Lundi 29 avril, l'entreprise française Jimmy a déposé la première demande d'autorisation pour un mini-réacteur nucléaire. Si le projet est validé, celui-ci pourrait être installé sur le site de Cristal Union, à Bazancourt dans la Marne.
C'est une première en France. La jeune entreprise Jimmy a déposé lundi 29 avril une demande d'autorisation pour un mini-réacteur nucléaire, une étape qui lance un processus d'instruction par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Si le dossier franchit toutes les étapes d'instruction et d'autorisation, le mini-réacteur d'une puissance de 10 mégawatts (MW) pourrait être directement branché sur le complexe industriel du groupe sucrier Cristal Union/Cristanol de Bazancourt (Marne), qui produit de l'alcool et du bioéthanol. À titre de comparaison, les deux réacteurs à eau pressurisée de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine, exploitée par EDF dans l'Aube, ont chacun une puissance de 1 300 MW.
Ce réacteur est une sorte de chaudière à combustible nucléaire dont l'objectif est de "fournir de la chaleur décarbonée" (vapeur) à l'industrie "en remplaçant les brûleurs à gaz", qui rejettent des gaz à effet de serre dans l'atmosphère, a expliqué dans un communiqué la société créée en 2020. "Les générateurs conçus par Jimmy, d'une durée de vie de vingt ans, s'inscrivent dans un mix énergétique complémentaire aux réacteurs nucléaires de grande et moyenne puissance et aux sources d'énergie renouvelables" qui fournissent aujourd'hui de l'électricité décarbonée, a-t-elle ajouté.
On propose un générateur qui s'adapte sur n'importe quel site industriel qui consomme de la vapeur pour en faire une source de chaleur, moins chère que le gaz et décarbonée.
Antoine Guyot, cofondateur de Jimmy Energyà l'AFP
Implantée à Paris et au Creusot, l'entreprise, créée par ce polytechnicien avec une diplômée d'HEC, a reçu une subvention de l'État de 32 millions d'euros dans le cadre du plan France Relance 2030. Sa technologie, connue, est basée sur celle des réacteurs à haute température refroidis à l'hélium. "Notre principe a été de prendre de prendre toutes les technologies éprouvées dans des réacteurs industriellement viables et de les appliquer à petite échelle", souligne le cofondateur.
Ce projet est le premier à soumettre un "dossier de demande d'autorisation de création", parmi les dix projets de petits réacteurs modulaires (PRM, ou SMR en anglais) actuellement suivis par le gendarme du nucléaire en France, l'ASN, selon cette autorité.
"Si le projet est viable, il se fera à Bazancourt"
Début avril, le groupe Cristal Union indiquait, par la voix d'une porte-parole, qu'il avait donné son "accord à l'entreprise Jimmy Energy pour lancer une étude de faisabilité". "C'est ensuite un processus extrêmement long qui demande des enquêtes environnementales, une enquête publique, des choses extrêmement codifiées, précisait-elle. Et si l'étude montre que le projet est viable, il se fera à Bazancourt."
Le dossier de demande d’autorisation de création a été déposé lundi auprès du ministère de la Transition écologique, qui devra ensuite saisir l'ASN. Contacté par l'AFP, le ministère a confirmé la réception de cette demande. "L'Autorité de sûreté attend la saisine du ministère", a indiqué l'ASN, dont le travail d'instruction peut prendre au moins trois ans.
Plus petits, moins puissants que leurs grands frères du parc nucléaire historique (qui font 1 000 MW ou plus), et donc présentés par leurs promoteurs comme intrinsèquement plus sûrs, les SMR doivent pouvoir produire de l'électricité, mais aussi fournir de la chaleur aux industries (verre, chimie, acier...), aujourd'hui très dépendantes des énergies fossiles nocives pour le climat.
Le site de Cristal Union à Bazancourt dans la Marne est ainsi l'un des cinquante sites industriels les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Le groupe s'est engagé fin 2023 dans un contrat de transition écologique qui doit réduire ses émissions de moitié à horizon 2030 par rapport à 2015.
Quatre mini-réacteurs en activité dans le monde
L'ASN promet d'être "beaucoup plus exigeante" notamment en terme de sûreté vis-à-vis de ces nouveaux objets, destinés à être fabriqués en série et déployés en nombre pour être rentables économiquement. Demain, ils pourraient ainsi être installés dans des zones densément peuplées, soulevant de nouveaux enjeux, notamment d'acceptabilité par le public.
La phase d'instruction doit justement permettre "notamment, à l'ensemble des parties prenantes de se prononcer sur le projet, ainsi que l'ouverture d'une étude environnementale et d'une enquête publique", fait savoir Jimmy. À côté de Jimmy, d'autres projets visent fin 2026 pour leur demande, comme la chaudière de Calogena ou le SMR porté par une filiale d'EDF, Nuward.
Au total, plus de 80 projets sont recensés dans le monde, à maturités diverses mais pour l'heure, seuls la Russie (deux SMR embarqués sur une barge) et la Chine (deux unités également) ont annoncé en avoir mis en service, selon le rapport 2023 sur l'état de l'industrie nucléaire produit par des experts indépendants.
Jusqu'ici en France, l'ASN ne traitait qu'avec quatre opérateurs historiques : EDF, Orano (ex-Areva), Framatome et l'Andra, l'agence des déchets. Déjà confrontée à un surcroît d'activité liée à la prolongation du parc historique et à la construction de nouveaux réacteurs, elle doit désormais faire face à cette "vague" de start-up qui bousculent la filière.
Pour l'Autorité, les sujets ne seront pas seulement techniques, expliquait récemment à la presse Philippe Dupuy, chef de la mission réacteurs innovants à l'ASN : il faudra aussi évaluer leur capacité à devenir un "exploitant nucléaire", et donc leur "système de management", leurs "capacités financières" et leur "culture de sûreté".