Génocide rwandais : dans l’attente du verdict de deux bourgmestres jugés à Paris

Alain et Dafroza Gauthier attendent avec impatience le verdict du procès des responsables d'un massacre qui a causé la mort de plus de 800.000 personnes entre avril et juin 1994 au Rwanda. 22 ans après le génocide Rwandais, un deuxième procès s’est ouvert à Paris le 10 mai dernier.

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Les deux rémois Alain et Dafroza Gauthier consacrent désormais leur vie à poursuivre les responsables du génocide rwandais afin que justice soit rendue. En 1994, Dafroza perd sa mère et plusieurs membres de sa famille dans les exactions commises contre les Tutsi. C’est un procès à Bruxelles en 2001 et une première condamnation de génocidaires qui va les pousser à s’engager sur la voie judiciaire. Ensemble, ils créent le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda, une association qui a pour vocation de « soutenir moralement et financièrement tous ceux qui, dans le cadre du génocide perpétré au Rwanda en 1994, porteraient plainte contre des présumés génocidaires et principalement ceux réfugiés sur le sol français, de se porter elle-même partie civile contre les présumés génocidaires et d’apporter aide à toute action visant à préserver la mémoire des victimes ».

La prison à vie

L'avocat général Philippe Courroye a requis contre les bourgmestres la prison à vie, désignant les deux hommes, qui se sont succédé à la tête de Kabarondo, comme des rouages essentiels du génocide dans leur commune, à la fois des "superviseurs" et des "bourreaux à l'oeuvre". Des "valets des planificateurs du génocide" qui ont "manqué leur rendez-vous avec l'humanité, avec le pardon" en niant jusqu'au bout. Des "bourreaux" ou des hommes "impuissants" : après deux mois d'un procès "pour l'histoire", la cour d'assises de Paris dira ce mercredi si deux anciens bourgmestres rwandais ont participé au génocide des Tutsi dans leur village de Kabarondo en avril 1994.

Un deuxième procès

C'est la deuxième fois que la justice française se prononce dans un dossier lié au génocide rwandais, après la condamnation en 2014 de l'ancien capitaine de l'armée Pascal Simbikamgwa à 25 ans de réclusion criminelle. Mais comment demander pardon sans reconnaître la faute  Avec constance, Tito Barahira, 65 ans, et Octavien Ngenzi, 58 ans, ont raconté leur impuissance face à un chaos qu'ils n'avaient pas vu venir, dans leur commune rurale où Tutsi et Hutu vivaient "bien" ensemble. Vingt-deux ans après les faits, la défense a plaidé le "doute raisonnable" qui doit profiter aux accusés, face à une chronologie chancelante et des témoins qui se contredisent. L'accusation a au contraire invité les jurés à voir "la cohérence d'ensemble" qui se dégage du récit des survivants, pour condamner deux Rwandais arrêtés sur le sol français et jugés en vertu de la compétence universelle des juridictions françaises.

Un procès hors norme : des débats filmés pour l'histoire, des audiences souvent interminables, un changement de président en cours de route, une centaine de témoins, plus de 30 tonnes de procédure.

Entre voisins

Plus de huit semaines de débats ont donné à voir un génocide entre voisins, au village, sur les collines où l'on participait autrefois ensemble aux travaux communautaires. Un crime de proximité loin des centres du pouvoir, contrairement au procès de Simbikangwa, un homme influent de la capitale. Un contexte différent aussi: alors qu'en 2014 l'heure est au rapprochement entre Kigali et Paris après trois ans de rupture des relations diplomatiques (2006-2009), le vent a tourné à nouveau après un non-lieu en octobre 2015 pour le prêtre Wenceslas Munyeshyaka, le premier Rwandais visé par une plainte en France. A Kabarondo, le massacre le plus effroyable eut lieu à l'église, le 13 avril, dans cette commune rurale où des milliers de paysans tutsi s'étaient réfugiés, espérant gagner un sanctuaire, comme l'avaient été les lieux de culte lors des pogroms précédents depuis les années 1960. Comme ailleurs au Rwanda, où les tueries débutent peu après l'attentat contre le président hutu Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994, massacres et exécutions sommaires vont s'enchaîner à Kabarondo. Ils firent plus de 800.000 morts en cent jours à travers le pays. Plus de 2.000 en un seul jour à l'église de Kabarondo, selon son curé, Oreste Incimatata. Plus de sept heures d'un chaos de poudre et de sang, les lames silencieuses des machettes succédant au fracas des grenades et des mortiers postés dans les caféiers. L'abbé "s'habitue à voir les hommes tomber", se souvient de "bébés tétant le sein de leur mère morte".

L'accusation voit les bourgmestres au coeur de la machine génocidaire, dans un Etat centralisé dont "la matrice politique est ségrégationniste": un Ngenzi "opportuniste" et un Barahira "granitique", qui "a nié l'existence du génocide". "Ngenzi est le bourgmestre, le dirigeant" qui n'a "jamais été dépassé". "Barahira, c'est un opérationnel, un officiant de la machette". La défense a tenté d'adoucir l'image d'un Barahira sanguin, vu par de nombreux témoins parmi les tueurs, en chef, une lance à la main, évoquant "un homme au bout
du chemin", dialysé trois fois par semaine. Quant à Ngenzi, la question sera celle du prix de l'impuissance pour son avocate, qui souligne que s'il a fallu faire intervenir l'armée et la gendarmerie en plus des miliciens locaux, "c'est que le bourgmestre ne faisait pas le job. A Kabarondo, le génocide traînait".

La parole sera donnée ce mercredi matin une dernière fois aux accusés, le verdict est attendu dans la journée de ce mercredi.
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