difficile. On va regarder ailleurs. Est-ce qu'on peut pas plutôt travailler comme assistant d'éducation dans un lycée? Ça fera peut-être moins d'heures, mais ce sera plus valorisant pour vous.

Quels conseils de "comportement" ou d'attitude à adopter donnez-vous à vos élèves?
J'ai toujours une formule. Le côté pessimiste chez nos élèves est quand même extrêmement… pfiouuuu, "on ne va pas y arriver", "ça va être insurmontable"… je leur dis : "Arrêtez de faire les ouinouins, il faut y aller maintenant." Quand ils me répondent "ouais mais c'est dur", je leur réponds "oui mais ça l'est pour tout le monde".

Le second conseil, que je répète tous les ans aux bacheliers, c'est "soyez ambitieux". Vous prendrez des chemins qui seront compliqués et l'ambition n'est pas quelque chose de mal placé. Être ambitieux, c'est l'être pour soi, mais surtout, c'est l'être pour sa famille. Leurs parents n'attendent que ça. Bizarrement, ils arrivent plus facilement à être ambitieux pour les autres que pour eux-mêmes. C'est sur ce petit truc qu'on les arnaque, en leur disant que leurs parents seront fiers.

Souvent, on doit se joindre à leurs parents pour leur marteler que ce n'est pas parce qu'on vient d'un milieu populaire qu'on ne va pas leur payer des études.
 
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