Nucléaire : ce que l'on sait de l'installation éventuelle d'un réacteur dans la Marne

Une étude sur la construction d'un réacteur nucléaire à haute température de 20 mégawatts est en cours entre l'entreprise Cristal Union et la société Jimmy Energy. Une information communiquée par l'association Robin des Bois et confirmée par le groupe sucrier. Le site retenu, si l'étude est validée, sera Bazancourt. L'objectif premier de Cristal Union étant de décarboner ses sites de production et d'envisager toutes les technologies possibles pour le faire.

Le communiqué de l'association Robin des Bois n'est pas passé inaperçu. L'association de protection de l'homme et de l'environnement, c'est ainsi qu'elle se définit, alerte sur "sur la construction d'un réacteur nucléaire à haute température de 20 mégawatts thermiques dont l'utilité affichée sera de fournir une chaleur industrielle décarbonée". Elle précise aussi que "selon la direction de Jimmy Energy qui a été auditionnée, sera annoncé le 22 avril l'accord de principe avec une usine agroalimentaire dans la région du Grand Est".

Et si l'étude montre que le projet est viable, il se fera à Bazancourt. 

La porte-parole de la société Cristal Union

Jimmy Energy est une entreprise créée en 2020 dont la mission est de fournir de la chaleur industrielle décarbonée à bas coût. Sur son site internet, la société explique qu'elle "conçoit et exploite des générateurs thermiques pour fournir à ses clients de la chaleur décarbonée moins chère que celle obtenue avec des énergies fossiles. Les générateurs thermiques de Jimmy sont fondés sur des microréacteurs nucléaires à haute température (HTR) qui créent la chaleur désirée. Ces réacteurs sont bien connus, très chauds et très sûrs", précise encore l'entreprise.

Nucléaire. Une technologie nucléaire au sein d'une entreprise, déjà classée Sévéso, seuil haut, pour ses risques industriels, comme celle de Cristal Union à Bazancourt ... Une décarbonation qui pourrait, donc, être à haut risque. 

Décarboner, une priorité

Jointe par téléphone, la porte-parole de l'entreprise Cristal Union nous explique que : "rien ne sera annoncé le 22 avril comme le dit le communiqué de l'association Robin des Bois. Il n'y a pas de projet à ce jour mais une étude. Nous avons donné notre accord à l'entreprise Jimmy Energy pour lancer une étude de faisabilité. C'est ensuite un processus extrêmement long qui demande des enquêtes environnementales, une enquête publique, des choses extrêmement codifiées, précise encore la porte-parole de Cristal Union. Et si l'étude montre que le projet est viable, il se fera à Bazancourt". 

Ce qui nous a choqué, c'est que cinq maires avaient été informés de ce projet il y a quelques semaines. Il y a une opacité dans l'implantation de ce réacteur.

Jacky Bonnemains, directeur de l'association Robin des Bois

La porte-parole du groupe sucrier évoque l'ambition de sa société à "étudier toutes les pistes à notre portée pour décarboner nos activités. Mais dans ce genre de projet (celui du réacteur nucléaire), il faut que cela remplisse toutes les mesures de sûreté. Nous nous soumettrons aux contrôles de l'ASN, l'agence de sûreté nucléaire". Cristal Union souhaite donc réduire voire disparaître, à terme, l'utilisation du gaz dans ses installations et pour cela, la porte-parole explique que "l'objectif de Cristal Union est de continuer à décarboner grâce à la biomasse. Notre projet est notamment d'utiliser la pulpe des betteraves pour la transformer en énergie. Le site pilote serait Arcis-sur-Aube".

Cinq maires informés selon l'association

Le directeur de l'association Robin des Bois, Jacky Bonnemains, a participé à la réunion du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, le 28 mars dernier. "Lors de ce rassemblement, la société Jimmy Energie a parlé, sans dire toute la vérité, d'un prototype qui allait être installé dans le Grand Est et qui allait être annoncé officiellement le 22 avril".  Inquiet, il a décidé d'enquêter avec les membres de l'association, pour tenter d'en savoir plus. "On ne s'est pas laissés endormir et nous avons cherché toutes les usines Seveso, parce que j'avais réussi à leur faire dire que c'était une usine classée Seveso dans le Grand Est. Il y en a une centaine et nous avons réduit la maille pour arriver à Bazancourt. Ce qui nous a choqués, c'est que cinq maires avaient été informés de ce projet il y a quelques semaines. L'entreprise Jimmy l'a bien dit lors de cette réunion. Il y a une opacité dans l'implantation de ce réacteur. Nous pensons que les administrés et l'ensemble des conseils municipaux devraient être informés en temps réel avant la proclamation officielle de l'accord. Cristal Union dit que c'est une étude, on ne va pas jouer sur les mots". Jacky Bonnemains précise encore que "ce sont des pourparlers avec l'industriel qui durent depuis plusieurs mois. Ce n'est pas né comme cela en quelques semaines. Reste à savoir si les salariés ont été informés, mais aussi les voisins de ce complexe industriel. À mon avis, ils ne le sont pas encore, sauf grâce à notre révélation". 

Toutes les annonces que nous faisons aujourd'hui seront alors visibles et officielles. Il prouvera que nous ne racontons pas des sornettes.

Jacky Bonnemains, directeur de l'association Robin des Bois

Trois des maires des communes voisines de l'usine Cristal Union, Bazancourt, Boult-sur-Suippe et Pomacle, ont publié un communiqué commun attestant qu'ils "ont découvert hier soir, par un communiqué de presse de l’association Robin des Bois, que la société Cristal Union étudiait une solution industrielle proposée par la start-up Jimmy Energy qui souhaite développer en France des petits réacteurs nucléaires innovants". Ils ajoutent, qu'ils "n’étaient pas informés de l’existence de l’étude par Cristal Union de la solution de petit réacteur nucléaire, proposée par Jimmy Energy", (...) et "réfutent donc catégoriquement les propos du communiqué de presse les plaçant dans la confidence de cette étude industrielle". Ils réfléchissent même, disent-ils "à engager conjointement une procédure en justice pour propos diffamatoires contre l’association Robin des Bois". Dominique Leclere, Christian Thiebaux et Anne Desveronnieres "ont donc décidé de solliciter Cristal Union et le Préfet de la Marne afin d’obtenir toutes la transparence sur le sujet".

Les risques

"Jimmy a un discours extrêmement simplificateur voire simpliste, reprend Jacky Bonnemains de l'association Robin des Bois. Lors de la réunion du Haut Commissarait, devant les spécialistes du nucléaire que nous étions, une quarantaine, il a dit qu'il n'y avait pas de quoi s'inquiéter que ce n'était que des neutrons qui se baladent dans une marmite pleine d'eau pour produire de la chaleur. S'il a un discours aussi apaisant auprès de gens qui n'y connaissent rien au nucléaire, cela ne m'étonne pas que les maires aient été charmés, d'autant qu'ils profiteront d'une rente si ces installations fonctionnent". 

Suite au discours du président Macron à Belfort en 2022, les candidats à la "renaissance du nucléaire civil français" sont nombreux. Emmanuel Macron promettant un accompagnement et des subventions, "un milliard d’euros pour la recherche sur les énergies renouvelables" à ceux qui seraient les "promoteurs innovants de l'industrie nucléaire". 

"Ce qui nous inquiète, c'est la privatisation du nucléaire et la fragmentation des installations, reprend Jaky Bonnemains de l'association Robin des Bois, et la diversité des candidats à cette nouvelle génération de réacteurs. Le directeur de l'association Robin des Bois explique aussi que "le réacteur, de petite puissance, ce n'est pas un OPR, sera dans l'enceinte de l'usine, à proximité des ouvriers, à proximité des nombreux chauffeurs de poids lourds qui alimentent le site en betteraves ou en blé ou qui exportent les biocarburants. Il y a trois risques : qu'il y ait un accident majeur sur l'installation nucléaire qui contamine l'environnement industriel et les ouvriers. Qu'un accident dans cette usine Seveso seuil haut, entraîne des projectiles, des effets de surpression qui endommagent le réacteur nucléaire". Et enfin, Jaky Bonnemains évoque aussi de possibles contaminations, "s'il n'y a pas de barrières technologiques suffisantes entre le procédé nucléaire et le procédé industriel, la production de l'usine pourrait être contaminée par la radioactivité. Voilà techniquement les trois risques majeurs de cette éventuelle installation". 

2026 ou 2027

L'association évoque également les problèmes de traitement des déchets. "C'est un réacteur à très haute température qui fonctionnerait avec un uranium très enrichi à 9% qui viendrait des Etats-Unis. Cela va donc impliquer des transports transatlantiques jusqu'à Bazancourt". Et donc un risque supplémentaire. D'autre part, Jimmy a également précisé lors de cette réunion du Haut-Commissariat que "les déchets pourraient être gérés par l'ANDRA, au titre des déchets de faible activité à vie longue (FAVL) ce qui a fait bondir tout le monde. Ce réacteur fonctionne à l'uranium très enrichi, au graphite. Les déchets de graphite sont très difficiles à gérer et à retraiter. Manifestement, Jimmy Energy n'a pas encore une connaissance très approfondie de la gestion des projets qu'il est en train de monter et d'imaginer", précise encore Jacky Bonnemains.

Si la société Cristal Union dément la signature d'un accord de principe, l'association Robin des Bois dit bien que "la société Jimmy Energy a bien annoncé, lors de la réunion du 28 mars, cette signature avec une société du Grand Est alors confidentielle. L'ambition est de faire fonctionner ce réacteur pionnier en 2026 ou en 2027. Que Cristal Union dise que ce ne sera pas avant 2029, avec tous les retards que l'on observe dans la filière nucléaire, trois ans de retard, c'est finalement horriblement banal. Maintenant qu'ils jouent sur les mots étude, projet... Ils ont été pris à rebours ce qui gêne manifestement leur plan de communication.

En tout cas le verbatim de la réunion du 28 mars sortira dans quelques semaines, et c'est imparable. Toutes les annonces que nous faisons aujourd'hui seront alors visibles et officielles. Il prouvera que nous ne racontons pas des sornettes". 

L'association Robin des Bois évoque aussi "la pression mise par une dizaine de start-up sur l'Agence de sûreté nucléaire pour que les choses aillent vite". Au contraire, ralentir le processus de démarrage pour maitriser cette ère nouvelle du nucléaire est leur priorité.

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